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L’Allemagne redoute de s’enfoncer dans la récession
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le recul de la croissance allemande traduit les difficultés économiques du pays, entre inflation, transition écologique complexe et pénurie de main-d’œuvre.
L’Allemagne est-elle en passe de regagner le titre d’« homme malade de l’Europe », comme ce fut le cas à la fin des années 90 ? Le modèle industriel de la première économie européenne est en effet ébranlé par la crise énergétique, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, qui ont provoqué une baisse de la demande. Par ailleurs, le contexte géopolitique tendu et instable affecte une économie allemande très mondialisée.
Alors que la plupart des voisins européens ont enregistré une légère reprise début 2023, la première économie d’Europe est ainsi sortie de l’hiver légèrement grippée en alignant une baisse de croissance sur deux trimestres consécutifs (4ème trimestre 2022 à - 0,5 % et 1er de 2023 à - 0,3 %). Soit une récession technique dont personne ne sait si elle va durer, ni combien de temps.
Pour l’instant, les instituts de conjoncture restent maussades car la consommation des ménages est toujours en berne (- 1,2 % au 1er trimestre). La remontée de 0,3 % du taux d’inflation allemand en juin 2023 (+ 6,4 %), laisse même les experts craindre une seconde vague inflationniste en Allemagne en juin 2023.
« Avec une augmentation de 13,7 % par rapport à l’année précédente, les produits alimentaires restent le moteur le plus puissant de la hausse des prix », précise Ruth Brand, présidente de l’Office fédéral de la statistique (Destatis).
Pour l’instant, les entreprises allemandes tournent encore sur la lancée des carnets de commandes qui se sont regonflés après la pandémie. Selon une enquête de la Bundesbank, les bénéfices ont ainsi été au rendez-vous l’année dernière, pour les groupes cotés en Bourse avec des bénéfices opérationnels d’un montant total de 2 400 milliards d’euros. Mais les signaux d’alarme se multiplient.
Vers la fin des subventions
En Europe, le constructeur Volkswagen a ainsi construit 97 000 unités de ses modèles électriques entre janvier et mai. Mais il n’en a vendu que 73 000. La guerre des prix lancée par Tesla au printemps, l’inflation, le coût élevé de l’électrique, ou le développement trop lent des réseaux de chargement freine les acheteurs et n’augure rien de bon pour une entreprise qui doit impérativement réussir le passage à la mobilité électrique.
Pour couronner le tout, le gouvernement fédéral est en train de réduire les aides à l’électrique. Les moteurs hybrides ne sont plus subventionnés. Quant au « bonus environnemental », de 4 000 à 5 000 euros par voiture, il ne sera plus versé à partir de septembre qu’aux particuliers qui achètent un véhicule dont le prix est inférieur à 45 000 euros. Et il disparaîtra complètement au 1er janvier 2024.
L’important secteur de la chimie se bat de son côté pour la reconduction en 2024 des subventions gouvernementales destinées à alléger la facture énergétique des entreprises les plus voraces en gaz et en électricité. L’usine-mère de BASF à Ludwigshafen, qui va supprimer 2 600 emplois, a certes réduit sa consommation de gaz de 35 % entre 2021 et 2022, mais elle affiche tout de même 1,4 milliards d’euros de surcoûts sur le gaz naturel pour 2022.
Le ralentissement de la conjoncture nationale et internationale aidant, l’industrie chimique (sans la pharmacie) a dû faire face à une baisse de production de près de 20 % au 1er trimestre par rapport à la même période en 2022. A la Fédération de l’industrie chimique (VCI), on évoque désormais l’option des délocalisations et/ou de la désindustrialisation.
L’espoir douché de perspectives économiques positives
Quitter Allemagne n’est en revanche pas une option pour les entrepreneurs du BTP, un autre secteur dans la tourmente. Après plusieurs années fructueuses, la construction de logements et de maisons individuelles est freinée par la remontée, depuis le Covid, du coût d’un certain nombre de matériaux. S’y ajoutent désormais celle des taux d’intérêt et le renchérissement, en conséquence, du coût des crédits.« Les projets d’achats sont moins nombreux. Je ne place plus que les meilleurs appartements à une clientèle aisée. Quant au locatif, la situation est sous tension puisque l’Allemagne manque déjà de 700 000 logements. Les prix des loyers remontent d’autant », explique l’agente immobilière Annette Kindervater, active sur la région Berlin-Brandebourg.
« Il est regrettable que les perspectives économiques un peu plus positives qui s’étaient dessinées au printemps se soient à nouveau évanouies », expliquait fin juin le professeur Sebastian Dullien, directeur scientifique de l’Institut d’études macroéconomiques (IMK), le centre de conjoncture des syndicats allemands. L’IMK prévoyait alors un recul de - 0,5 % pour le PIB, de - 1,6 % pour la consommation des ménages et de - 2,3 % pour les salaires en 2023. Le tout suivi d’un retour à la croissance en 2024 (+ 1,2 %).
« Mais l’espoir de raffermissement de la conjoncture que nous avions en juin, entre autres basé sur une bonne tenue des commandes industrielles en mai 2023, ne semble pas se confirmer. A la mi-juillet, notre indice conjoncturel qui mesure les risques de récession à trois mois est passé de 49,3 % de probabilité à près de 80 % de risques de récession. Notamment au vu de la remontée des taux de la Banque centrale européenne, du reflux des plans d’aides publiques contre la cherté de l’énergie, de l’inflation encore haute et de la faiblesse des exportations », explique l’économiste Thomas Théobald (IMK) qui considère la croissance 2023 comme « pliée ».
La complexe transition écologique
Dans un contexte de ralentissement des échanges internationaux, le président de l’Institut d’études économiques de Munich (IfO) Clemens Fuest, estime que les difficultés liées à la transition énergétique vont freiner la croissance allemande sur le long terme :« Les années à venir seront difficiles. Tout porte à croire que nous allons connaître une période de croissance maigre. Toutes les économies nationales doivent certes faire face à la transition écologique. Mais nous devons en plus sortir du nucléaire et la population active diminue », explique ce dernier, dans une longue interview au quotidien Handelsblatt.
Au début de l’année, le chancelier Olaf Scholz (social démocrate du SPD) et son ministre de l’Economie et de la Transition énergétique Robert Habeck (parti écologiste) ont parié sur une reprise basée sur une « politique de l’offre transformatrice ». Pour simplifier, ils estiment que le passage à un nouveau modèle énergétique basé sur le renouvelable peut déboucher sur un nouveau « miracle économique » appuyé sur un boom technologique, doublé d’un renouvellement des infrastructures et d’un courant électrique bon marché qui pourrait soulager les secteurs les plus énergivores.
Sauf que même si l’installation de nouvelles capacités électriques, surtout solaires, est relancée (+ 15 gigawatts de capacité attendus pour 2023, soit cinq grosses centrales nucléaires), la transition énergétique se révèle complexe, tant sur le plan réglementaire que matériel et social. Le récent cafouillage autour du projet de renouvellement des appareils de chauffage en est un bon exemple.
Pénurie de main-d’œuvre
Peu lisible sur la question des subventions, celui-ci a été l’occasion d’un affrontement politique entre les verts d’un côté, favorables à une interdiction rapide et stricte des nouvelles chaudières à gaz et au fuel, et les libéraux et sociaux-démocrates de l’autre, enclins à plus d’exceptions ainsi qu’à une phase de mise en œuvre plus longue. Mais c’est finalement l’opposition conservatrice qui a réussi à faire repousser le vote la loi à l’automne.
« Aujourd’hui, les clients sont dans le doute. Ils nous demandent des devis mais rechignent à commander les pompes à chaleur. De leur côté, les constructeurs ont ralenti la production », se plaint un chauffagiste de Prenzlau.
Ingo Weber, directeur général de l’entreprise berlinoise Elpro, attire enfin l’attention sur un dernier problème ô combien dangereux pour l’économie allemande. Celui du manque de main-d’œuvre. Les trois cents salarié·es d’Elpro produisent des stations électriques pour parcs solaires et éoliens, des panneaux de contrôle pour la production d’hydrogène ou encore des armoires électriques pour les chemins de fer.
« Ce sont deux secteurs avec des perspectives de croissance énormes. Je devrais être parfaitement heureux. Mais la pénurie de main-d’œuvre nous oblige à refuser bien des projets. Aujourd’hui, nous pourrions embaucher soixante-dix personnes tout de suite. Mais, nous ne trouvons pas », regrette-t-il.
L’Allemagne doit composer à la fois avec une population vieillissante, une concurrence étrangère de plus en plus féroce sur des segments traditionnels de son économie, et mener sa transition énergétique à marche forcée depuis l’électrochoc de la guerre en Ukraine. Le pays risque d’avoir du mal à jouer sa partition sans fausses notes dans les années à venir.