[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Agenda militant

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

L’angle mort de la CIA sur la guerre en Ukraine

Ukraine

Lien publiée le 7 août 2023

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

» L’angle mort de la CIA sur la guerre en Ukraine (les-crises.fr)

La position de l’Amérique est menacée car la quasi-mutinerie d’Evgeny Prigozhin, chef du groupe Wagner, soulève la question de savoir si Moscou n’est pas à court d’options.

Source : NewsWeek, William M. Arkin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

L’un des plus grands secrets de la guerre en Ukraine est l’ampleur de l’ignorance de la CIA. L’Agence est aussi incertaine de la pensée et des intentions de Volodymyr Zelensky qu’elle l’est de celles de Vladimir Poutine. Alors que le dirigeant russe est confronté à son plus grand défi au lendemain d’une mutinerie ratée, l’Agence s’efforce de comprendre ce que les deux parties vont faire. En effet, le président Joe Biden a décidé que les États-Unis (et Kiev) n’entreprendraient aucune action susceptible de menacer la Russie elle-même ou la survie de l’État russe, de peur que Poutine n’aggrave le conflit et n’engloutisse toute l’Europe dans une nouvelle guerre mondiale. En échange, il estime que le Kremlin n’étendra pas la guerre au-delà de l’Ukraine et n’utilisera pas l’arme nucléaire.

« Poutine est vraiment le dos au mur », déclare à Newsweek un haut responsable des services de renseignement de la défense, qui avertit que si la CIA comprend parfaitement à quel point la Russie est coincée en Ukraine, elle ne sait pas du tout ce que Poutine pourrait faire pour y remédier. Alors que l’on parle d’un possible déploiement d’armes nucléaires russes en Biélorussie et que Prigozhin a révélé publiquement les coûts terribles des combats, ce que Moscou a étouffé, le responsable estime que le moment est particulièrement délicat. « Ce qui se passe en dehors du champ de bataille est maintenant le plus important », déclare le fonctionnaire, à qui l’on a accordé l’anonymat pour qu’il puisse parler franchement. « Les deux parties s’engagent à limiter leurs actions, mais c’est aux États-Unis qu’il incombe de faire respecter ces engagements. Tout cela dépend de la qualité de nos renseignements. »

« Il y a une guerre clandestine, avec des règles clandestines, qui sous-tend tout ce qui se passe en Ukraine », déclare un haut responsable du renseignement de l’administration Biden, qui s’est également entretenu avec Newsweek. Ce haut fonctionnaire, qui est directement impliqué dans la planification de la politique ukrainienne, a requis l’anonymat pour discuter de questions hautement confidentielles.Ce fonctionnaire (et de nombreux autres responsables de la sécurité nationale qui ont parlé à Newsweek) affirme que Washington et Moscou ont des décennies d’expérience dans l’élaboration de ces règles clandestines, ce qui oblige la CIA à jouer un rôle de premier plan : en tant qu’espion principal, négociateur, fournisseur de renseignements, logisticien, gestionnaire d’un réseau de relations sensibles avec l’OTAN et, peut-être plus important encore, en tant qu’agence chargée de veiller à ce que la guerre ne devienne pas encore plus incontrôlable.

« Ne sous-estimez pas la priorité de l’administration Biden, qui est de maintenir les Américains hors de danger et de rassurer la Russie sur le fait qu’elle n’a pas besoin d’escalade », déclare l’officier supérieur du renseignement. « La CIA est-elle présente sur le terrain en Ukraine ? » demande-t-il de manière rhétorique. « Oui, mais ce n’est pas non plus une présence malveillante. »

Newsweek a examiné en profondeur l’ampleur et la portée des activités de la CIA en Ukraine, en particulier à la lumière des questions croissantes du Congrès sur l’ampleur de l’aide américaine et sur la question de savoir si le président Biden tient sa promesse de ne pas « mettre les pieds sur le terrain ». Ni la CIA ni la Maison Blanche n’ont voulu donner de réponses spécifiques pour confirmation, mais elles ont demandé à Newsweek de ne pas révéler les lieux spécifiques des opérations de la CIA en Ukraine ou en Pologne, de ne pas nommer d’autres pays impliqués dans les efforts clandestins de la CIA, et de ne pas nommer le service aérien qui soutient l’effort logistique clandestin des États-Unis. Après plusieurs demandes de commentaires enregistrées, la CIA a refusé. Les gouvernements ukrainien et russe n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.

Au cours de son enquête de trois mois, Newsweek s’est entretenu avec plus d’une douzaine d’experts et de fonctionnaires des services de renseignement. Newsweek a également cherché à obtenir des avis contraires. Tous les experts et responsables crédibles avec lesquels Newsweek s’est entretenu s’accordent à dire que la CIA a réussi à jouer discrètement son rôle auprès de Kiev et de Moscou, à faire circuler des montagnes d’informations et de matériel et à traiter avec un ensemble varié d’autres pays, dont certains apportent une aide discrète tout en essayant de ne pas être dans la ligne de mire de la Russie. Ils n’ont pas contesté le fait que la CIA a dû se battre pour accomplir sa tâche principale, à savoir déterminer ce qui se passe dans l’esprit des dirigeants de la Russie et de l’Ukraine.

Selon les experts du renseignement, cette guerre est unique en ce sens que les États-Unis sont alignés sur l’Ukraine, alors que les deux pays ne sont pas alliés. Et bien que les États-Unis aident l’Ukraine à lutter contre la Russie, ils ne sont pas officiellement en guerre avec ce pays. Par conséquent, une grande partie de l’aide apportée par Washington à l’Ukraine est gardée secrète, et une grande partie de ce qui est normalement du ressort de l’armée américaine est réalisé par l’Agence. Tout ce qui est fait, y compris le travail à l’intérieur de l’Ukraine elle-même, doit respecter les limites fixées par Biden.

« Il s’agit d’un exercice d’équilibre délicat : la CIA doit être très active dans la guerre tout en ne contredisant pas l’engagement principal de l’administration Biden, à savoir qu’il n’y ait pas de bottes américaines sur le terrain », explique un deuxième haut responsable des services de renseignement qui a accepté de parler à Newsweek sous le couvert de l’anonymat.

Pour la CIA, son rôle majeur dans la guerre en Ukraine a permis de remonter le moral des troupes après les relations tendues entre l’ancien président Donald Trump et ses chefs de l’espionnage. Le second fonctionnaire affirme que si certains au sein de l’agence veulent parler plus ouvertement de son importance renouvelée, il est peu probable que cela se produise. « La CIA craint qu’une trop grande bravade à propos de son rôle ne provoque Poutine », explique le responsable du renseignement.

C’est en partie pour cette raison que la CIA tient également à prendre ses distances de tout ce qui suggère une attaque directe contre la Russie et tout rôle dans un combat réel – ce que Kiev a fait à plusieurs reprises, depuis le sabotage du gazoduc Nord Stream et du pont du détroit de Kertch jusqu’aux attaques de drones et d’opérations spéciales à travers la frontière. Ces attaques semblent contraires aux promesses de Zelensky selon lesquelles l’Ukraine n’entreprendrait pas d’actions susceptibles d’étendre la portée de la guerre.

« Le point de vue avancé par de nombreuses personnes selon lequel la CIA joue un rôle central dans les combats – par exemple en tuant des généraux russes sur le champ de bataille ou en menant d’importantes frappes en dehors de l’Ukraine, comme le naufrage du navire amiral Moskva – ne passe pas bien à Kiev », déclare un haut responsable du renseignement militaire à la retraite qui a accepté de parler à Newsweek sous le couvert de l’anonymat. « Si nous voulons que Kiev nous écoute, nous devons nous rappeler que ce sont les Ukrainiens qui gagnent la guerre, pas nous. »

Washington a discrètement exprimé son mécontentement au gouvernement Zelensky en ce qui concerne l’attaque de Nord Stream en septembre dernier, mais cet acte de sabotage a été suivi par d’autres frappes, y compris la récente attaque de drone sur le Kremlin lui-même. Ces événements ont soulevé des questions sur l’une des principales responsabilités de la CIA en matière de renseignement : savoir suffisamment ce que les Ukrainiens préparent pour les influencer et respecter leur accord secret avec Moscou.

