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La tourista de l’industrie touristique

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Lien publiée le 19 août 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

La tourista de l’industrie touristique | Le Club (mediapart.fr)

La foule moutonnante des touristes déferle sur les « spots » du pays et au-delà comme un nuage de criquets sur la Corne de l’Afrique. Un tourisme de consommation, de l’instagrammable, dans des écrins muséographiés, des villes-zoos. Le touriste n’est pas un voyageur mais un consommateur qui navigue de supermarchés en boutiques de babioles, qu’on suit à la trace peu ragoûtante qu’il laisse.

Lorsque, sous la pression des « grèves joyeuses », le parti radical-socialiste, représentant la classe moyenne et membre du Front populaire, proposa de généraliser les congés payés, la loi fût votée à l’unanimité le 11 juin 1936 et promulguée neuf jours plus tard, juste avant l’été. N’étant pas entrés dans les mœurs d’une classe laborieuse peu habituée à tant d’égards et à consacrer une partie de leur budget de survie aux loisirs, les Français ne seront que 600 000 à faire les valises vers les plages, essentiellement par le train qui proposa des tarifs réduits. L’année suivante, ils seront trois fois plus nombreux à partir grâce aux économies d’une année. Les bourgeois de l’époque, eux, ont déjà leurs lieux privilégiés, des planches de Deauville aux villas de la côte d’Azur en passant par les stations thermales. Mais les classes populaires pouvaient goûter leur nouvelle liberté sur des kilomètres de plages sans barrières et planter leurs tentes dans les lieux les plus emblématiques des paysages français.

Plus de huit décennies plus tard, l’euphorie des premiers congés payés a laissé place à une addictive consommation de loisirs, à un usage pour le moins stakhanoviste des possibilités offertes sur foi de publicités affriolantes et de posts d’« influenceurs·ses », les femmes/hommes-sandwichs du XXIe siècle. Un phénomène qui explose depuis la fin des confinements, comme une frénésie à vouloir, dans un ultime et fatal marathon de conso’, découvrir, toucher du doigt les beautés naturelles et historiques de ce monde avant qu’elles ne disparaissent corps et biens sous leurs assauts ou ceux des monstrueuses machines de l’extractivisme, elles-mêmes à la recherche des ressources minières qui permettront au touriste d’« instagramer » sa salade grecque avec son portable-prothèse. Médias et réseaux débusquent, à l’aide de drones et de journalistes en goguette, la moindre parcelle de planète qui n’a pas encore été saccagée, créant un appel d’air vicié, celui des opérateurs de l’industrie touristique.

Le surtourisme, nouvel excès du capitalisme flambeur

Illustration 2

Touristes © It's No Game

Car il s’agit bien d’une nouvelle industrie, générant un surtourisme comme il existe déjà, depuis des décennies, une surconsommation, comme on nous vend des voitures suréquipées pour aller s’enficher aveuglément dans d’interminables embouteillages (1 236 km cumulés en une journée, à la veille du 15-août), cortèges pitoyables de caisses métalliques sur roues immobiles, peuplées de visages pâles et déconfits ou de faces rougeaudes et confites, selon le sens de non-circulation (voir auprès de Bison Futé). Le surtourisme représente un nouvel excès du capitalisme flambeur, c’est le sur du surplus, du surfait, de la surenchère, du nuisible plus que de l’inutile, du déchet sous blister, du voyeurisme. C’est l’occasion de faire parader son SUV hors de la grisaille des banlieues, soient-elles résidentielles, et des lotissements aux couleurs de la neurasthénie. Chez les prolétaires cloîtrés dans leurs barres d’immeubles en surchauffe, on n’ose même pas lécher les vitrines des agences de voyage.

Le tourisme consommable est offert en pâture aux exploités·es disciplinés·es du capitalisme, aux épuisés·es des cadences infernales, aux déprimés·es du management forcément innovant. La surenchère monnayable conduit le touriste (friqué) des confins de l’Antarctique aux sommets les plus étourdissants, les embouteillages ayant gagné l’Everest ou le Mont-Blanc. Elle prolifère jusque dans les terres sacrées où l’excentricité se pare d’un exotisme aux relents post-colonialistes, aux dépens des paysages et des autochtones. Le cadre surmené se prend pour un voyageur alors qu’il n’est qu’un touriste immobile dans un hôtel-club standardisé, produit phare de la grande distribution du all-inclusive, le tout-compris en bon français. Le prolétaire, au break surchargé, se contentera d’échouer dans un camping municipal ‒ à condition que ce dernier ait survécu à la voracité des investisseurs ‒ et d’un coin de sable souillé entre la plage privée plantée de parasols proprets et la digue et sa conduite dégorgeant les eaux d’essorage du bitume de la cité balnéaire. Les super-riches, eux, font défiler leurs super-yachts comme Bernard Arnault parade avec ses amis pipoles en privatisant l’un des plus beaux ponts d’un Paris pas si éternel. Certains de ses copains de classe sociale sont sur liste d’attente pour faire un saut en orbite. Dominer ce bas monde, quel pied ! L’échelle sociale est soigneusement entretenue dans le capitalisme touristique.

