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Altice, Casino : quand les groupes fondés sur la dette vacillent
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La hausse des taux d’intérêt révèle au grand jour la fragilité des entreprises construites sur la dette, comme Altice (SFR) et le modèle bâti par Patrick Drahi, ou encore le groupe Casino.
Il y a des empires dont les fondations s’avèrent fragiles. Patrick Drahi a décidé de bâtir son groupe Altice, géant possédant entre autres SFR et les chaînes télé BFM, sur la dette. Sa particularité est d’avoir poussé assez loin l’ingénierie financière. Au point que tout l’édifice se retrouve aujourd’hui fragilisé par le mouvement de remontée des taux d’intérêt impulsé par les banques centrales pour lutter contre l’inflation.
Depuis la mi-juillet, le groupe est dans la tourmente et les craintes sur son financement apparaissent au grand jour. Le déclencheur a été la révélation par la justice portugaise d’une affaire de corruption touchant un cadre historique du groupe : Armando Pereira. Ce dernier est soupçonné de fraude fiscale, corruption et blanchiment. Les enquêteurs portugais le suspectent d’avoir mis en place à son profit un système de commissions avec les sous-traitants du groupe.
Patrick Drahi a tenté d’éteindre l’incendie en déclarant aux investisseurs que si de telles suspicions étaient avérées, cela avait été fait dans son dos. Il faut dire que l’unique actionnaire du groupe Altice a besoin de la confiance des financiers qui lui prêtent de l’argent. Le cours des obligations du groupe, c’est-à-dire des titres de dette de l’entreprise qui s’échangent sur les marchés, a dégringolé ces dernières semaines, ce qui marque un manque de confiance dans la capacité de l’entreprise à les rembourser. Une crise qui marque sans doute la fin d’un modèle comme d’une époque.
Altice est en effet née sous le signe de l’argent peu cher. La société a été créée au début des années 2000 et immatriculée au Luxembourg. Dans les années qui suivent, elle rachète un à un les opérateurs français du câble – Noos, Numericable, EstVidéo, France Telecom Cable, etc. – qu’elle rassemble sous la bannière Numericable. A la fin de la décennie, l’entreprise, qui commercialise des offres de télévisions payantes et des accès à internet via la fibre optique, détient ainsi la quasi-totalité du marché français du câble.
Le petit avale le gros
Ce qui permet la construction aussi rapide d’un tel Meccano, c’est le contexte de taux d’intérêt très bas de l’époque, conjugué à l’utilisation systématique d’un outil par Patrick Drahi : le LBO, pour leverage buy out, ou achat avec effet de levier en bon français. Sans trop entrer dans les détails financiers, cela signifie que pour acquérir une entreprise, l’acheteur n’apporte qu’une petite part de la valeur de l’entreprise et finance le reste par l’emprunt.
« Un LBO permet de prendre le contrôle d’une entreprise sans avoir dépensé l’argent correspondant à sa valeur », résume l’économiste Nicolas Bédu. Il permet aussi de doper la rentabilité du capital, car les bénéfices sont répartis sur un volume de capitaux propres plus réduits.
La particularité est aussi que ce sont les bénéfices de la société nouvellement acquise qui vont servir à rembourser la dette ayant servi à son rachat. Ce procédé repose sur ce qu’on appelle dans le jargon financier un effet de levier. C’est-à-dire que le taux d’intérêt de l’emprunt doit être inférieur au taux de rentabilité économique1 de l’entreprise, assurant ainsi a minima la soutenabilité de la dette. Plus l’écart entre ces deux ratios est élevé, plus la rentabilité du capital est forte. Ce type d’opérations a été grandement facilité par les politiques des banques centrales durant la décennie 2010 qui ont permis des taux d’intérêt très bas.
C’est surtout le rachat de SFR en 2014 qui fera passer un cap à Patrick Drahi. Ce dernier acquiert, auprès de Vivendi, le numéro deux de la téléphonie mobile en France derrière Orange. Le petit avale alors le gros, car le chiffre d’affaires de Numericable est huit fois plus faible que celui de SFR et sa valorisation près de quatre fois inférieure. Patrick Drahi parvient à signer le chèque de 17,5 milliards d’euros à Vivendi pour l’achat de l’opérateur en contractant des obligations pour un montant de 13,4 milliards d’euros. Il réalise à ce moment-là le plus grand LBO de l’histoire française.
Et il ne s’arrête pas là : Altice finit l’année 2014 en rachetant Portugal Telecom pour 7 milliards d’euros. Cet opérateur est un poids lourd dans son pays, où il contrôle presque la moitié du marché de la téléphonie mobile et emploie 11 000 personnes.
Convergence entre contenus et tuyaux
Patrick Drahi passe ensuite l’Atlantique. Dès 2015, il met un pied aux Etats-Unis en rachetant le câblo-opérateur Suddenlink. La dette s’alourdit au passage à nouveau de 6,5 milliards de dollars. Quelques mois plus tard, il met la main sur l’une des plus grandes entreprises américaines du secteur : Cablevision pour 15 milliards d’euros. En fusionnant les deux sociétés, Altice devient dès 2016 un poids lourd du marché du câble aux Etats-Unis avec 4,6 millions d’abonnés.
La liste des acquisitions est trop longue pour être citée (une centaine !), mais au milieu des années 2010, Altice est devenu un géant doté un chiffre d’affaires d’environ 11 milliards d’euros et présent dans de nombreux pays : France, Portugal, Etats-Unis, Israël et République dominicaine… Au prix d’une dette dépassant les 50 milliards.
Patrick Drahi ne s’est cependant pas contenté d’empiler les opérateurs télécoms. Il a ressuscité une stratégie industrielle qu’avait incarnée dans les années 2000 Jean-Marie Messier. Le patron de Vivendi d’alors croyait dur comme fer dans la convergence entre les contenus (que ce soit la télévision, la presse ou la vidéo, etc.) et les tuyaux (des câbles aux réseaux mobiles).
Son raisonnement était le suivant : alors que les télécoms sont une activité à faible valeur ajoutée, ce sont eux qui concentrent l’essentiel des investissements pour déployer et entretenir le réseau ; ils reçoivent pourtant la portion congrue des recettes du secteur du numérique, à l’inverse des fournisseurs de contenu, qu’il s’agisse des acteurs de la télévision, des plates-formes de streaming, etc. Pour les opérateurs télécoms, l’enjeu est donc d’aller chercher des activités à plus forte valeur ajoutée pour profiter de la marge qu’offrent les contenus qui passent dans leurs tuyaux.
C’est pourquoi Patrick Drahi a aussi racheté le groupe BFM, qui détient les chaînes du même nom, ainsi que les radios et chaînes RMC et les journaux Libération et L’Express.
Pression à la rentabilité
Mais la mécanique financière de l’effet de levier par l’endettement implique un certain type de gestion. Les LBO poussent en effet les nouveaux propriétaires à maintenir un haut niveau de rentabilité de l’entreprise, pour pouvoir a minima payer les intérêts de la dette ayant servi à l’acheter et qui pèse directement sur les finances de l’entreprise. Là où une entreprise se finançant majoritairement sur ses fonds propres ou par l’apport de capital de ses actionnaires peut couper son dividende en cas de mauvaise année, le LBO impose de maintenir la rentabilité.
« Dans un LBO, toute la trésorerie disponible est utilisée pour soutenir la charge de la dette et la rembourser », complète Nicolas Bédu.
Pour rehausser sa rentabilité, Altice a utilisé deux moyens. Premièrement une tentative de réduction de la concurrence pour diminuer la pression à la baisse sur les prix et réaliser des synergies. Ce que Patrick Drahi a réussi dans le secteur du câble dans les années 2000 en réunissant sous un même groupe la quasi-totalité des entreprises françaises du secteur. Mais il a échoué concernant les réseaux mobiles. Malgré ses offres, Altice n’est pas parvenu à racheter Bouygues Telecom.
