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Guerre au Sahel ? Non !

Niger

Lien publiée le 6 août 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Guerre au Sahel ? Non ! – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

Le 26 juillet dernier, un coup d’État s’est produit au Niger. Depuis l’indépendance (1960) des coups d’Etat ont eu lieu à Niamey en 1974, 1996 et 2010. Mais celui-ci est le premier dans lequel la France n’est pour rien. Le président élu en 2020 dans le cadre d’institutions à la fois autoritaires, clientélistes et fragiles, Mohamed Bazoum, dirigeant d’un parti se présentant comme social-démocrate, est « consigné dans sa résidence » mais n’a ni démissionné ni accepté le coup, dont le chef, Abdouramane Tchiani, commandait la Garde présidentielle dont Bazoum l’avait viré. La corruption endémique et l’inefficacité face aux djihadistes sont les deux maux invoqués pour justifier le coup. Or, Tchiani, dirigeant militaire, est le champion de l’une et de l’autre depuis des années !

Suite au coup, des jeunes sont sortis dans la rue et ont assiégé l’ambassade française en exigeant le départ de la France, mais aussi en brandissant des drapeaux russes et des pancartes à la gloire de Poutine. Comme dans tout le Sahel, le mouvement d’opinion contre la France est profond et légitime. L’ancienne puissance coloniale a maintenu, et largement profité, de relations asymétriques. Dans le cas du Niger, la question de l’uranium, exploité par la société liée à l’État français qu’est Orano, ex-Areva, est bien entendu centrale. Cet uranium a joué un grand rôle dans le complexe électronucléaire et du même coup (car, rappelons-le : les deux sont indissociables), militaro-nucléaire, français, et il représente encore environ 18% de la consommation annuelle des centrales françaises, le Niger étant le vendeur officiel, exportant aussi vers le reste de l’Europe, Oreva assurant l’extraction. La rente payée à l’État nigérien est décisive dans son fonctionnement et l’entretien de la couche gouvernante.

Ces derniers jours, on a donc l’apparence d’une confrontation entre une ancienne colonie et « sa » puissance impérialiste dominatrice. La France a évacué les résidents français le souhaitant et d’autres ressortissants européens, mais, enjointe de retirer ses troupes (1600 militaires), elle annonce ne pas en avoir l’intention car le coup d’État est tenu pour illégal et n’est pas entériné par le président « déchu », mais toujours agissant depuis sa résidence où les putschistes le confinent, mais visiblement sans tout contrôler.

Le rôle de la Russie et des milices Wagner, officiellement absentes au Niger mais qui ont déclaré soutenir le coup, alors que la Russie appelle officiellement au « dialogue », fait que cette situation peut susciter une sorte de tension impuissante : si vous appuyez les aspirations légitimes à se défaire de la tutelle française, vous faites le jeu de l’impérialisme russe, mais si vous dénoncez celui-ci, vous faites le jeu de l’impérialisme français. Où est l’intérêt des peuples du Niger ? La situation réelle est-elle vraiment à l’image d’une confrontation entre des militaires et une jeunesse anti-impérialiste mais soutenus par la Russie et le vieil et poussif impérialisme français au rôle toujours cardinal en Afrique ?

En réalité, la France est à la peine pour intervenir directement et ouvertement, car elle l’a justement souvent fait. La Françafrique sous la conduite du président Macron aboutit à une catastrophe. Rappelons sommairement les étapes de cette crise chronique et à présent aigüe.

En 2011-2012 les « printemps arabes » sont autant de révolutions pour la démocratie, de vraies révolutions. Au Sud du monde arabo-musulman, elles ont leurs répondants en Afrique, dans le soulèvement démocratique et révolutionnaire de la nation burkinabé en 2014 et dans l’insurrection de la jeunesse au Sénégal. Cependant, ces mouvements, comme dans les autres pays, ne parviennent pas à porter au pouvoir des forces rompant pleinement avec l’ordre international, et la spirale de la pauvreté n’est pas arrêtée.

D’autre part, c’est la France, avec l’Italie, qui provoque une intervention de l’OTAN en Libye où la révolution a éclaté, et en confisque pratiquement le déroulement, le dictateur Kadhafi étant prestement liquidé, ce qui arrangeait bien les affaires de son débiteur Sarkozy. Mais les morceaux des milices de son appareil d’État, reconvertis en « djihadistes », tentent une OPA sur le delta intérieur du fleuve Niger, au Mali, et de là sur tout le pays. La résistance populaire et une intervention française dirigée par le président Hollande, élu en 2012 contre Sarkozy, les bloquent alors, mais, fusionnant avec des émanations de la Sécurité Militaire algérienne bien présente depuis le début dans les Groupes islamistes armés, les djihadistes prennent le contrôle des peuples Touaregs et rayonnent sur toute la zone sahélienne.

De plus, un foyer différent, celui de Boko Haram, se développe depuis le Bornou, Etat au passé précolonial impérial et esclavagiste au Nord-Est du Nigéria – Boko, de l’anglais book, livre, désigne l’écriture des langues haoussa et kanouri (répandues dans tout le Nord du Nigéria et le Sud du Niger et du Tchad) en caractères latins, par opposition aux caractères adjami repris de l’arabe ; Boko haram veut donc dire interdiction de tout ce qui est censé être non-musulman. Ce mouvement ultra-réactionnaire, violent et antiféministe se développe en défense du caractère obligatoire de la charia dans les Etats du Nord du Nigéria, avec des soutiens dans leurs appareils d’État, et en recrutant dans la jeunesse paupérisée, et il s’affilie ensuite à l’ « État islamique » de Daesh.

Fondamentalement, c’est le piétinement de la révolution nationale et démocratique burkinabé et la non-construction nationale des autres États de la région, issus de la colonisation, qui ont conduit à une crise combinée de tous les services publics d’État et à la possibilité pour les djihadistes de recruter, voire de payer (sous la forme d’une mobylette, par exemple), des jeunes paupérisés, notamment parmi les Peuls. Passé son succès apparent initial, l’intervention militaire française au Mali (Serval puis Barkhane) s’est installée dans un piétinement permanent n’ayant en fait pas vocation à liquider les djihadistes, ce qui est impossible sans donner une autre perspective aux jeunes Peuls et d’autres peuples, mais à utiliser leur présence comme motif pour rester et assurer une tutelle perçue désormais comme totalement illégitime.

Nous pouvons donc dire que c’est la décomposition de la Françafrique qui a nourri l’effondrement des services publics des États – y compris de ceux mis en place auparavant en relation avec la Coopération française – et la diffusion d’un djihadisme mélangeant des éléments de banditisme social, de réaction patriarcale obscurantiste et de manipulations par divers services secrets.

Plus encore : l’impéritie française en perpétuant une situation vécue comme n’ayant que trop duré, a ouvert la voie à l’arrivée de l’impérialisme russe. Celui-ci avait des liens anciens, remontant à l’URSS, avec les appareils d’État libyen et soudanais. Au Soudan, « organes » russes puis Wagner sont venus jouer un rôle de répression contre-révolutionnaire direct, et d’encadrement des nervis Janjawids et militaires contre le mouvement populaire, les comités de quartiers et les syndicats, particulièrement depuis 2019. L’actuelle guerre civile entre deux factions militaires a permis de faire fuir, de tuer ou de contraindre à se cacher ce mouvement d’auto-organisation, le plus avancé du continent. En Lybie, la Russie chapeaute les forces du général Haftar, qui tient la Cyrénaïque. Depuis ces deux points de départ, les Wagner se sont vendus à la frêle présidence centrafricaine que des décennies d’interventions françaises n’ont jamais consolidée. La République centrafricaine a été la première ex-colonie française « chipée » par Wagner, qui y terrorise, et exploite les mines d’or aussi bien que les brasseries.

L’héritage final de l’impérialisme français, ce sont donc les djihadistes plus les Wagner !

Au Mali, depuis le coup d’État de 2020, le général Goïta a entrepris de mettre en place un régime dictatorial s’appuyant principalement sur les Wagner, en présentant comme « anti-impérialiste » cette sujétion de plus en plus coloniale, les forces françaises, onusienne et panafricaines étant invitées à partir. En mars 2022, au moment même où ils violaient et tuaient à Boutcha en Ukraine, les Wagner ont massacré 500 villageois, la plupart peuls mais pas tous, à Moura, tout le dispositif de propagande mis au point depuis des années (avec parmi ses hommes-clefs le « nazi africain » revendiqué Kémi Séba), tentant de faire la fumée autour de ces crimes coloniaux.

Au Burkina, le fruit a mis beaucoup plus de temps à tomber car on a ici, depuis Sankara, liquidé par ses pairs en relation avec la France en 1986, une vraie tradition nationale-démocratique et anti-impérialiste, mais, de coup d’Etat en « rectifications », le pouvoir est parvenu aux mains d’un second Goïta, Ibrahim Traoré.

En Centrafique, au Mali, au Burkina, malgré les grandes différences, le processus de formation de pouvoirs autoritaires partiellement inféodés à l’impérialisme russe (le plus soumis est à Bangui, le moins sous contrôle direct à Ouagadougou), a résulté de l’incapacité des Etats existants étayés par l’impérialisme français à faire face, comme ils prétendaient le faire, à la diffusion djihadiste et à l’effondrement des services publics, accéléré par les djihadistes, qui, notamment, empêchent les écoles d’exister.

Le « président de la transition » (sic) de Guinée, le militaire Mayadi Doumbouya, au pouvoir par la force depuis septembre 2021, passe, lui aussi pour avoir rallié le « club russe ». Il faut cependant rester très prudent sur ce processus d’inféodations. Les petits chefs militaires qui tentent de se dégager de la France en crise, cherchent à avoir plusieurs parrains, et la Turquie, la Chine, mais aussi les Etats-Unis, font partie de leur panoplie. En somme, ces « anti-impérialistes » vendent leurs pays aux enchères et tentent de faire monter les prix entre plusieurs puissances tutélaires : on appelle ça le « monde multipolaire » !

D’autre part, s’il est vrai qu’à ce petit jeu l’impérialisme russe a pris ou repris beaucoup de gains, il est encore plus que la France totalement incapable, et nullement désireux, de réguler ou d’administrer une région où les peuples sont, de plus en plus, en mouvement. Son expansion récente depuis la Lybie et le Soudan vers la République centrafricaine puis le Mali et éventuellement le Burkina, la Guinée voire le Niger, fait suite à l’effondrement de plusieurs Etats et s’inscrit dans le prolongement, avant tout, de son rôle contre-révolutionnaire clef, au compte de tout l’« ordre » mondial, en Syrie. Il est surdimensionné, pillard, précaire, prédateur, susceptible de servir de manche à air à d’autres que lui – on pense à la Chine. La crise des 23-24 juin dernier en Russie a mis en question la place des milices Wagner dans tout son dispositif. C’est un élément essentiel du compromis qui a sauvé Prigojine que le maintien de Wagner en Afrique. Mais c’est aussi une bombe à retardement, et pas pour dans des années mais bien plus vite.

Si l’impérialisme français, de son côté, avait eu les moyens et la volonté de barrer la route militairement aux Wagner, il l’aurait fait. Nul « Deir Ez-Zoor » français en Afrique (en Syrie en février 2018 l’aviation américaine y a détruit les Wagner, qui accusent depuis le général Guérassimov de les avoir livrés !). Non : très clairement, l’impérialisme français, conscient de sa faiblesse mais aussi de la possibilité et même de la nécessité, par les exportations de capitaux s’ajoutant au prélèvement des matières premières, d’augmenter la plus-value perçue en Afrique, ne veut plus être seul, il veut partager. Il demande à ses « partenaires européens », qui se font tirer l’oreille, de venir se joindre à lui dans ses opérations militaires extérieures, dites « Opex ». Il ne chasse pas les Wagner quand ils arrivent, il pense à leur faire une place et à partager. D’ailleurs, rappelons que le garde du corps et sans doute plus que cela, qu’était Alexandre Benalla, pour Macron, avait affaire avec l’oligarque russe Iskandar Makmoudov, représentant d’un des grands groupes mafieux russe lié à Poutine, et que la mainmise sur l’orpaillage au Nord du Tchad, en pays Toubou, semblait faire partie de leurs « affaires » …

Donc, quand Macron déclare que la Françafrique, c’est fini, c’est n’est pas qu’hypocrisie ! Il y a une part de sincérité, en ce sens qu’il cherche à préserver les intérêts et les revenus de l’impérialisme français dans le cadre de la multipolarité impérialiste, des partages et repartages des zones d’influence et propose même des zones d’influence à plusieurs, ce que la Chine avait subi au tout début du XX° siècle : au lieu d’avoir un seul exploiteur, en avoir plusieurs, quel avenir riant pour les Africains !

Dans cette préservation, ce sont les intérêts rentiers, miniers, énergétiques, qui pèsent le plus lourd, pas les aspects coopératifs traditionnels ni culturels. La situation de Macron est contradictoire de façon d’autant plus risible qu’il semble ne même pas s’en rendre compte : il veut sortir de la Françafrique, mais pas pour décoloniser complétement, pour subsister dans le partage multipolaire du gâteau. Mais quand il déclare avoir rompu avec la Françafrique, il a à ses côtés Ali Bongo, président à vie du Gabon après son père, donc tout le monde rigole, car sans la France le père et le fiston auraient cessé de piller leur peuple depuis bien longtemps. Et voilà la « grandeur de la France » qui diminue encore un peu – elle ne l’a pas volé (enfin, si ! ) …

Ceci dit, la « perte » de la Centrafrique, du Mali, du Burkina, de la Guinée, cela finit par faire tout de même beaucoup, vraiment beaucoup. Pour le capitalisme français, c’est même un des aspects les plus catastrophiques du bilan de Macron, bien que ses causes remontent à avant 2017. Dans la zone sahélienne, le Niger et le Tchad sont les deux derniers bastions intérieurs, la situation étant de plus en plus précaire aussi au Sénégal et en Mauritanie. Le Tchad reste une dictature sanglante étayée par Paris. Le Niger avait pris figure de client multipolaire de la France et des Etats-Unis, ayant tous deux un contingent militaire, et passait pour modèle de la « bonne gouvernance ». Si le coup d’Etat de Tchiano est vraisemblablement l’effet d’une crise interne, c’est le coup d’Etat de trop par rapport aux pertes françaises déjà encaissées.

Mais tout ce qui vient d’être exposé explique la volonté française d’éviter d’avoir à intervenir directement, intervention à laquelle il conviendrait de s’opposer fermement. A sa place, la CEDEAO se met en avant, ralliée par le Sénégal, le Tchad ayant précisé qu’il resterait l’arme au pied. La CEDEAO est dominée, mécaniquement, par le Nigéria, géant économique et démographique de la région dont toute la frontière Nord borde le Niger, les peuples du Sud Niger et du Nord du Nigéria étant dans l’ensemble les mêmes. Derrière le Nigéria, il y a Washington et Londres.

Contre l’éventualité d’une intervention armée nigérienne de la CEDEAO, les « hommes forts » malien et burkinabé, Goïta et Traoré, ont déclaré qu’ils interviendraient contre ce qu’ils présentent comme une intervention française déguisée, en comptant sur l’aide russe. Aide nullement certaine. Des trolls prorusses sur les réseaux sociaux ont raconté que Traoré aurait interdit l’exportation d’uranium du Burkina vers la France, mais l’uranium burkinabé n’existe pas …

Ce qui se dessine, même s’il est fort possible que cela n’ait pas lieu, qu’un « arrangement » soit bâclé à Niamey, c’est une guerre honteuse d’États africains entre eux : le Nigéria, suivis de tous les pays de la côte sauf la Guinée, contre le Mali et le Burkina avec le Niger déchiré pour enjeu. Une misère meurtrière dans laquelle les peuples, souvent les mêmes de part et d’autre des frontières de ces pays, n’ont aucun désir et aucun intérêt à prendre part. D’un coté comme de l’autre, une infamie : un « anti-impérialisme » de pacotille qui se vend au plus offrant du côté des trois dictateurs sahéliens au petit pied, une soi-disant « coalition africaine »de l’autre. La France et la Russie en embuscade, comptant bien poursuivre l’exploitation de l’uranium pour l’une, la mainmise sur les champs d’orpaillage pour l’autre, tout à fait capables de négocier et de dealer en sous-main. Voilà où peut conduire la prétendue multipolarité généralisée : à une guerre de subordonnés !

Mais autre chose se dessine aussi. Au Soudan, la capacité de la population, des salariés comme des habitants des campagnes, à s’autoorganiser, a prouvé ce qu’elle peut. En Centrafrique, ce sont les bandes armées de l’appareil d’Etat, des entreprises prédatrices et des puissances tutélaires, France et Russie, qui ont semé la pagaille et la terreur, mais des mouvements villageois et tribaux d’auto-organisation pour stopper les violences (« anti-balaka »), même s’ils furent détournés et devinrent un élément de la décomposition, ont existé. La résistance démocratique cherche à y rebondir. Au Burkina, la tradition et la culture civiques, d’auto-organisation par en bas, avec des mouvements similaires à ceux de Centrafrique y compris dans la manière dont ils se sont dévoyés (les Kolgweogo, milices de brousse), et un fait national réel que ni les djihadistes ni les Wagner ne peuvent supporter ni comprendre, sont bien présents. Au Mali, la société civile comprimée, tétanisée, n’est pas morte. Dans toute la région, les peuples ressentent le fait que c’est leur union, leurs échanges, leur association, qui est l’issue.

Au moment où sont écrites ces lignes, les sénateurs des États de tout le Nord du Nigéria, Sokoto, Kebbi, Katsina, Zamfara, Jigawa, Yobe et Bornou, contraints par l’opinion publique car ce ne sont en rien des démocrates, se déclarent opposés à une guerre qu’ils présentent comme susceptible d’ouvrir une crise interne globale au Nigéria.

A la veille de l’éclatement possible d’une guerre au Sahel, fruit de la gabegie impérialiste française, de la gabegie impérialiste russe, et du djihadisme, nous affirmons que les peuples et la jeunesse majoritaire d’Afrique sont la seule force et le seul avenir possibles, et commandent le rejet d’une telle guerre, et le renversement de tous les petits potentats autoproclamés « hommes forts », à Nyamey et ailleurs.

Volodomyr Sankara, le 05/08/23.