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Zéro artificialisation des sols : la guerre du béton fait rage

écologie

Lien publiée le 16 juin 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Zéro artificialisation des sols : la guerre du béton fait rage | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

L’objectif de zéro artificialisation nette d’ici à 2050 est ambitieux, mais les oppositions qu’il suscite et les batailles autour de sa mise en œuvre le fragilisent.

ZAN. Rarement trois lettres auront autant déchaîné de débats et d’inquiétudes chez les élus locaux. A leur décharge, ce « zéro artificialisation nette » – nom complet de l’acronyme honni – est un objectif ambitieux, voire révolutionnaire en termes de développement local.

De quoi s’agit-il exactement ? Dans la loi Climat et résilience (2021), largement issue des préconisations de la Convention citoyenne pour le climat, la France s’est engagée à un zéro artificialisation « nette » d’ici à 2050. Cela signifie qu’à la mi-temps du siècle, il sera interdit de bétonner de nouvelles terres, sauf à en renaturer d’autres de même surface.

Pour s’assurer que cet objectif – cohérent avec les engagements européens – soit atteint, le gouvernement a fixé une étape intermédiaire, ambitieuse elle aussi. Le rythme de consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers (Enaf) devra avoir été divisé par deux entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente (2011-2021).

Un coup de frein nécessaire

La course contre la montre est engagée. Ainsi, un décret découlant du ZAN encadre déjà l’urbanisme commercial. Il n’est en théorie plus possible de construire de nouvelles zones commerciales artificialisantes, ni pour une nouvelle implantation, ni pour une extension.

Certes, il existe encore des exceptions possibles pour les projets inférieurs à 10 000 m2 et, certes, les entrepôts d’e-commerce ne sont pas concernés par la loi, mais cela ne change pas la photo globale : l’étau se resserre autour de l’étalement urbain.

Ce coup de vis était nécessaire tant l’Hexagone continue de bétonner, notamment pour le logement. Depuis 1981, les surfaces artificialisées ont augmenté de 70 %, bien davantage que le nombre d’habitants (+ 19 %), selon France Stratégie.

La France étant un pays relativement peu dense, elle prend moins garde à son foncier que ses voisins. Ainsi, l’Hexagone comptait 47 km² artificialisés pour 100 000 habitants en 2012, beaucoup plus que l’Allemagne (41), le Royaume-Uni et l’Espagne (30) ou encore l’Italie (26).

Comment réussir à freiner ce rouleau compresseur ? Pour faire simple, l’Etat va accorder une enveloppe d’artificialisation à chaque région. Entre 2011 et 2021, un peu plus de 243 000 hectares d’Enaf ont été consommés en France, selon l’Observatoire national de l’artificialisation.

Les territoires pourront en conséquence se partager environ 120 000 hectares entre 2021 et 2031. La loi Climat et résilience prévoit, dans chaque région, une organisation en cascade pour contraindre les maires, qui tiennent en dernier ressort le stylo du permis de construire, à en signer le moins possible.

De nombreux désaccords

Un tel projet fait sans surprises l’objet d’une violente bataille entre institutions. Pour schématiser, le Sénat (majoritairement à droite) s’est fait porte-parole des petites communes et des campagnes et cherche à leur donner une grosse part du gâteau. De son côté, le gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale se montrent plutôt inflexibles.

La guerre se joue actuellement au Parlement : le Sénat a adopté mi-mars une proposition de loi qui avantage le rural. L’Assemblée nationale va y répondre avec un texte, actuellement en discussion. Pas encore adopté, il devrait cependant annuler de nombreuses dispositions votées par la Chambre haute.

Les motifs de grief contre le ZAN et ses modalités de mise en place sont nombreux. Première controverse : la définition même de l’artificialisation. La loi Climat et résilience décrit cette dernière comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ».

Avec cette définition, le jardin biologique d’une maison privée est artificiel, alors que le champ agricole du voisin, largement arrosé de pesticides, ne l’est pas. Les partisans d’une application souple du ZAN appellent donc à modifier les nomenclatures pour les calculs des droits à artificialiser.

Sur le périmètre ensuite, le Sénat a réussi à le modifier en excluant les grands projets artificialisants d’intérêt national, qui ne seront pas imputés aux régions qui les accueillent, mais à l’Etat. La liste précise n’est pas encore arrêtée, mais elle concernera au moins les infrastructures fluviales, les lignes de train à grande vitesse, les prisons, ou encore les centrales nucléaires.

De leur côté, la plupart des acteurs locaux ont essayé d’obtenir des exemptions, plaidant leur « spécificité ». Parmi eux, les communes de montagne et les communes touristiques. Celles du littoral, elles, aimeraient que les terres « mangées » par la montée des eaux soient considérées comme renaturées. Enfin, les communes rurales plaident pour un régime de faveur.

Ces dernières ont fait l’objet de la plus violente passe d’armes entre le gouvernement et le Sénat. La Chambre haute craint que le calcul des enveloppes d’artificialisation se fasse en fonction des trajectoires passées, sur le registre « si Toulouse a artificialisé 100 entre 2011 et 2021, elle pourra artificialiser 50 entre 2021 et 2031 ; si l’Ariège a artificialisé 0 sur la même période, elle pourra artificialiser 0 divisé par 2, c’est-à-dire 0 ».

L’artificialisation recule mais reste portée par l’habitat

Consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers en France entre 2009 et 2019 selon le motif d’artificialisation, en hectares
Source : Fichiers fonciers 2009-2019, Cerema

Pour éviter que le ZAN ne récompense indirectement les anciens mauvais élèves et ne pénalise les campagnes, supposées plus sobres car longtemps en crise, le Sénat a voté un « droit à l’hectare », prévoyant que chaque commune dispose d’au moins un hectare de droit à artificialisation, de quoi leur permettre de se développer.

Incontestablement, « 71 % des communes dites rurales appartiennent à l’aire d’attraction d’une ville et sont de ce fait plus ou moins fortement périurbaines : elles ne vont pas sortir du jour au lendemain des dynamiques de croissance qui sont les leurs », écrit l’urbaniste Martin Vanier.

Avant de déplorer qu’« un certain nombre d’acteurs, bien représentés par le Sénat et l’Association des maires de France, font du ZAN une croisade urbain/rural de plus. […] Il n’y a cependant pas un ZAN des villes et un ZAN des champs ».

Les chiffres le confirment. Dans une étude récente portant sur la très attractive région Nouvelle-Aquitaine, l’économiste Olivier Bouba-Olga montre que « si la dynamique démographique capture une très grande partie des différences géographiques de consommation d’espaces à vocation résidentielle, certaines intercommunalités s’écartent du niveau attendu, avec un rythme de consommation significativement inférieur ou supérieur à celui que l’on pourrait attendre ».

De même, les chiffres nationaux montrent qu’à attractivité proche, la métropole de Toulouse s’étale bien davantage que Rennes, où le logement fait l’objet d’une politique très régulée.

Comment se partager alors les précieux hectares qui sont encore artificialisables ? Les différents échelons territoriaux dialoguent actuellement intensément. Mais pour Stella Gass, directrice de la Fédération nationale des Scot1, les délais imposés par la loi ne sont pas tenables.

« Le ZAN enterre le modèle de développement des soixante dernières années, basé sur l’étalement urbain. Il faut donc tout réinventer. Pour ce faire, et sans entrer dans les détails du calendrier, en gros, dans deux ans, l’ensemble des acteurs doivent avoir voté des documents de planification “révolutionnaires”, le tout de façon cohérente entre les différents échelons. Le dialogue territorial étant indispensable, le délai laissé aux élus est compliqué. »

Un objectif, mais peu de moyens

Ce d’autant plus, ajoute Fanny Guillet, sociologue au CNRS, qu’« il manque des techniciens pour réussir à produire des PLU [plans locaux d’urbanisme, NDLR] de qualité en matière de sobriété foncière, surtout dans les territoires ruraux ».

« Les techniciens ne sont pas assez nombreux et sont déjà occupés par les projets validés avant la loi, abonde Stella Gass. Il est déjà compliqué pour eux de dérouler la politique existante. Comment imaginer qu’ils puissent se projeter là tout de suite dans un futur radicalement nouveau ? »

Très ambitieux sur l’objectif, le gouvernement l’est moins sur les moyens. Or, le nouveau modèle d’urbanisme va coûter très cher. La France est un pays dans lequel la terre est bon marché.

Côté privé, cela signifie qu’il est souvent moins cher pour un acteur économique de construire du neuf que de rénover de l’ancien. Côté public, la fiscalité locale incite les collectivités à laisser bâtir, car leurs recettes sont encore largement assises sur les populations et les entreprises qu’elles ont accepté d’accueillir.

Le Sénat, le Conseil des prélèvements obligatoires et d’autres institutions ont planché sur la question, avec des conclusions relativement proches. Il faudra une réforme fiscale et des dizaines de milliards d’euros d’argent public pour densifier et rénover au lieu de s’étaler. Qui paiera ?

« L’Etat a tellement encadré les dépenses des collectivités locales qu’on voit mal comment elles pourront investir dans une démarche de planification et de réhabilitation », rappelle Fanny Guillet.

Un fonctionnement qui semble d’autant moins tenable que « nombre de collectivités locales n’ont pas l’ingénierie nécessaire pour mener des opérations de réhabilitation, qui sont plus complexes que de bâtir du neuf », appuie Brigitte Bariol-Mathais, déléguée générale de la Fédération nationale des agences d’urbanisme.

Entre ces inconnues financières, les délais difficilement tenables et les réticences institutionnelles, le ZAN est-il mort-né et toute cette énergie a-t-elle été dépensée pour rien ? Non, estiment la plupart des observateurs.

« Même si l’objectif final est difficilement tenable et ne sera pas forcément tenu, la dynamique qu’il entraîne est déjà là », se réjouit l’urbaniste Daniel Béhar. En Nouvelle-Aquitaine par exemple, le rythme de consommation foncière est passé de + 0,76 % par an entre 2011 et 2016 à + 0,44 % par an entre 2016 et 2021.

« Le ZAN a énormément de vertus : il permet d’interroger la question du modèle de développement, celle de la rareté, celle de la fiscalité locale, le tout en obligeant les territoires à dialoguer et à se poser la question de leurs complémentarités », poursuit l’urbaniste.

A condition de leur donner des moyens… et bien sûr de ne pas abandonner cet objectif très peu populaire. De ce point de vue, l’intransigeance du gouvernement, si regrettable sur les questions sociales, pourrait cette fois être utile pour sortir enfin de la folie du béton.