Résoudre les problèmes

La CIA a joué un rôle central dans la guerre avant même qu’elle ne commence. Au début de son mandat, Joe Biden a désigné le directeur William Burns comme son « démineur de problèmes mondiaux » : un opérateur clandestin capable de communiquer avec des dirigeants étrangers en dehors des canaux normaux, quelqu’un capable d’occuper un espace géopolitique important entre le visible et le secret, et un fonctionnaire capable d’organiser le travail dans l’arène qui se situe entre ce qui est strictement militaire et ce qui est strictement civil.

William Burns, directeur de la CIA.

En tant qu’ancien ambassadeur en Russie, Burns a été particulièrement influent en ce qui concerne l’Ukraine. En novembre 2021, trois mois avant l’invasion, Joe Biden a envoyé Burns à Moscou pour avertir le Kremlin des conséquences d’une éventuelle attaque. Bien que le président russe ait snobé l’émissaire de Biden en restant dans sa retraite de Sochi, sur la mer Noire, à 1 300 km de là, il a accepté de parler à Burns via un téléphone sécurisé du Kremlin.

« D’un point de vue ironique, la réunion a été très fructueuse », déclare le deuxième haut responsable des services de renseignement, qui a été mis au courant de l’affaire. Malgré l’invasion russe, les deux pays ont pu accepter des règles de conduite éprouvées. L’administration Biden s’est engagée à ce que les États-Unis ne combattent pas directement et ne cherchent pas à changer de régime. La Russie limiterait son assaut à l’Ukraine et agirait conformément à des lignes directrices non énoncées mais bien comprises pour les opérations secrètes.

« Il existe des règles de conduite clandestines, explique le haut responsable du renseignement de défense, même si elles ne sont pas codifiées sur papier, en particulier lorsque l’on n’est pas engagé dans une guerre d’anéantissement. » Il s’agit notamment de respecter les limites quotidiennes de l’espionnage, de ne pas franchir certaines frontières et de ne pas attaquer les dirigeants ou les diplomates de l’autre partie. « En général, les Russes ont respecté ces lignes rouges mondiales, même si elles sont invisibles », précise le fonctionnaire.

Une fois que les forces russes se sont déversées en Ukraine, les États-Unis ont dû rapidement passer à la vitesse supérieure. La CIA, comme le reste de la communauté du renseignement américaine, avait mal évalué la capacité militaire de la Russie et la résistance de l’Ukraine, car la Russie n’a pas réussi à prendre Kiev et s’est retirée du nord du pays.

En juillet dernier, les deux parties se sont installées dans une longue guerre. Au fur et à mesure que la guerre évoluait, l’attention de Washington est passée de déploiements de troupes très publics et symboliques en Europe, pour « dissuader » d’autres mouvements russes, à la fourniture d’armes pour soutenir la capacité de l’Ukraine à se battre. Face au lobbying public magistral de Zelensky, les États-Unis ont lentement et à contrecœur accepté de fournir des armes de meilleure qualité et de plus longue portée, des armes qui, en théorie, pourraient menacer le territoire russe et donc flirter avec l’escalade redoutée.

« Zelensky a certainement surpassé tout le monde en obtenant ce qu’il voulait, mais Kiev a également dû accepter d’obéir à certaines lignes invisibles », déclare le haut responsable du renseignement de défense. Dans le cadre d’une diplomatie secrète largement dirigée par la CIA, Kiev s’est engagé à ne pas utiliser les armes pour attaquer la Russie elle-même. Zelensky a déclaré ouvertement que l’Ukraine n’attaquerait pas la Russie.

Une œuvre d’art à Bristol, en Angleterre, représente l’ancien acteur Zelensky dans ce que beaucoup considèrent comme son dernier rôle : un super-héros politique.

En coulisses, des dizaines de pays ont également dû être persuadés d’accepter les limites fixées par l’administration Biden. Certains de ces pays, dont la Grande-Bretagne et la Pologne, sont prêts à prendre plus de risques que la Maison Blanche ne le souhaite. D’autres, dont certains voisins de l’Ukraine, ne partagent pas entièrement le zèle américain et ukrainien pour le conflit, ne bénéficient pas d’un soutien public unanime dans leurs efforts antirusses et ne veulent pas contrarier Poutine.

C’est à la CIA qu’il est revenu de gérer ce monde souterrain, en travaillant par l’intermédiaire de ses homologues des services de renseignement étrangers et de la police secrète plutôt que par l’intermédiaire de politiciens et de diplomates. L’Agence a établi ses propres bases d’opérations et zones de transit. La CIA a demandé l’aide des voisins de l’Ukraine pour mieux comprendre Poutine ainsi que Zelensky et son administration. Le personnel de l’Agence s’est rendu en Ukraine et en est sorti pour des missions secrètes, afin d’aider à l’exploitation de nouvelles armes et de nouveaux systèmes, dont certains n’ont pas été divulgués publiquement. Mais les opérations de la CIA ont toujours été menées dans le souci d’éviter toute confrontation directe avec les troupes russes.

« La CIA opère en Ukraine, selon des règles strictes et en limitant le nombre de personnes pouvant se trouver dans le pays à un moment donné », explique un autre haut responsable du renseignement militaire. « Les unités spéciales « noires » ne peuvent pas mener de missions clandestines, et lorsqu’elles le font, c’est dans un cadre très étroit. » (Les opérations spéciales noires sont celles qui sont menées clandestinement).

Simplement, le personnel de la CIA peut régulièrement aller – et faire – ce que le personnel militaire américain ne peut pas faire. Cela inclut l’intérieur de l’Ukraine. Les militaires, quant à eux, ne peuvent pas entrer en Ukraine, sauf dans le cadre de directives strictes qui doivent être approuvées par la Maison Blanche. Cela limite le Pentagone à un petit nombre de membres du personnel de l’ambassade à Kiev. Newsweek n’a pas pu établir le nombre exact de membres du personnel de la CIA en Ukraine, mais des sources suggèrent qu’ils sont moins de 100 à tout moment.

Après le retrait public de tous les membres de l’armée américaine d’Ukraine en février 2022, y compris les forces d’opérations spéciales qui étaient restées dans les coulisses, la Maison Blanche a défini les rôles que les différentes agences pourraient jouer dans la réponse des États-Unis. Le président Biden a signé des directives de sécurité nationale et une « conclusion présidentielle » autorisant certaines opérations secrètes contre la Russie. Des « voies de circulation » ont été établies entre le Pentagone et la CIA, tout comme elles l’avaient été en Afghanistan immédiatement après le 11 septembre 2001. Burns et le secrétaire à la Défense Lloyd Austin travaillent en étroite collaboration. Les relations entre les deux agences, selon la CIA, n’ont jamais été aussi bonnes.

Le président et la première dame des États-Unis, Joe et Jill Biden, accueillent Zelensky lors de sa visite à la Maison Blanche en décembre dernier.

Aujourd’hui, plus d’un an après l’invasion, les États-Unis entretiennent deux réseaux massifs, l’un public et l’autre clandestin.Des navires livrent des marchandises aux ports de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne et de Pologne, et ces fournitures sont acheminées par camion, par train et par avion vers l’Ukraine. Dans la clandestinité, une flotte d’avions commerciaux (la « flotte grise ») sillonne l’Europe centrale et orientale, acheminant des armes et soutenant les opérations de la CIA. La CIA a demandé à Newsweek de ne pas identifier les bases spécifiques où ce réseau opère, ni de nommer l’entreprise qui exploite les avions. Le haut fonctionnaire de l’administration a déclaré qu’une grande partie du réseau avait été gardée secrète avec succès et qu’il était faux de supposer que les services de renseignement russes connaissaient les détails des efforts de la CIA. Washington pense que si l’itinéraire d’approvisionnement était connu, la Russie attaquerait les centres et les itinéraires, a déclaré le haut fonctionnaire.

