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    Rapport sur les inégalités en France : fracture sociale, le retour

    inégalités

    Lien publiée le 9 juin 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Les inégalités entre les classes sociales demeurent aigües en France. L’édition 2023 du Rapport sur les inégalités en France consacre un dossier spécial à la fracture sociale. L’analyse de Louis Maurin.

    Pourquoi les enfants de cadres représentent-ils moins d’un quart des élèves mais 63 % des effectifs des prestigieuses écoles normales supérieures ? Pourquoi le taux de chômage des ouvriers non qualifiés est-il de 17 % contre 4 % chez les cadres ? Les inégalités entre les classes sociales [1], comme le montrent les données du dossier spécial de notre nouveau Rapport sur les inégalités en France, demeurent aigües en France.

    Cela commence dès la petite enfance. Dans les écoles des territoires les plus pauvres, seuls 42 % des enfants en CP ont une maitrise satisfaisante de la compréhension orale du vocabulaire, contre les trois quarts dans le reste du pays. La plongée dans un univers de concurrence scolaire, en particulier l’apprentissage précoce de la lecture, creuse les inégalités. La suite du parcours ne corrige pas ces écarts, qui croissent au fil des scolarités.

    Par la suite, au travail, les groupes sociaux se tiennent à bonne distance. Chaque année, près de 20 000 ouvriers sont victimes d’accidents graves et 500 meurent dans l’exercice de leur profession. Les chiffres sont respectivement de 1 800 et 69 pour les cadres. Aides-soignantes, maçons, travailleurs à la chaine, livreurs, etc., les métiers du bas de l’échelle usent le corps au quotidien, avec des conséquences dans leur vie qui vont bien au-delà du travail : fatigue, maladies de longue durée, espérance de vie réduite.

    En plus de se lever tôt pour travailler dur, la France populaire doit être à disposition de celle qui les commande. En contrat précaire ou payés à la tâche, ces travailleurs sont révocables à tout moment. Écartés des prises de décisions, ils n’ont pas leur mot à dire, pas même un avis sur leur propre travail et la manière dont ils l’exercent : ils doivent s’adapter à la demande, se placer au service des autres. Le contraste est grand entre les aspirations à davantage d’autonomie, nourrie par la hausse du niveau de diplôme de la population, et la réalité du travail contraint.

    Arrivés à la cinquantaine, les cadres touchent en moyenne 5 000 euros net de salaire, contre 2 000 euros pour les ouvriers. Logements confortables, vacances lointaines, achats de services (femme de ménage, hôtels, restaurants, etc.) : le quotidien des plus favorisés n’a rien à voir avec celui des ouvriers ou des employés. Les premiers accumulent tout au long de leur vie un patrimoine qui leur offre une retraite confortable, ce qui représente une assurance contre les aléas de la vie et permet de bien doter leurs enfants. Ainsi se perpétuent les inégalités.

    Les habitudes liées au milieu social interviennent parfois indépendamment du revenu. Ce n’est pas le prix des livres qui éloigne les ouvriers et les employés de la lecture et des bibliothèques. Il en est de même en matière d’alimentation, de prévention en santé, de loisirs, de vêtements, de langage et dans bien d’autres domaines. Les ouvriers ont, par exemple, un budget cigarettes supérieur à celui des cadres, en dépit de revenus inférieurs. Nos manières de vivre sont liées à l’univers dans lequel nous évoluons, aux habitudes prises dans l’enfance, avec nos amis ou nos collègues de travail notamment.

    Disqualifier l’analyse en termes de positions sociales

    Le contraste est frappant entre la fracture sociale, qui nourrit d’importants conflits, et les discours médiatiques dominants aujourd’hui qui l’occultent. De très nombreux experts, de bords politiques parfois opposés, disqualifient l’analyse en termes de positions sociales. Les inégalités qui comptent pour eux sont davantage celles en lien avec la couleur de la peau, l’âge, le genre ou le territoire, et non l’origine sociale.

    Il est vrai que la mise en avant des classes sociales, qui dominait au siècle dernier, a longtemps passé sous silence d’autres formes d’inégalités parfois majeures, comme celle du genre. Leur présence dans le débat aujourd’hui est en partie la conséquence de ce déni antérieur. La classe sociale est un élément qui se conjugue avec un grand nombre d’autres facteurs. Le taux de chômage est un bel exemple de concentré d’effets mêlés du diplôme, de l’âge, de l’origine migratoire, etc.

    Les classes favorisées font tout pour éviter qu’on mette le sujet des classes sociales sur la table.

    La cécité contemporaine aux inégalités sociales résulte aussi du déclin du monde ouvrier, comparable à celui du monde agricole dans les années 1950. Cette mutation implique des recompositions : on confond évolution et disparition des classes sociales. Les ouvriers de l’industrie ne sont plus qu’une composante minoritaire de l’univers des classes populaires qui comprend aussi des employés peu qualifiés des services, aux conditions de vie et de travail très semblables à celles des ouvriers. La féminisation de l’emploi et la diminution du nombre de grands collectifs de travail fortement syndiqués ont joué. Les syndicats et les partis politiques peinent à représenter les univers émergents du travail, qu’ils comprennent mal.

    Ce n’est pas tout. Les classes favorisées font tout pour éviter qu’on mette le sujet des classes sociales sur la table. Tout en prônant l’individualisme, elles savent s’organiser en groupes de pression actifs (think tanks, corporations, lobbys, etc.) pour défendre leurs privilèges. Elles militent, par exemple, contre toute réforme en profondeur du système éducatif ou pour la déréglementation du marché du travail qui affaiblit les catégories populaires. Elles mettent parfois en avant des inégalités qui jouent, elles aussi, un rôle central, comme le sexisme ou les discriminations, mais qui ont l’avantage pour les milieux privilégiés de ne pas remettre en cause en profondeur l’ordre social et donc leur position dans la hiérarchie.

    Louis Maurin


    [1] Classe sociale : on utilise les termes de classe, groupe, milieu ou catégorie sociale de manière indifférente. Il s’agit de mesurer l’impact de la position sociale, déterminée par la profession, dans la société.