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Le débat escamoté, note sur le rapport du COR de Juin 2023
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Le débat escamoté, note sur le rapport du COR de Juin 2023 | Le Club (mediapart.fr)
Henri Sterdyniak, membre du comité d'animation des Économistes atterrés, livre sa lecture du rapport du comité d'orientation des retraites publié le 22 juin dernier, qui intègre la projection des effets de la contre-réforme des retraites adoptée ce printemps.
Le rapport 2023 du COR, publié le 22 juin, dresse les nouvelles perspectives du système de retraite français, compte tenu de la réforme imposée par le gouvernement au premier semestre. Par rapport à la projection figurant dans le rapport de septembre 2022, la réforme induit un certain report de l’âge moyen de départ à la retraite et une hausse des plus basses retraites, du fait de la revalorisation et de l’indexation du minimum contributif.
Le rapport ne présente guère d’innovations avec les rapports précédents, tant dans sa méthode que dans ses résultats[1]. Le système de retraite français présenterait un léger déficit dans les années à venir (0,4 % du PIB en moyenne, dans les 25 prochaines années) sous l’hypothèse d’un net recul de l’âge moyen de liquidation des pensions et d’une forte baisse du niveau des pensions par rapport aux salaires. La part des retraites dans le PIB resterait stable, mais la part des ressources qui lui sont affectées diminuerait nettement en raison de la baisse des transferts publics.
Remarquons une nouvelle fois que les publications à de courts intervalles de ces rapports donne l’impression que l’équilibre du système des retraites est toujours problématique, ce qui fragilise sa crédibilité. D’autant que le projecteur des médias et des responsables politiques se braque sur un déficit dont la prévision est très fragile et qui est, en tout état de cause, très faible. Par contre, le choix social entre âge de départ, niveau des cotisations et niveau des pensions n’est pas clairement posé. Le COR ne présente pas l’autre scénario : maintien du niveau relatif des pensions, maintien des conditions de départ, financement par hausse des cotisations.
Les hypothèses discutables de la projection
Compte tenu de la structure démographique française (le départ à la retraite des baby-boomers, l’allongement de la durée de vie), le ratio démographique 65+/20-64 passerait de 0,375 en 2022 à 0,535 en 2050 ; soit une hausse de 42,5 %.
La population active disponible augmenterait de 2,8% jusqu’en 2036 (+ 0,15 % par an), soit une quasi-stagnation, puis baisserait de 4 % de 2040 à 2070 (-0,13 % par an). Le COR reprend telles quelles les projections de l’INSEE. Celles-ci supposent que le taux d’activité des femmes de 25 à 54 ans n’augmenterait plus, de sorte que l’écart avec celui des hommes perdurerait. Le COR ne modifie pas l’évolution de la population active disponible selon le taux de chômage. Or, l’estimation du taux de chômage actuel, 7,1 %, passe à 14 % si on tient compte des chômeurs découragés et (pour moitié) des actifs en temps partiel subi, de sorte qu’une situation de quasi-plein emploi augmenterait la population active disponible (en particulier pour les femmes).
Comme dans le rapport de 2022, la projection du COR retient quatre hypothèses pour la croissance annuelle de la productivité du travail : 0,7 % ; 1,0 % ; 1,3 % ; 1,6 %. La projection à 1 % est privilégiée ; la croissance du PIB serait alors de 1,6 % dans les 5 années à venir (par effet de rattrapage), puis de 1,4 % les 5 années suivantes, pour se réduire ensuite à 0,9 % l’an. Comme les rapports précédents, celui-ci n’incorpore aucune réflexion sur l’évolution de l’emploi et la prise en compte des contraintes écologiques. En sens inverse, il n’y a pas d’effet favorable sur la productivité du travail des réformes mises en œuvre par les gouvernements Macron. Une croissance à 1 % l’an, jusqu’en 2070, suppose un niveau de vie plus élevé de 64 % en 2070, ce qui est peu crédible.
Le COR présente trois hypothèses pour le taux de chômage de long terme : 4,5 % ; 7 % ; 10 %. La projection à 4,5 % du taux de chômage est maintenant privilégiée, cela étant justifié par les réformes structurelles mises en œuvre par les gouvernements Macron, mais qui apparaît optimiste compte tenu des évolutions récentes. C’était la projection à 7 % du taux de chômage qui était privilégiée dans le rapport précédent ; ce nouveau choix réduit d’environ 0,3 % du PIB le déficit projeté du système des retraites. Le COR suppose que l’emploi est égal à la population active disponible corrigé du taux de chômage d’équilibre postulé (4,5 % dans le scénario central). Cette méthode implique que le recul de l’âge de la retraite, et donc la hausse de la population active disponible des 60-64 ans, se traduit automatiquement par une hausse de leur emploi (corrigé du taux de chômage moyen) ; elle ne prend pas en compte les difficultés spécifiques de cette classe d’âge à se maintenir en emploi.
Pour le secteur privé, le COR fait l’hypothèse que le salaire réel (le SMPT réel, salaire moyen par tête) progresse comme la productivité du travail. Par contre, pour le secteur public, le COR reprend les hypothèses fournies par la Direction du budget. Le nombre de fonctionnaires serait stable jusqu’en 2032, sauf les 15 000 emplois dans les hôpitaux promis au Grenelle de la Santé, puis diminuerait comme la population active disponible, soit une baisse de 3,5% de 2023 à 2070. La nécessité d’embauche importante dans l’éducation, la santé, la culture est oubliée.
De 2023 à 2027, l’indice de la fonction publique perdrait 10,1% en pouvoir d’achat, alors que le pouvoir d’achat dans le privé augmenterait de 1,3 %. Toutefois, la part des primes augmenterait pour assurer le maintien du pouvoir d’achat des fonctionnaires. De 2027 à 2032, l’indice serait stable en pouvoir d’achat quand le SMPT réel augmenterait de 5 %. De 2032 à 2037, la croissance de l’indice dans la fonction publique rejoindrait progressivement celle des salaires du privé. Au total, l’indice de la fonction publique perdrait environ 20 % par rapport à l’évolution des salaires du privé, ce qui permettrait de diminuer le niveau relatif des pensions du public. Aucune leçon n’est tirée de la dégradation de l’attractivité des emplois publics. La part des primes dans les salaires des fonctionnaires passerait de 21 % en 2022 à 35 % en 2037. Compte tenu de ces hypothèses, la part du traitement des fonctionnaires dans la masse totale des rémunérations passerait de 10,5 % à 7,7 %. Une variante est mentionnée ? annoncée où l’indice des traitements évoluerait comme le SMPT, mais ses résultats ne sont pas publiés.
Prolonger une gestion restrictive
Conformément à sa méthode habituelle, le COR prolonge jusqu’en 2070 la gestion actuelle des systèmes de retraite. Ainsi, dans le Régime général, les salaires portés aux comptes et les pensions évoluent en projection comme l’indice des prix hors tabac. De ce fait, le ratio pension/salaires diminue au cours du temps d’autant plus que la hausse des salaires (prix ?) est forte. Il semble que l’ASPA (le minimum vieillesse) ne soit lui aussi indexé que sur les prix. Par contre, le Minimum contributif majoré est maintenant indexé sur le SMIC (sachant que l’indexation ne vaut qu’au moment de la liquidation de la pension ; une fois liquidée, la pension évoluerait comme les prix).
A l’AGIRC-ARRCO, selon l’accord de 2019 (imposé par le MEDEF qui refuse toute hausse de cotisations, signé par tous les syndicats, sauf la CGT) la valeur de service du point baisse de 1,16 % par an par rapport à la valeur d’achat, indexée sur le SMPT, cela de 2019 à 2034. Cela induit une baisse de 21,2 % du rendement du système et donc la baisse du niveau relatif des retraites complémentaires, quelle que soit la croissance de la productivité.
Dans la fonction publique, le niveau relatif des retraites baisse en raison de la baisse du traitement indiciaire par rapport au SMPT.
Les départs à la retraite
La projection incorpore les mesures incluses dans la réforme des retraites de 2023[2]. Compte tenu des mesures déjà prises, l’âge moyen de liquidation de la retraite passerait de 62,4 en 2021 à 64,6 ans à partir de 2040 (contre 63,8 ans dans le rapport précédent, soit 0,8 année supplémentaire).
La durée de la retraite représentait 30% de la durée de vie pour la génération 1950 (partie à la retraite vers 2012) ; 28,2 % pour les générations 1955-60 (parties à la retraite vers 2015-2022). Elle devrait baisser jusqu’à 27 % pour les générations 1965-1970 (qui partiront à la retraite en 2025-2030) avant de remonter sous l’effet de la hausse de l’espérance de vie. Les 28,2 % ne seront retrouvés qu’à la génération 1988 (vers 2050). Le recul de l’âge de départ à la retraite est plus rapide que la hausse de l’espérance de vie, contrairement à ce que prévoyait la réforme Touraine.
Le report de l’âge légal de départ à la retraite et la hausse de la durée de cotisations requises se traduirait par une baisse de l’ordre de 300 000 du nombre de retraités (-1,5% en 2030) et donc une hausse de 1 % de la population active disponible et, par construction, de l’emploi.
Le ratio retraités/cotisants passerait de 0,565 en 2021 à 0,683 en 2050, soit une hausse de 21 % (au lieu de 28 % dans le rapport précédent, du fait du changement de l’hypothèse de taux de chômage et de la réforme de 2023).
Une projection du solde fragile et contestable[3]
Les dépenses de retraites représentaient 13,7 % du PIB en 2021 (dont 1 point est repris par les prélèvements pesant sur les retraites). Elles seraient de 13,6% du PIB en 2027. Dans la projection à 1 %, elles seraient de 13,5 % du PIB en 2032 ; de 13,2 % en 2050 ; de 13,0 % en 2070 (au lieu de 13,7 % dans le rapport précédent). Elles seraient donc parfaitement contenues (et même beaucoup trop contenues compte tenu de l’évolution démographique).
En fait, dans la projection à 1%, la pension moyenne passerait de 50,4 % du salaire moyen en 2021 à 43% en 2050 (-15 %), puis à 40 % (-20,6 %) en 2070. C’est ainsi que la part des retraites dans le PIB n’augmenterait pas. Cette baisse résulte de la stagnation passée des salaires réels mais aussi de choix politiques, la non-indexation des salaires pris en compte et des retraites sur les salaires, le refus du Medef d’augmenter les taux de cotisations dans les régimes complémentaires, la baisse du pouvoir d’achat de l’indice des traitements de la fonction publique,
Ainsi, le taux de remplacement net du salarié non-cadre du privé baisserait de 77% (génération 1940) à 67,5 % (génération 2000), soit de 12,35 % ; celui d’un fonctionnaire de catégorie B de 63 % (génération 1945) à 53% (génération 2000), soit de 16 %.
En 2021, le niveau de vie des retraités serait de 101,5 % de celui de l’ensemble de la population[4]. Il ne serait plus que de 89% en 2050 ; de 84 % en 2070. Le système de retraite français perdrait sa première caractéristique : fournir aux retraités un niveau de vie égal à celui des actifs. Les retraités seraient de nouveau la partie pauvre de la population.
Selon le COR, la réforme de 2023 permettrait une hausse de la pension moyenne de 1,5 % en 2050, de 2,4 % en 2070 (allongement des carrières, hausse du minimum contributif majorée, transformation de la MDA (sigle ?) en hausse de la retraite pour certaines femmes), mais cela ne fait que diminuer la baisse relative du niveau des pensions. Par ailleurs, la durée de retraite baisse d’environ 3 %.
Les ressources du système des retraites sont passées de 12 % du PIB en 2005 à 13,8% en 2022. En projection, elles baisseraient à 12,5 % en 2050, à 12,2 % en 2070 (contre 12,6 % dans la projection de septembre 2022). C’est cette baisse qui explique le creusement du déficit du système des retraites. Cette baisse de 1,6 point s’explique pour 1,1 point par la baisse des contributions de l’État aux régimes de retraites publiques et aux régimes spéciaux, pour 0,2 point par la baisse relative des salaires des collectivités locales et des hôpitaux, donc de leurs cotisations, pour 0,2 point par la baisse des versements de l’Unédic et de la CAF (moins de chômeurs et moins d’enfants). Cette baisse profiterait donc à d’autres administrations à qui elle permettrait d’avoir un solde plus positif.
Notons que c’est la double peine pour les fonctionnaires : la stagnation de leur traitement indiciaire devient un argument pour baisser les retraites.
Le solde du système des retraites passerait donc d’un excédent de 4 milliards en 2022 et 2023 à un déficit de 0,6 point de PIB dès 2040, 0,8 point en 2070. En moyenne, sur 25 ans, de 2023 à 2037, le déficit serait de 0,4 point de PIB. Il n’y aurait aucun déficit (et même un excédent de 0,4 point) si la part des ressources dans le PIB restait constante.
Le COR reconnaît lui-même que ses prévisions du solde des régimes de retraite sont fragiles : en 2020, il prévoyait pour 2022 un solde de -10,4 milliards ; il a été finalement de +4,4 milliards. L’expérience récente montre, malheureusement, qu’il est facile d’améliorer le solde en n’indexant pas convenablement les retraites. Par ailleurs, un solde migratoire de +120 000 par an au lieu de +70 000 améliorerait le solde de 0,8 point de PIB.
Par ailleurs, un niveau de chômage durablement à 4,5 % induirait un excédent de 0,8 point du PIB de l’Unédic, qui pourrait être utilisé pour financer les retraites via un ripage de cotisations.
Il faut noter que le déficit apparaît au niveau de la CNAV (0,95 point de PIB en 2070) et de la CNRACL (0,25 point de PIB en 2070) tandis que les régimes complémentaires seraient en excédent (de 0,35 point de PIB), ainsi que les régimes de non-salariés (de 0,05 point). L’accord de l’AGIRC-ARRCO prolongé jusqu’en 2034 est l’un des principaux responsables de la baisse relative des retraites.
Un choix social à faire
Les générations futures souffriront à la fois d’une baisse de la durée de leur retraite et d’une baisse de leur niveau relatif de pension. En 2022, les dépenses et les recettes du systèmes des retraites représentent 13,8 % du PIB. Le COR prévoit qu’en 2050 les dépenses de retraites représenteront 13,2 % du PIB, et les recettes du systèmes 12,5 % du PIB ; il faudrait qu’elles en représentent 14,6 % pour maintenir le niveau de vie relatif des retraités ; 15,7 % pour maintenir en plus les conditions ce départ à la retraite de 2022. Les 2 points de PIB à trouver par rapport à la situation actuelle pourraient être obtenus pour 0,8 point en utilisant des cotisations chômage ; pour 1,2 point par une hausse progressive de 3 points des cotisations retraite.
En 2070, le COR prévoit que les dépenses seront de 13 % du PIB, et les recettes de 12,2 % du PIB ; elles devraient en représenter 14,9 % pour maintenir le niveau de vie relatif des retraités ; 16 % pour maintenir les conditions de départ de 2022. Ce ne sont pas des chiffres excessifs compte tenu du vieillissement de la population.
Ainsi, la question n’est pas celle du léger déficit du système de retraite (0,4 % du PIB dans les 25 années à venir), dont l’estimation est fragile, qui pourrait être comblé par un transfert des cotisations chômage. C’est celui de l’acceptation du report de l’âge de la retraite. A moyen terme, c’est celui de l’acceptation ou non, de la paupérisation progressive des retraités.
[1] Les attaques orchestrées par le gouvernement, celles de François Bayrou ou de Jean Peyrelevade, reprises par la presse de droite, accusant le COR d’avoir changé de diagnostic entre septembre 2022 et juin 2023 sont donc malvenues.
[2] Toutefois, en ce qui concerne la hausse de la durée requise pour le taux plein, le COR considère que la réforme ne consiste qu’en l’avancement de la hausse par rapport à ce qui était déjà prévu dans la réforme Touraine.
[3] Nous nous limitons ici à la projection (1% de gain de productivité ; 4,5% de taux de chômage).
[4] En fait, il n’est que de 97 % du niveau de vie de la population d’âge actif car les enfants de 0 à 20 ans ont un niveau de vie plus bas de 10 % que l’ensemble de la population.