Rien de tout cela ne peut durer sans un effort majeur de contre-espionnage pour contrecarrer les activités d’espionnage de la Russie, le travail de base de l’Agence. Les services de renseignement russes sont très actifs en Ukraine, selon les experts du renseignement, et presque tout ce que les États-Unis partagent avec l’Ukraine est supposé parvenir également aux services de renseignement russes. D’autres pays d’Europe de l’Est sont également truffés d’espions et de sympathisants russes, en particulier les pays de la ligne de front.

« Nous consacrons une bonne partie de notre temps à traquer les infiltrations russes dans les gouvernements et les services de renseignement étrangers », déclare un responsable du contre-espionnage militaire travaillant sur la guerre en Ukraine. « Nous avons réussi à identifier des espions russes au sein du gouvernement et de l’armée ukrainiens, ainsi qu’à divers autres points de la chaîne d’approvisionnement. Mais la pénétration russe dans les pays d’Europe de l’Est, même ceux qui sont membres de l’OTAN, est profonde, et les opérations d’influence russes sont directement préoccupantes. »

Alors que des milliards de dollars d’armes ont commencé à transiter par l’Europe de l’Est, la CIA travaille également sur la lutte contre la corruption, qui s’est avérée être un problème majeur. Il s’agit non seulement de savoir où vont les armes, mais aussi de mettre fin au chapardage et aux pots-de-vin liés à l’acheminement d’une telle quantité de matériel vers l’Ukraine.

La connexion polonaise

Moins d’un mois après que les chars russes ont franchi la frontière en direction de Kiev, le directeur de la CIA, Burns, a atterri à Varsovie, où il a rencontré les directeurs des agences de renseignement polonaises et mis au point les accords finaux qui permettraient à la CIA d’utiliser le voisin ukrainien comme plaque tournante clandestine.

Depuis la fin de la Guerre froide, la Pologne et les États-Unis, par l’intermédiaire de la CIA, ont établi des relations particulièrement resserrées. La Pologne a accueilli un « site noir » de torture de la CIA dans le village de Stare Kiejkuty en 2002-2003. Et après la première invasion russe du Donbas et de la Crimée en 2014, l’activité de la CIA s’est développée pour faire de la Pologne sa troisième plus grande implantation en Europe.

La Pologne est officiellement devenue le centre de la réponse de l’OTAN, d’abord en gérant les centaines de milliers de réfugiés fuyant la bataille, puis en tant que plaque tournante logistique pour les armes qui refluent vers l’Ukraine. Le pays est également devenu le centre de la réponse militaire ouverte. Un quartier général avancé pour le 5e Corps d’armée a été établi en Pologne. Des fournitures et des munitions supplémentaires destinées aux États-Unis sont stockées en Pologne. Une garnison permanente de l’armée de Terre a été activée, la première jamais installée sur le flanc oriental de l’OTAN, et aujourd’hui, il y a environ 10 000 soldats américains en Pologne.

Mais la véritable valeur de la Pologne réside dans son rôle dans la guerre secrète de la CIA. Burns est retourné à Varsovie en avril dernier, rencontrant à nouveau le ministre de l’Intérieur et coordinateur des « services spéciaux », Mariusz Kaminski, son homologue polonais, pour discuter de l’étendue de la coopération entre les deux pays, en particulier dans le domaine de la collecte de renseignements. Depuis la Pologne, les chargés de mission de la CIA peuvent entrer en contact avec leurs nombreux agents, y compris des espions ukrainiens et russes. Le personnel de la branche terrestre du centre d’activités spéciales de la CIA s’occupe de la sécurité et interagit avec ses partenaires ukrainiens et les forces d’opérations spéciales de 20 pays, dont la quasi-totalité opère également à partir de bases polonaises. Les cyberopérateurs de la CIA travaillent en étroite collaboration avec leurs partenaires polonais.

L’étroitesse des relations américano-polonaises a particulièrement porté ses fruits pendant 24 heures en novembre dernier. Burns s’est rendu au siège des services de renseignement turcs à Ankara pour rencontrer son homologue russe, Sergei Naryshkin. Il y a insisté sur la « stabilité stratégique », selon un haut fonctionnaire du gouvernement américain, et a lancé un nouvel avertissement par voie de canaux détournés, indiquant que les États-Unis ne toléreraient pas de menaces nucléaires ou d’escalade. De la Turquie, il s’est envolé pour l’Ukraine afin d’informer Zelensky de l’évolution des négociations.

Zelensky avec le président polonais Andrzej Duda

Alors qu’il était en transit, un missile a atterri dans la ville polonaise de Przewodow, à moins de 30 km de la frontière ukrainienne, déclenchant une frénésie diplomatique et médiatique. Une attaque russe contre un pays de l’OTAN déclencherait l’article 5 de la charte de l’OTAN, selon lequel une attaque contre l’un est une attaque contre tous. Mais les services de renseignement américains, grâce à la surveillance des signatures thermiques qui suivent chaque lancement de missile, ont immédiatement su que le missile provenait de l’intérieur de l’Ukraine et non de la Russie. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’un missile sol-air ukrainien dont le contrôle avait été perdu. Burns a reçu le renseignement de Washington et l’a immédiatement transmis au président polonais Andrzej Duda.

Une crise a été évitée. Mais une nouvelle crise se prépare. Les frappes à l’intérieur de la Russie se poursuivaient et s’intensifiaient même, contrairement à la condition fondamentale posée par les États-Unis pour soutenir l’Ukraine. Une mystérieuse vague d’assassinats et d’actes de sabotage a eu lieu à l’intérieur de la Russie, dont certains à Moscou et dans ses environs. La CIA a conclu que certaines de ces attaques étaient d’origine nationale, menées par une opposition russe naissante. Mais d’autres étaient l’œuvre de l’Ukraine, même si les analystes n’étaient pas certains de l’étendue de la direction ou de l’implication de Zelensky.

« Le Karma est une chose cruelle »

Au début de la guerre, Kiev a conclu son propre « non-accord » avec Washington en acceptant les limites imposées par l’administration Biden à l’attaque de la Russie, même si cela l’a désavantagé sur le plan militaire lorsque les forces russes ont lancé des attaques aériennes et des missiles à partir de leur propre territoire. En échange, les États-Unis ont promis des armes et des renseignements qui ont été livrés en quantités et en puissance de feu de plus en plus importantes au fur et à mesure que Zelensky poussait plus fort.

Le « non-accord » a tenu bon pendant un certain temps. Il y a eu des attaques d’artillerie transfrontalières occasionnelles et quelques armes errantes qui ont atterri en Russie. Dans chaque cas, l’Ukraine a nié toute implication.

Puis vint l’attaque des gazoducs Nord Stream le 26 septembre. Bien qu’ils ne se trouvent pas en Russie, ces gazoducs appartiennent majoritairement à l’entreprise gazière russe Gazprom .Là encore, l’Ukraine a nié toute implication, malgré les soupçons de la CIA.Nous n’avons « rien à voir avec l’accident de la mer Baltique et nous n’avons aucune information sur des groupes de sabotage », a déclaré le principal collaborateur de Zelensky, qualifiant toute spéculation contraire de « théories amusantes du complot. »

Ensuite, il y a eu l’attentat au camion piégé sur le pont du détroit de Kertch le 8 octobre. L’Ukraine avait menacé d’attaquer le pont de 19 km qui relie la Russie à la péninsule de Crimée, que Moscou avait annexée en 2014 dans une action condamnée comme illégale par une grande partie du monde. Bien que l’identité des auteurs de l’attaque n’ait pas été clairement établie, Poutine a accusé les « services spéciaux » ukrainiens. Lors de la réunion de son Conseil de sécurité, Poutine a déclaré : « Si des tentatives continuent de mener des actes terroristes sur notre territoire, les réponses de la Russie seront sévères et leur ampleur correspondra au niveau des menaces créées pour la Fédération de Russie. » Et en effet, la Russie a répondu par de multiples attaques sur des cibles dans les villes ukrainiennes.

Incendie sur le pont de Kertch, en Crimée, l’année dernière.

« Ces attaques ne font que renforcer notre engagement à soutenir le peuple ukrainien aussi longtemps qu’il le faudra », a déclaré la Maison-Blanche à propos de la riposte russe. En coulisses, cependant, la CIA se démenait pour en déterminer l’origine.

« Avec l’attaque du pont de Crimée, la CIA a appris que Zelensky ne contrôlait pas totalement sa propre armée ou qu’il ne voulait pas être informé de certaines actions », explique le responsable du renseignement militaire.

L’attaque du pont de Kertch a été suivie d’une frappe à plus longue portée encore sur la base de bombardement russe d’Engels, située à près de 1 200 km de Kiev. Selon un haut fonctionnaire américain, la CIA n’était au courant d’aucune de ces attaques à l’avance, mais des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles l’Agence, par l’intermédiaire d’une mystérieuse tierce partie, ordonnait à d’autres de frapper la Russie. L’Agence a opposé un démenti ferme et inhabituel. « L’allégation selon laquelle la CIA soutient d’une manière ou d’une autre des réseaux de saboteurs en Russie est catégoriquement fausse », a déclaré Tammy Thorp, porte-parole de la CIA.

En janvier de cette année, Burns était de retour à Kiev pour rencontrer Zelensky et ses homologues ukrainiens, afin de discuter de la guerre clandestine et de la nécessité de préserver la stabilité stratégique. « Kiev commençait à goûter à une victoire potentielle et était donc plus enclin à prendre des risques », explique le deuxième haut responsable des services de renseignement. « Mais à la fin de l’année, des groupes de sabotage russes avaient également fait leur apparition ». Les pourparlers de janvier n’ont eu que peu d’impact. En ce qui concerne les attaques de sabotage proprement dites, le haut fonctionnaire du gouvernement américain déclare à Newsweek que la CIA n’a pas eu connaissance des opérations ukrainiennes.

Tout cela a culminé avec l’attaque de drone du 3 mai à l’intérieur des murs du Kremlin à Moscou. Le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrushev, a rejeté la faute sur les États-Unis et la Grande-Bretagne, déclarant que « les attaques terroristes commises en Russie visent à déstabiliser la situation sociopolitique et à saper les fondements constitutionnels et la souveraineté de la Russie ». Les responsables ukrainiens ont implicitement admis leur culpabilité. « Le Karma est une chose cruelle », a répondu Mykhailo Podolyak, conseiller de Zelensky, jetant ainsi de l’huile sur le feu.

Un haut fonctionnaire polonais a déclaré à Newsweek qu’il pourrait être impossible de convaincre Kiev de respecter le non-accord qu’elle a conclu pour limiter la guerre. « À mon humble avis, la CIA ne comprend pas la nature de l’État ukrainien et les factions téméraires qui y existent », a déclaré le fonctionnaire polonais, qui a requis l’anonymat pour pouvoir parler franchement.

En réponse, le haut responsable du renseignement de défense américain a souligné l’équilibre délicat que l’Agence doit maintenir dans ses nombreux rôles, en déclarant : « J’hésite à dire que la CIA a échoué ». Mais le responsable a ajouté que les attaques de sabotage et les combats transfrontaliers créaient une toute nouvelle complication et que la poursuite du sabotage ukrainien « pourrait avoir des conséquences désastreuses. »

Source : News Week, William M. Arkin, 05-07-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises