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Entre souffrance et démissions, l’université de Nantes "craque de partout"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Les arrêts de travail et les départs qui se multiplient au sein de l’établissement, sur fond de dégradation des conditions de travail et de financements insuffisants, trahissent la crise profonde que traverse l’enseignement supérieur français.
Cet après-midi d’avril, le ciel nantais est à la fois lourd et gris. Le même gris que les yeux de Vanessa*, qui travaille dans son bureau de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de l’université de Nantes. La jeune femme a la gorge nouée et le regard lourd lorsqu’elle évoque ses conditions de travail : « C’est dur de trouver la motivation et le sens de ce que l’on fait. »
Si elle se refuse à quitter son poste administratif car « très attachée à l’établissement et aux étudiants », « ce qui se passe au travail impacte le moral et le sommeil ».
Comme d’autres composantes de l’établissement, l’IAE de Nantes a tiré la sonnette d’alarme face à de nombreux arrêts de travail pour burn-out. Le 16 mars dernier, 120 membres de l’institut, soit 80 % des personnels, ont voté en assemblée générale l’arrêt des activités administratives et d’enseignement durant deux jours.
« Tant d’un point de vue administratif que pédagogique, le constat de situations de mal-être au travail, voire de souffrance, est partagé par de nombreux collègues », expliquent-ils dans un communiqué publié le jour même.
Au sein de la direction, cinq personnes ont été arrêtées pour épuisement professionnel. Depuis janvier 2023, cinq agents administratifs ont démissionné. « Ceux qui restent s’épuisent face à la charge de travail, et ça craque de partout », témoigne Vanessa qui laisse couler des larmes.
Parmi les enseignants, on compte 59 titulaires et 38 contractuels, soit un enseignant pour 27 étudiants. Idem du côté des administratifs où, sur les 51 postes, 60 % sont occupés par des contractuels.
Ce mal-être au travail ne s’arrête pas aux murs de l’IAE. En face, dans la faculté de droit et de sciences politiques, le constat est similaire. Dès la fin de l’année 2021 une alerte est lancée pour « danger grave et imminent ». Celle-ci a déclenché une enquête interne menée par le CHSCT, rendu durant l’été 2022.
Le rapport évoque « une charge de travail jugée excessive » et souligne « une multiplication des tâches et des sollicitations, ainsi qu’une pression à faire plus, plus vite, avec moins de ressources à disposition ». Surtout, il montre que de nombreux personnels poursuivent leurs missions le soir, le week-end et durant les vacances.
« J’ai été choqué lorsque j’ai vu le nombre de connexions sur l’espace de travail numérique interne à la fac le 24 décembre », témoigne Frédéric Allaire, directeur du département de droit public de la faculté.
L’explication de ce surmenage tient en quelques chiffres : avec 4 300 étudiants, 93 enseignants-chercheurs, 47 Biatss1 et 300 contractuels, l’UFR de droit présente un taux d’encadrement de 3,2 personnels pour 100 étudiants. Ce taux a été évalué à 8,2 en moyenne dans l’ensemble des universités françaises (8,9 pour Nantes Université) et à 6 pour les universités droit-économie-gestion.
« L’opinion a une image très dépassée du droit à la fac avec beaucoup de cours magistraux, analyse Frédéric Allaire. D’ailleurs, le plus gros amphithéâtre de l’établissement se situe dans notre UFR. Mais ce modèle ne répond pas aux besoins des étudiants actuels qui veulent davantage d’accompagnement, donc de cours en petit groupe. C’est une condition de leur réussite. »
Toutefois, avec un enseignant pour 45 étudiants, cet accompagnement se révèle impossible à mener. Et l’on voit apparaître des stratégies individuelles pour se préserver. « Certains partent, d’autres se mettent en retrait et ne font plus que le strict nécessaire. », constate Frédéric Allaire.
Selon lui, il manque, rien que pour l’UFR de droit, 100 enseignants-chercheurs et 100 agents administratifs. En octobre, une demande de réduction de 25 % du nombre d’étudiants pour la rentrée prochaine a été votée, puis refusée par le ministère.
« On est le UberEats de l’université »
L’UFR embauche près de 300 contractuels. « Sur les 40 000 heures de cours que nous assurons chaque année, 16 000 sont assurées par des vacataires », souligne le professeur de droit public. Lui a l’impression de « faire la boîte d’intérim », et de proposer une formation low cost aux étudiants. « On est le UberEats de l’université », grince Frédéric Allaire.
Comme le rapport du CHSCT, il constate la multiplication des missions pour les personnels enseignants et administratif, à l’image des « conseils de perfectionnement » où les acteurs d’une formation qu’ils soient internes à l’université ou externes (entreprises, collectivités locales…) échangent dans le but d’améliorer ladite formation.
Mais aussi des réformes qui s’empilent comme celle de l’approche par compétences, qui implique de refaire les maquettes de formations en définissant les « blocs de compétences » que doivent acquérir les étudiants, ou encore Parcoursup qui exige de classer quelque 7 000 candidatures pour la première année de licence.
Dernière réforme en date : la procédure d’admission en master, réformée récemment via la plateforme MonMaster. 15 000 dossiers à trier puis sélectionner.
« Nous avions notre propre procédure, que nous maîtrisions, mais il a fallu tout recommencer. À chaque fois, il faut faire, défaire puis refaire. Cette instabilité épuise les personnels. »
Pour les enseignants, s’ajoutent la préparation des cours et la correction des copies, en plus de leurs travaux de recherche. Pour les personnels administratifs, les tâches quotidiennes comme la réservation des salles ou la préparation des emplois du temps ainsi que des budgets.
Là encore, le recours aux contractuels est un pansement sur une jambe de bois. Les contractuels comptent pour 42 % des agents Biatss au sein de l’établissement, une part en augmentation de 19 % depuis 2019.
« Face aux conditions de travail et surtout de rémunération, en deçà de celles des titulaires, les personnes ne restent pas, constate Pascale Gillon, élue Sgen-CFDT au conseil d’administration de l’université. Pour les enseignants, ces changements d’interlocuteurs sont déstabilisants. D’autant que l’université a du mal à recruter ! »
Après la mobilisation de l’UFR de droit puis de l’IAE, c’est l’ensemble du pôle Sociétés (rassemblant quatre composantes : Droit, IAE, sociologie et l’Ipag) qui a sonné l’alarme, le 24 mars dernier. Les personnels alertent à leur tour sur « la dégradation de leurs conditions de travail » et « un défaut structurel de moyens pour mener à bien leurs missions ».
« On est le pôle le plus sous-doté de Nantes Université, dénonce Mathieu*, doctorant en sociologie. Difficile de ne pas y voir une forme de mépris pour nos disciplines... »
Le jeune homme connaît le campus par cœur : il y étudie depuis sa première année. Un gobelet de son café préféré à la main, il allume sa cigarette devant l’UFR de sociologie. Lui qui a pourtant rêvé d’une carrière universitaire, s’interroge :
« J’aime ce que je fais et je demeure très attaché à l’université. Mais lorsque l’on voit les conditions de travail, le salaire et le mal-être des personnels, cela fait réfléchir. »
Le poids du changement organisationnel et de gouvernance
Lors de son AG du 24 mars, les personnels du pôle Société ont souligné que « le processus de restructuration en pôles de Nantes université a produit une démultiplication des strates organisationnelles et des réunions, une absence de procédures de fonctionnement claires, une dématérialisation anarchique du travail, qui entraînent une surcharge chronique pour les personnels de direction, les personnels administratifs et les personnels enseignants et enseignants-chercheurs ».
En janvier 2022, Nantes Université est devenu un établissement public expérimental (EPEx). Une modalité permise depuis peu dont les établissements se sont emparés, chamboulant le paysage universitaire.
A Nantes, ce changement de taille a impliqué la réorganisation en quatre pôles (humanités, santé, sciences et technologies, sociétés) et une nouvelle gouvernance.
« Désormais, la présidence n’arbitre plus la distribution des postes : chaque pôle reçoit une enveloppe pour arbitrer les dépenses, explique Marie David, enseignante à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspe) de Nantes et membre du Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup FSU). Ainsi, la présidence se dégage de son obligation de transparence en déléguant. »
Une pratique qui met aussi en concurrence chaque composante au sein du pôle, mais aussi les pôles entre eux sur fond de sous-dotation structurelle.
« Avec l’application de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) votée en 2017, l’université de Nantes a été sous-évaluée pour l’attribution des subventions étatiques : on a calculé les besoins de financements publics bien en deçà de ce qu’ils étaient, rappelle Pascale Gillon. De fait, ce sous-financement est à la fois chronique et historique. »
La solution trouvée pour pallier le manque de subventions étatiques tient en trois mots : « Appels à projets » (AAP). Ce mode de financement semble être devenu la norme depuis le précédent quinquennat d’Emmanuel Macron :
« L’argent est conditionné à la présentation d’un projet spécifique, qu’importe si le sujet touche toutes les universités : un nombre limité d’entre elles auront le financement, analyse Mathieu, qui s’est intéressé au sujet durant sa thèse. Par exemple, si l’ensemble des facs veulent que leurs étudiants réussissent, et ont besoin d’argent pour améliorer l’accompagnement, seules celles qui ont déposé les projets les plus complets ou les plus innovants recevront les financements. »
Résultat : « On fait donc la course aux AAP en répondant à tout bout de champ pour obtenir l’argent dont nous avons besoin pour fonctionner normalement », déplore Marie David.
Et, selon Matthieu, émerge une université à deux vitesses avec, d’un côté, « les établissements qui peuvent dégager du temps pour travailler à candidater à ces projets, et de l’autre ceux qui, absorbées par la gestion quotidienne de leurs missions, ne candidatent pas. Entre les deux, l’écart se creuse et avec lui, les financements publics ».
Dans ce contexte peu encourageant, comment sortir de cette situation pour le personnel nantais ? L’inquiétude est réelle pour Frédéric Allaire.
« On arrive au bout du système et j’ai peur que les gens craquent. Faut-il qu’un drame se produise pour que l’on nous entende ? »
La présidence, qui partage le constat des diverses composantes, indique n’avoir que peu de marge de manœuvre. La direction de Nantes université tente d’apporter des solutions pour l’IAE : dispositif spécifique de consultation avec la médecine du travail, renfort administratif, réflexion sur l’offre de formation… Des actions qui demeurent insuffisantes aux yeux des organisations syndicales.
Du côté du pôle Sociétés, on se déclare prêt à ne pas assurer la rentrée de septembre 2023 « si aucune perspective ne leur est donnée d’ici-là ».
* Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat.