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L’Internationale communiste, le front unique et la lutte contre le fascisme

histoire

Lien publiée le 11 mai 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

L'Internationale communiste, le front unique et la lutte contre le fascisme - CONTRETEMPS

Les grands débats des premières années de l’Internationale communiste (1918-1924), en particulier autour des troisième et quatrième congrès mondiaux, constituent une source précieuse pour alimenter les discussions stratégiques contemporaines. Il est vrai que nous agissons dans un contexte très différent, mais certaines questions demeurent : comment conquérir les masses ? Quel rapport les groupes révolutionnaires devraient entretenir avec les organisations réformistes ? Comment affronter le fascisme ?

***

Le dernier volume du Comintern Publishing Project, The Communist Movement at a Crossroads, présente une richesse de documentation et de débats dépeignant la dynamique du mouvement mondial à une époque de choix fatidiques concernant son avenir.

Trois grandes conférences du Comité Exécutif élargi de l’Internationale Communiste (CEIC) se sont déroulées en 1922-1923, ainsi qu’un grand Congrès Mondial, preuve de la vitalité du mouvement mondial et de la richesse de ses débats. Le volume de Crossroads contient le texte intégral des débats des trois réunions du CEIC, traduit à partir des transcriptions de 25 jours de délibérations.

Les notes très détaillées de Mike Taber offrent un fabuleux panorama du mouvement communiste mondial il y a un siècle.

The Communist Movement at a Crossroads : Plenums du Comité Éxécutif de l’Internationale Communiste, 1922-1923, par Mike Taber (Haymarket Books, 2018, 796 pages).

Huitième Volume du projet de Publications du Komintern (Comintern Publishing Project)

L’ensemble du Projet de Publications du Komintern comprend désormais huit volumes déjà publiés et deux autres sont en cours de production. Mike Taber a participé à la rédaction de chacun d’entre eux, en suivant des normes exemplaires de perspicacité marxiste et d’exactitude scientifique. Des annotations explicatives complètes sont complétées par des biographies, des bibliographies et des chronologies détaillées.

Le président du Komintern, Grigori Zinoviev, qualifia plus tard ces réunions élargies du CEIC de « petits congrès mondiaux », en hommage à l’ampleur de ces événements. Jusqu’à une centaine de délégué.es venu.es de dizaines de pays y participaient. La plupart d’entre eux et d’entre elles venaient d’Europe, les participant.es des régions colonisées et dépendantes étant moins nombreux.ses, et les débats sur leurs luttes de libération étaient rares. Les luttes anticoloniales ont fait l’objet de discussions approfondies lors du Deuxième (1920) et du Quatrième (1922) Congrès Mondiaux, ainsi qu’au Congrès de Bakou des Peuples d’Orient en 1920.

Ces premières conférences du Komintern eurent lieu aux dates suivantes :

-Premier Congrès mondial, du 2 au 6 mars 1919.

-Deuxième Congrès mondial, 19 juillet-7 août 1920.

-Premier Congrès des peuples d’Orient, Bakou, 1er-7 septembre 1920.

-Troisième Congrès mondial, 22 juin-12 juillet 1921.

-Première Conférence élargie du Comité Exécutif, 21 février-4 mars 1922.

-Deuxième Conférence élargie du Comité Exécutif, 7-11 juin 1922.

-Premier Congrès des travailleurs d’Extrême-Orient, 21 janvier-2 février 1922.

-Quatrième Congrès mondial, 5 novembre-5 décembre 1922.

-Troisième Conférence Élargie du Comité Exécutif, 12-23 juin 1923.

L’importance du Front Unique

Le thème central de ce livre est la manière dont le Komintern a élaboré sa politique de front unique, un sujet d’une grande pertinence pour nous aujourd’hui.

La principale question soumise aux deux premières réunions du CEIC élargi, qui se sont tenues en 1922, était l’appel lancé par le Komintern en décembre 1921 en faveur d’un « front unique » des organisations ouvrières, y compris celles qui sont hostiles au communisme, pour défendre les besoins les plus immédiats et les plus urgents des travailleurs et des travailleuses contre la réaction capitaliste. Ce thème a été développé lors du Troisième Plénum Élargi, tenu l’année suivante, qui a appelé à la mise en place d’une politique de Front Unique face à la menace du fascisme.