L’industrie touristique, moteur économique… et polluant

Illustration 3

Touriste © Michael Summers

Mais, vous rétorqueront dans un même chœur le propriétaire du super-yacht et le ministre Lemaire, le tourisme est un moteur économique, générateur de rentrées de devises, une manne pour le développement des peuplades envahies, du village isolé au quartier populaire. La France étant en haut du podium mondial, ce qui n’est pas si courant.

Bien sûr, il y a quelques inconvénients secondaires, admettent-ils. Zones naturelles piétinées par des régiments d’estivants à sandales, asphyxiées par les déchets et autres rejets, asséchées par des besoins en eau décuplés, anéanties par le stationnement des SUV et autres camping-cars, ravagés par les passages répétés de véhicules aussi divers que pétaradants, de la moto au quad en passant par l’inévitable 4x4. Les fonds marins ne sont pas épargnés avec les ancres des yachts (super ou pas)dévastant les si précieux herbiers de posidonies ou encore les crèmes solaires qui contaminent la faune aquatique. Entre mer et terre, on pourrait aussi parler de ces paquebots gigantesques, ces boîtes de conserve flottantes où l’entre-soi est de rigueur, qui dégorgent leurs foules bourgeoises dans des escales visitées à la cadence d’une excursion au supermarché un samedi après-midi. Pendant que madame et monsieur se font soutirer quelques billets pour une reproduction à deux sous, les cheminées du géant des mers exhalent leurs vapeurs toxiques sur le port et ses habitants. Là encore, Lemaire et compères mettront en balance la santé des habitants et le généreux ruissellement de fortunes, petites et grandes, sur le populo des ports. Les Marseillais sont des ingrats. La liste des dégâts environnementaux de ce tourisme consumériste est trop longue pour figurer ici.

L’abus de tourisme commence aussi à provoquer des levées de boucliers chez les résidents habituels de ces villes et villages, submergés par des marées bruyantes et colorées qui les expulsent de leurs logements. De Barcelone à la Bretagne, du Pays basque aux plus beaux villages de France et à Venise, les investisseurs-rentiers se jettent sur l’immobilier des quartiers populaires, contribuent à la gentrification par la rénovation et l’explosion des loyers, ces logements étant destinés à la location saisonnière. Les saisonniers, essorés, ne peuvent plus se loger. Les vendeurs de souvenirs traditionnels made in RPC et les restaurants à la carte aussi longue que la liste de références de grandes surfaces alimentaires pour professionnels, remplacent les commerces du quotidien des habitants du cru. Ces villes et villages se vident de leurs habitants habituels et se transforment progressivement en musées à ciel ouvert, en parcs d’attractions boules-à-neige. Le mépris et l’inconvenance règnent le plus souvent dans le sillage de ces cohues à lunettes de soleil clinquantes et tee-shirts américanisés. Ainsi, cet habitant d’un village creusois par trop remarquable qui a eu la désagréable surprise de retrouver, à plusieurs reprises, des visiteurs dans sa maison typique du lieu. « Mais le portail était ouvert ! », lui a-t-on rétorqué.

Encore des privatisations de communs

Illustration 4

Touristes égarés © Zoetnet

Cette emprise du capitalisme touristique s’accompagne de préemptions privatives et cupides sur les espaces communs. En Grèce ou en Italie, pays dont les littoraux sont encore moins protégés qu’en France, les autochtones se battent contre l’accaparement des plages les plus belles par des opérateurs privés. Cela représente plus de la moitié des bords de mer en Italie. « C’est tout de même un comble pour un résident d’une cité balnéaire de ne pouvoir accéder librement à la mer », s’insurge un Napolitain.

Au-delà de nos frontières, le tourisme démocratisé qui fait la fortune des compagnies low-cost et des hôtels-clubs, transpire des relents de néocolonialisme. Là encore, les arguments économique et du développement sur les standards occidentaux veut tuer tout débat, surtout dans des pays peu démocratiques. Pourtant, le prix à payer pour les populations locales paraît bien plus élevé que les retombées sonnantes et trébuchantes, dont la plus grande partie repart chez les actionnaires des grands groupes de l’hôtellerie. Accaparement de l’eau, traitement de montagnes de déchets, privatisation des sites naturels et littoraux… les natifs, et particulièrement les jeunes, subissent également une perte de repères culturels. Les injonctions des opérateurs à servir des attractions postiches aux touristes parqués dans leurs hôtels ou pilotés dans des « villages artisanaux » ou des souks achalandés par les mêmes industries du souvenir authentique, pervertissent les cultures endémiques et renforcent les préjugés. Les échanges sont empreints de paternalisme post-colonial d’un côté et de rouerie psychologique de l’autre : les locaux sont vus comme des créatures exotiques et les touristes comme des naïfs à alléger de leurs devises. L’argent comme seul lien… Au retour, le touriste se vantera d’un voyage d’aventures et se permettra des jugements racistes sur l’hygiène ou les modes de vie. Cet ancien commerçant bedonnant se plaint : ‒ La Réunion, c’est très beau. Mais on n’est pas toujours bien reçu. J’ai voulu photographier une femme qui transportait du bois et je me suis fait rembarrer. ‒ Lui as-tu demandé si elle était d’accord ? ‒ Non, pourquoi ? Ou le respect réciproque… Le touriste est un animal grégaire, terriblement commun et prévisible dans sa propension à s’imposer dans un paysage auparavant paisible.

Faire du tourisme n’est pas voyager

Illustration 5

Caricature © Nomadic Lana

Faire du tourisme n’est pas voyager. Faire du tourisme, c’est visiter un zoo, se faire servir la soupe des marchands du temple. Voyager, c’est aller à la rencontre de l’autre, celui ou celle qui te fera découvrir les richesses, naturelles, historiques et surtout humaines d’un lieu, quel qu’il soit.

Si un débarquement en gros sabots est à exclure, il est aussi inélégant de vouloir se travestir en autochtone, vous vous ridiculiserez à coup sûr. Faire la moitié du chemin, vos hôtes feront, dans la grande majorité des cas, l’autre moitié, sauf s’ils ont eu par le passé de mauvaises expériences. Voir les périples autofilmés d’Antoine de Maximy (J’irai dormir chez vous) ou de Nans et Mouts, les joyeux drilles de Nus et culottés, des expériences itinérantes d’une belle richesse humaine. Le voyageur est celui qui fait la moitié du chemin culturel. C’est avant tout laisser ses préjugés à l’entrée d’un nouveau territoire (les laisser même tomber définitivement dans la poussière de ce que vous croyez savoir sur les autres mondes). Vos interlocuteurs, qui ne seront pas exempts de préjugés non-plus, feront alors l’autre moitié du chemin et preuve de la même curiosité à votre égard, créant le ferment d’un dialogue et possiblement d’un riche échange. L’échange est une sorte de troc culturel, à l’opposé d’une triviale consommation de clichés postables sur son Instagram ou son Facebook et de babioles insignifiantes. Cette stratégie du voyageur est adaptable sur n’importe quel territoire et en empruntant des modes de transport doux et/ou locaux. Le « civilisé » n’est pas celui qui débarque de son avion la main droite sur la carte bancaire et la gauche sur son portable en mode vidéo. Le sachant est celui qui vit sur et de ce territoire et qui a beaucoup à apprendre au visiteur. Il n’est pas à conquérir ni astreint à distraire le touriste de passage.

Le touriste surmené ‒ il reste un consommateur névrosé, même en vacances ‒ fait inévitablement penser aux lemmings, ces petits rongeurs des régions arctiques particulièrement grégaires, réputés se suicider en masse du haut des falaises, alors que ce n’est que leur surnombre et leur ignorance qui les conduit irrémédiablement au néant de la noyade.1 Le touriste, confronté à un environnement de plus en plus hostile dans son quotidien de tâcheron du capitalisme, à l’angoisse de pénurie de ressources (sécheresse) et autres fléaux à venir, se rue en troupes innombrables vers des horizons qu’il pense plus sereins, moins altérés. Or, il contribue activement à la contamination d’un monde qu’il survole de trop haut pour en distinguer les vraies richesses. Au point de s’y abîmer comme un lemming.

Illustration 6

Shooter tous azimuths © EthanChiang

1. Les lemmings ont un taux de reproduction tel qu’il y a rapidement surpopulation et pénurie de ressources alimentaires sur un territoire donné. Ils se mettent alors en marche vers de nouveaux territoires, traversant en nageant, si besoin, rivières ou petits lacs. Mais lorsqu’ils se retrouvent sur un rivage océanique, falaise ou pas, ils se jettent à l’eau, ignorant la taille du défi, et trépassant d’épuisement.