Or SFR reste le vaisseau amiral du groupe Altice et représente la grande majorité de ses revenus. Et comme le souligne une étude de la direction générale du Trésor, le secteur est marqué par « des revenus stables dans un marché caractérisé par une forte concurrence, des prix faibles et un taux de marge en baisse ».
Deuxièmement, pour doper la rentabilité, le dirigeant a coupé dans les dépenses. Plusieurs plans sociaux ou plans de départ se sont multipliés depuis que SFR est passé sous contrôle d’Altice. Comme le résume le syndicat Unsa, « SFR a perdu près de 8 000 salariés depuis 2015 », sur les 16 000 que comptait l’entreprise. Altice a également exercé une forte pression sur les sous-traitants pour faire chuter les prix. Une stratégie qui peut cependant impacter la qualité du service : SFR étant sur de nombreux critères le moins bien noté des quatre opérateurs mobiles français.
Echéance en 2028
Le retour de l’inflation a mis à mal cet équilibre fragile sur lequel reposait l’empire Altice. Le revirement des banques centrales, qui remontent leurs taux d’intérêt directeurs depuis l’année dernière, remet en effet en cause tous ces modèles basés sur des endettements massifs par effet de levier. Coincée entre une rentabilité en berne et des taux d’intérêt qui montent en flèche, la mécanique financière du groupe se grippe. Et l’effet de levier peut alors se retourner pour devenir effet massue : le coût auquel le groupe devra emprunter pour se refinancer risque de devenir supérieur à sa rentabilité économique, ce qui le fait courir au-devant de graves difficultés financières…
Ainsi, l’affaire de corruption au Portugal apparaît bien secondaire dans la crise que traverse actuellement Altice. Le groupe risque-t-il pour autant la faillite ?
A court terme, non, car les obligations qu’il a contractées n’arrivent à échéance en 2025 que pour une petite partie d’entre elles. L’affaire se corsera aux alentours de 2028, quand il lui faudra réemprunter pour rembourser le gros des 60 milliards de dettes que supporte le groupe. Ce qui devrait s’avérer difficile dans un contexte de taux d’intérêt plus élevé.
Patrick Drahi a donc un peu de temps devant lui pour chercher d’autres solutions afin de sauver son empire. Il n’y a cependant pas de recette miracle. Il lui faudra vendre des morceaux du groupe qu’il juge non stratégiques pour dégager du cash. Le réseau de data center de SFR est ainsi évoqué ou bien la cession de 49 % des parts de certaines filiales. Avec le risque bien sûr d’aboutir à un démantèlement ou bien au rachat partiel du groupe.
Discrétion
Le cas d’Altice se rapproche ainsi de celui du groupe Casino, qui possède aussi les enseignes Monoprix, Cdiscount, Naturalia, Géant, Spar, etc. Confronté à la même problématique, Casino a dû ainsi se résoudre à vendre les murs des Monoprix, des réseaux de magasins Leader Price, une centaine de magasins à son concurrent Intermarché et il est aujourd’hui en passe de se faire racheter par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Seule différence : Casino présente une dette de 6,4 milliards d’euros, quand celle d’Altice est près de dix fois supérieure… Attention, dossier sensible.
Casino ou Altice sont-ils les seuls groupes français construits sur la dette et confrontés aujourd’hui à la hausse du prix de l’argent ? Délicat de répondre, car à l’instar d’Altice, ces entreprises traversant une mauvaise passe sont très discrètes. Altice s’est ainsi retirée de la bourse en 2021, réduisant à peau de chagrin les informations financières qu’elle communique.
Cependant certains noms peuvent être cités. Le spécialiste des surgelés Picard, dont l’actionnariat a beaucoup bougé au cours de la décennie 2010, est habitué aux rachats à effet de levier. Et il est nanti d’une dette de 1,7 milliard d’euros, ce qui est important pour une entreprise de taille intermédiaire. Pour l’instant, l’entreprise affiche une rentabilité forte et les ventes se portent bien, mais en cas de difficultés, la situation peut se dégrader rapidement.
La remontée des taux révèle ainsi au grand jour la fragilité induite par la financiarisation accrue de la gestion des certaines entreprises.