Pour obtenir une image cohérente de la politique du Komintern, les Plénums du CECI doivent toutefois être évalués en même temps que les deux Congrès Mondiaux tenus en 1921 et 1922. Les deux Congrès Mondiaux se sont concentrés sur la nécessité d’une action unie des travailleurs.ses, mais aucun n’a inclus de débat sur la politique de Front Unique en tant que telle. Ce débat eut lieu lors des plénums du CEIC. L’introduction de Taber au volume Crossroads replace ces échanges dans le contexte de l’histoire générale du Komintern au cours de cette période.

L’origine du Front Unique

Lorsque la politique de Front Unique est adoptée en décembre 1921, l’unité d’action des courants idéologiquement disparates de la classe ouvrière a déjà une longue histoire. Cette histoire a cependant été présentée de trois manières différentes dans les discussions au sein du Komintern.

Pour Lénine, le Front Unique figurait dans la longue histoire des efforts des bolcheviks pour s’unir dans l’action avec le courant menchevique rival de la social-démocratie russe, notamment en s’unissant pour faire échouer la tentative de putsch de droite de Kornilov en 1917. C’est à la demande de Lénine que ce bilan a été résumé au point 19 des Thèses sur le Front Unique adoptées par le CEIC en décembre[1].

Lors du Premier Plénum Élargi du CEIC, deux autres interprétations ont été exprimées concernant les origines du Front Unique. Le président du Komintern, Grigori Zinoviev, a fait remonter la politique de Front Unique à l’appel lancé par Lénine en 1920 aux communistes britanniques pour qu’ils apportent un soutien critique au parti travailliste britannique, ainsi qu’à la réponse du Komintern au recul de l’ensemble du mouvement ouvrier, y compris en Russie, après la défaite de l’Armée Rouge soviétique lors de sa marche sur Varsovie en 1920. (Crossroads, 104-7)

Deux jours après l’intervention de Zinoviev, le dirigeant communiste allemand August Thalheimer a proposé un autre pedigree, faisant remonter  l’origine du Front Unique aux initiatives de la classe ouvrière en Allemagne. Il a notamment cité le succès massif de la grève générale de la classe ouvrière allemande qui mit en échec une tentative de coup d’État de la droite en mars 1920. (Crossroads, 140-42)

Zinoviev présentait la politique de Front Unique comme conjoncturelle, tactique et à court terme, tandis que Lénine et Thalheimer, de manière différente, la considéraient comme stratégique et à long terme. L’approche de Zinoviev a dominé les discussions du premier plénum élargi du CECI ; par la suite, une approche plus stratégique a prévalu.

Lorsque le Premier Plénum Élargi se réunit, deux mois après l’adoption par le CEIC de la politique de Front Unique, la nouvelle orientation se heurte à une opposition significative dans la plupart des grands partis du Komintern en dehors de la République soviétique, y compris de la part de la majorité des sections du Komintern en Italie, en France, en Espagne et en Norvège, ainsi que d’une forte minorité en Allemagne. L’introduction de Taber explique que lors du Premier Plénum, un certain nombre de délégué.es de ces courants de gauche ont appelé à un « front uni à la base » au lieu de ce qu’ils appelaient un « front uni au sommet », suggérant qu’il n’y avait pas lieu de traiter avec les dirigeants d’autres courants du mouvement ouvrier. « La direction du Komintern a rejeté cette dichotomie », explique Taber, soulignant que ces deux notions ne pouvaient être séparées :

« En effet, l’idée d’un « front uni à la base » était la négation même de ce concept. S’il était possible de réaliser une action prolétarienne unie par-dessus les organisations existantes de la classe ouvrière, il n’y aurait pas besoin de fronts unis du tout. Les communistes pourraient simplement appeler à l’action unie en leur nom propre. » (Crossroads, p. 15)

Un rapport de Willi Münzenberg sur la solidarité ouvrière internationale avec la Russie soviétique, où de nombreuses régions étaient durement touchées par la famine, décrit ce que fut le succès de la première campagne de Front Unique coordonnée au niveau international par le Komintern. Cette campagne fut menée dans une large mesure par le Mouvement des Femmes Communistes[2].

Après un long débat, le Plénum approuva l’idée d’inviter les directions ouvrières droitières à se joindre à l’action unie, malgré l’opposition des délégué.es d’Italie, de France et d’Espagne.

Cette nouvelle orientation politique aboutit de la rencontre historique, du 2 au 5 avril 1921, des délégations de dirigeants du Komintern, de la Deuxième Internationale (« Internationale travailliste et socialiste ») et de l’Internationale des Deux et demi (« Union de Vienne« ). Deux mois plus tard, le Deuxième Plénum Élargi du CECI évalua es résultats de cette réunion et le processus d’application de la nouvelle politique, en accordant une attention particulière à la France, à la Norvège et à la Tchécoslovaquie.

Quatrième Congrès Mondial

L’intervalle d’un an qui a précédé le Troisième Plénum Élargi du CEIC a été marqué par un rassemblement mondial massif et autoritaire, le Quatrième Congrès Mondial. L’un de ses thèmes centraux était de considérer la politique de Front Unique non pas comme une simple manœuvre tactique à court terme, mais comme une perspective stratégique. Cela impliquait un changement de perspective, comme l’a déclaré Karl Radek, dirigeant du Komintern, lors du congrès :

« [L’application de la tactique du Front Unique me semble aujourd’hui quelque peu différente de ce qu’elle était auparavant. Au début, la tactique du Front Unique était un moyen de couvrir le large recul du prolétariat. Maintenant, il me semble que la tactique du Front Unique est une protection pour rassembler et déployer nos forces et pour préparer une nouvelle avancée. »[3]

Le congrès adopta également le mot d’ordre « pour un gouvernement ouvrier« , comme revendication transitoire menant à l’établissement d’un État ouvrier sur le modèle de la Russie soviétique. Le congrès élargit également la perspective du front unique pour englober un « front uni anti-impérialiste » dans le monde colonial et semi-colonial, une approche d’une importance cruciale pour les luttes de libération coloniale ultérieures.

Pourquoi une croisée des chemins ?

Le Quatrième Congrès, marqué par un large consensus et une consolidation idéologique, fut suivi 18 mois plus tard par un Congrès Mondial qui opéra un changement stratégique radical, revenant à l’approche du « front uni à la base » préconisée par les tendances d’ultra-gauche du Komintern en 1921. Par la suite, la politique du Komintern en matière d’unité de la classe ouvrière connut deux décennies de revirements radicaux répétés.

Il est donc logique de considérer le Troisième Plénum Élargi du CEIC, qui s’est tenu à mi-chemin entre le Quatrième et le Cinquième Congrès Mondial à la mi-1923, comme une transition ou, plus précisément, comme un point nodal à partir duquel des voies divergentes étaient possibles. En ce sens, le Troisième Plénum Élargi a été un « carrefour », une « croisée de chemins », concepts dont s’inspire le titre de ce livre.

Le Troisième Plénum Élargi fut le premier grand rassemblement du Komintern à ne pas bénéficier de la participation ou des conseils de Lénine, empêché par la maladie depuis mars 1923. Le dirigeant communiste russe Léon Trotski, figure influente des réunions précédentes, ne prit pas la parole, peut-être parce qu’il était désormais confronté à des dissensions croissantes au sein de la direction du parti communiste russe.

Selon Mike Taber, le Troisième Plénum Élargi « fut à plusieurs égards une réunion contradictoire, plus pour ce qu’elle n’a pas discuté que pour ce qu’elle a discuté » (p. 18).

Les problèmes internes du mouvement en Russie, qui avaient été abordés lors du Troisième Congrès (1921) et du Premier Plénum Élargi du CEIC (1922), n’ont pas été repris lors de la réunion de 1923. En outre, la crise sociale et politique en Allemagne, qui atteint son paroxysme quelques mois plus tard, n’est abordée que de manière très limitée, à travers une discussion sur le nationalisme allemand.

La politique du Komintern en Chine, où l’Union soviétique nouvellement formée avait signé en janvier une alliance avec un gouvernement nationaliste bourgeois dirigé par Sun Yat-Sen, est un autre sujet largement passé sous silence. En janvier 1923, le CEIC avait confirmé que les communistes devaient rejoindre le parti de Sun, le Kuomintang. La politique chinoise du Komintern allait bientôt se révéler désastreuse. (Voir « Fruits et périls du bloc intérieur » sur ce blog).

Malgré certaines faiblesses, commente Taber, le Troisième Plénum Élargi du CEIC « s’inscrivait néanmoins dans la continuité des quatre premiers Congrès du Komintern et des deux premiers plénums élargis, apportant d’importantes contributions à l’héritage politique du Komintern dans plusieurs domaines clés »[4].

Le Plénum est parvenu à une synthèse équilibrée sur la question du Front Unique, exprimée comme suit par Radek :

« Nous ne devons pas négocier à tout prix avec les dirigeants de la IIe Internationale et de la IIe Internationale et demie, mais plutôt négocier dans les cas où nous pouvons obtenir des résultats solides dans ce domaine. Lorsque nous y parviendrons, nous réussirons à pénétrer le front de notre adversaire. Là où cette politique n’est pas possible, nous devons mener des attaques frontales, mais toujours par la méthode du Front Unique en mettant en avant les revendications minimales qui peuvent attirer les masses. » (Crossroads, p. 285)

Le Troisième Plénum Élargi adopta également le mot d’ordre d’un gouvernement ouvrier et paysan, qui souligne les alliances de classe nécessaires au prolétariat dans sa lutte pour le pouvoir.

Front Unique contre le fascisme

La plus grande réalisation du Plénum a été l’élaboration d’une politique viable de résistance au fascisme, un domaine dans lequel les discussions antérieures du Komintern avaient été limitées. Ceci est repris dans « Clara Zetkin and the Struggle Against Fascism« , de John Riddell et Mike Taber, et dans le petit livre des écrits de Clara Zetkin, Fighting Fascism, publié par Haymarket Books.

Cependant, l’analyse tranchante du Plénum souffrait d’une faiblesse : les décisions du Plénum ont sous-estimé l’engagement du fascisme, de la manière la plus flagrante en Allemagne, dans l’extrémisme raciste, colonialiste et antijuif.

La décision du Plénum sur le fascisme a été appliquée, en partie, par un effort pour engager une discussion avec les travailleurs attirés par le fascisme. Ce sujet a été abordé dans le « discours Schlageter » de Karl Radek, qui honorait la mémoire d’un fasciste convaincu, Leo Schlageter, « un soldat courageux de la contre-révolution » exécuté pour avoir résisté aux troupes françaises qui occupaient le district allemand de la Ruhr.

L’introduction de Taber fournit une évaluation incisive et équilibrée de la « tentative quelque peu lyrique » de Radek, la considérant comme « non pas une fuite en avant » mais comme une tentative raisonnée de creuser un fossé entre les masses nationalistes et leurs dirigeants capitalistes réactionnaires. (Crossroads, pp. 24-7).

Rapports des Femmes Communistes

Lors de ces rassemblements très majoritairement masculins, deux rapports extrêmement brefs ont été présentés sur la « question des femmes ». Le premier, présenté par Alexandra Kollontai lors du Premier Plénum Élargi, énumère les principaux domaines d’activité du Mouvement des Femmes Communistes, qui se développe rapidement, en soulignant en particulier l’organisation de « manifestations pour la Journée Internationale des Femmes dans tous les pays » et le « rôle très actif des femmes dans la campagne d’aide aux victimes de la famine ». (Crossroads, p. 101)

Le deuxième rapport, présenté par Clara Zetkin au Troisième Plénum au nom de la commission des femmes du Plénum, commence ainsi :

« Je dois dire qu’il n’y a pas un seul pays où les décisions de la Conférence Internationale des Femmes et du Troisième Congrès Mondial sur la question des femmes ont été pleinement appliquées.[5] (Crossroads, p. 689)

Des signes avant-coureurs de bureaucratisme ?

Un an seulement après le Troisième Plénum Élargi du CEIC, le Komintern était contaminé par la maladie du centralisme bureaucratique : les dirigeants nationaux étaient fréquemment renversés ou leurs décisions annulées par un diktat venu d’en haut. Les premiers signes de cette maladie étaient-ils évidents lors du rassemblement de 1923 ?

En parcourant la table des matières de Crossroads, on est frappé par un rapport de Nikolaï Boukharine au Troisième Plénum de 1923 sur « Les limites du centralisme au sein du Komintern« . Ce point de l’ordre du jour, qui a occupé deux jours de débats, était centré sur les relations du Komintern avec sa section norvégienne, une organisation de masse encore marquée par ses origines en tant que parti ouvrier global. Lors du Troisième Plénum, le CEIC insista, pour la première fois, pour que le parti norvégien se conforme aux principes d’organisation des statuts et conditions d’admission du Komintern.

Au cours de la discussion, certains orateurs défendirent l’argument que la relation du CEIC avec les directions nationales était simplement une relation de commandement. Aucune référence ne fut faite aux passages des statuts et aux conditions d’admission au Komintern soulignant l’importance de l’autonomie des directions nationales. Taber évalue la discussion comme suit :

« Alors qu’une partie de la discussion sur le centralisme au Plénum allait dans le sens d’une demande d’implication accrue du CEIC dans les activités et tactiques locales des partis et d’un refus de toute « limite » au centralisme, la résolution finalement adoptée veillait à ne pas empiéter sur l’autorité de la direction du Parti norvégien en matière de questions locales. Ses propositions de changement de la politique et de la structure du NLP étaient formulées sous forme de recommandations. » (Crossroads, pp. 36-37)

Respect de l’autonomie

Les développements dans deux autres pays, l’Italie et la Bulgarie, ont fourni des preuves supplémentaires du respect de l’autonomie des sections nationales par le CEIC.

Pour l’Italie, le Quatrième Congrès mondial de 1922 avait approuvé la fusion du Parti Communiste Italien avec le Parti Socialiste Italien, longtemps partisan du Komintern mais de tradition sociale-démocrate. Après le Congrès, alors que les deux organisations étaient ébranlées par les assauts du nouveau gouvernement fasciste italien, le Parti Socialiste vota le rejet de la proposition de fusion.

Quelques mois plus tard, lors de son Troisième Plénum Élargi, le CEIC défendit l’argument que la direction communiste italienne, qui s’était opposée à la fusion dès le départ, avait saboté l’accord. Le Plénum vota alors la recomposition de la direction nationale, accordant à la minorité pro-fusion du parti italien le droit à une représentation minoritaire dans la direction quotidienne du parti, mais laissant la majorité élue, toujours sceptique à l’égard de la fusion, aux commandes.

L’intervention du CEIC dans la composition de la direction de la section italienne constitua un précédent pour le Komintern. Néanmoins, elle se fit de manière à laisser en place la direction majoritaire élue de la section.

Concernant le cas Bulgare, à la veille du Troisième Plénum Élargi du CEIC, un coup d’État de droite en Bulgarie renversa le gouvernement d’un parti paysan radical, déclenchant une résistance armée de la part de ses partisans. Le Parti Communiste Bulgare, fort d’un soutien de masse et d’un appareil impressionnant, qui lui avait valu d’être considéré comme un modèle pour le Komintern, refusa de se joindre au mouvement paysan qui résistait à l’attaque meurtrière des militaires de droite, déclarant sa « neutralité » dans la lutte.

Le dernier jour du plénum, Karl Radek soumit l’abstention du parti bulgare à une critique acerbe, mettant l’accent sur « l’absence de volonté de lutte », évidente selon lui depuis plusieurs années. Bien que le rapport ait porté un coup dévastateur à l’autorité des dirigeants du Parti bulgare, le CEIC ne prit aucune mesure pour assurer leur remplacement.

Faiblesse de la direction

Les discussions du Plénum Élargi du CEIC de 1923 n’ont pas mentionné l’erreur stratégique sous-jacente qui a ouvert la porte à la défaite en Italie et en Bulgarie.

Dans les deux cas, dans la période précédant la défaite, les Partis Communistes n’avaient pas appliqué la politique de Front Unique pour s’efforcer d’unifier la résistance des travailleurs.ses. La division persistante dans les rangs des travailleurs.ses n’a pas été abordée, ouvrant la porte au triomphe de la réaction de droite.

En Italie, la direction du Parti Communiste a affaibli de manière décisive l’unité des travailleurs.ses contre le fascisme en refusant de s’unir dans l’action avec les forces antifascistes en dehors de ses rangs. Le CEIC a été complice de cette erreur et n’a pas réussi à clarifier cette question lors du Quatrième Congrès, quelques mois seulement avant le Troisième Plénum Élargi du CEIC.

La même question s’est posée en Bulgarie, où le Parti Communiste a d’abord défendu le régime paysan radical contre les comploteurs de droite, avant d’adopter une position totalement hostile. La question avait été posée lors du Quatrième Congrès, qui avait affirmé la possibilité d’un gouvernement ouvrier et paysan en Bulgarie[6], mais rien n’indique, dans les rapports du CEIC sur cette question, qu’elle ait jamais expliqué au Parti bulgare la nécessité d’une approche de Front Unique vis-à-vis du parti paysan bulgare, première étape évidente vers un tel gouvernement révolutionnaire.

Dans les deux cas, la conduite du CEIC était formellement correcte en termes de respect du droit de la section à choisir sa direction. Mais le CEIC a agi de manière intéressée en évitant la question de la politique de Front Unique, dont la discussion aurait révélé la part de responsabilité du CEIC dans les erreurs de ces deux sections nationales.

La question n’était pas nouvelle. Après le désastreux échec de « l’Action de Mars » de 1921 en Allemagne[7], où les représentants du CEIC s’étaient rendus complices d’une défaillance catastrophique de la direction, le CEIC avait bloqué un bilan objectif de sa propre implication. Jugeant sévèrement les erreurs des autres, le CEIC pardonnait et dissimulait ses propres manquements.

À l’époque du Troisième Plénum Élargi du CEIC, la conduite du CEIC commençait à devenir un modèle, qui tendait à placer la direction quotidienne basée à Moscou à l’abri de la critique et du contrôle démocratique. Un an plus tard, en 1924, cette tendance de commandement autoritaire au sein du Komintern s’est traduite par des initiatives prises par les dirigeants du CEIC à Moscou pour chasser les tendances de l’Internationale qui critiquaient les politiques de la faction dominante du communisme russe, alors dirigée par Zinoviev. Ce processus a eu pour conséquence qu’une couche bureaucratique, de plus en plus en position de force aux commandes du Parti Communiste russe, en est venue à exercer une influence croissante sur le mouvement mondial.

Ce processus est apparu clairement lors du Cinquième Congrès Mondial de 1924, qui a marqué le début du recul du Komintern par rapport aux politiques menées du vivant de Lénine.

Si cette évolution n’était pas prévisible lors du Plénum de 1923, la nécessité de réaffirmer la responsabilité politique de la direction de Moscou a certainement été posée. C’est surtout en ce sens que le Troisième Plénum Élargi du CEIC en 1923 a représenté un carrefour pour le mouvement communiste mondial.

La fascinante collection documentaire de Mike Taber, Le mouvement communiste à la croisée des chemins, ne dépeint pas seulement de manière éclairante les forces et les réalisations du mouvement mondial au cours de ses premières années, mais présente également un dossier qui offre de nombreux indices sur les raisons pour lesquelles le mouvement mondial a évolué dans une direction négative au cours des années qui ont suivi la mort de Lénine.

*

Publié initialement sur le blog de John Riddell.

Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

Notes

[1] Voir Collected Works de Lénine, vol. 36, pp. 552-54 et vol. 42, p. 367 et Mike Taber, éd. Crossroads, pp. 260-61. Le point 19 des thèses du Front Unique a été rédigé par Nikolaï Boukharine.

[2] Voir dans ce blog John Riddell, « The Communist Women’s Movement« , et Daria Dyakonova, « The Dawn of Our Liberation« .

[3] Voir Crossroads, p. 17 et Riddell (éd.), Toward the United Front: Proceedings of the Fourth Congress, 1922, Leyden et Chicago, Brill and Haymarket Books, p. 452.

[4] Crossroads, pp. 16-17.

[5] Des rapports et des discussions détaillés sur le travail communiste parmi les femmes figurent dans les comptes rendus du troisième et du quatrième congrès ; voir To the Masses ! et Toward the United FrontUn volume documentaire sur le Mouvement des Femmes Communistes, édité par Mike Taber et Daria Dyakonova, est disponible.

[6] Lors de la discussion au 4e Congrès de la revendication d’un gouvernement ouvrier, le délégué bulgare le plus ancienVassil Kolarov, a précisé que la question d’un gouvernement ouvrier ne se posait pas dans les régions agraires des Balkans, c’est-à-dire pas en Bulgarie. En réponse, le Congrès modifia sa résolution sur le gouvernement ouvrier pour souligner la possibilité d’un « gouvernement des ouvriers et des paysans les plus pauvres » dans des régions telles que les Balkans. Riddell, Toward the United Front, pp. 24, 243 (Kolarov), et p. 1161 (Amendement).

[7] Voir « Clara Zetkin dans la fosse aux lions » et l’introduction de Riddell, ed.  To the Masses.  Proceedings of the Third Congress of the Communist International,