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So French !
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So French ! | Le Club (mediapart.fr)
Cet été, j'ai modestement participé à faire venir Médine aux Amfis de la France Insoumise pour un entretien avec Mathilde Panot et un concert. Je tire un bilan fier dans ce billet et j'explique pourquoi cet événement était important pour moi.
Résister
Il est venu. Il s’est prêté au jeu de l’entretien avec Mathilde Panot. Il a parlé luttes sociales, écriture, engagement des artistes devant près de 1000 insoumis. Il a fait chanter « siamo tutti antifascisti » au grand auditorium des Amfis. Il a fait un concert, sous une pluie battante, à la normande, devant un public chaud, sale et humide, mais heureux. Médine a été invité aux Amfis d’été 2023. Et il semble que l’événement ait été aussi bien accueilli par les insoumis que mal reçu dans la presse mainstream. Résumant comme toujours l’air du temps bourgeois, comme la vue d’une seule canette de bière éventrée peut résumer toute la montagne de déchets, Eric Zemmour a synthétisé en un court tweet des kilomètres d’articles, d’éditoriaux, de chroniques rageuses. Sur la photo, on voit Jean-Luc Mélenchon et Mathilde Panot accueillir Médine tout sourires, sur un parking. En légende, on peut lire : « L’islamo-gauchisme en image ». Voici l’histoire, vous la connaissez : les musulmans, par essence étrangers à la France, ont juré sa perte. Pour arriver à leur maléfique dessein, ils forment une alliance contre-nature avec une gauche décadente, prête à supporter des contradictions insurmontables entre ces Arabes décivilisés et son féminisme, sa défense des LGBT pour gagner quelques voix. Cette petite comptine essaye en fait de construire un camp de l’anti-France, des ennemis intérieurs de la nation. C’est un procédé typique en période d’extrême-droitisation de la classe dominante comme c’est le cas aujourd’hui. Il permet de disqualifier la gauche populaire, et de diviser le peuple en construisant une culture nationale ethniciste, raciste. Il passe, on l’a vu, par des qualifications les plus infamantes comme l’accusation d’antisémitisme, sans preuve, et même lorsque toutes les preuves du contraire sont disponibles et étalées sur la place publique, comme cela a été fait par des défenseurs du rappeur sur Twitter et par Médine lui-même dans plusieurs interviews. Que répondre face à cette tentative de reconstruction d’un projet national qui nous en exclut ? D’abord résister. Ne pas se laisser impressionner par le bruit de la meute. Quand on est sûr que quelqu’un n’est pas antisémite, on en est sûr. Voir écrit 1000, 2000 ou un million de fois les mêmes arguments spécieux ne soit rien y changer. Nos détracteurs, ceux de Médine, ne sont pas de bonne foi. Ils n’agissent pas pour que nous ayons avec eux un débat, certes animé, mais rationnel, argumenté et loyal. Ils veulent nous détruire. Leur céder, c’est se préparer à disparaître. Alors nous avons résisté, à La France Insoumise, non seulement en maintenant évidemment la présence de Médine, mais aussi en prenant publiquement sa défense.
Aux armes et caetera
Cette assimilation de Médine à l’anti-France de la part de la droite extrêmisée, qu’elle soit macroniste, lepéniste ou zemmouriste, a quelque chose de particulièrement ridicule. Quelque chose qui apparait quand on s’intéresse à lui, qu’on lui donne la parole, qu’on écoute ses textes. Médine est un chanteur à texte. Il est à la fois un chansonnier populaire, un poète, un provocateur à gouaille, un artiste engagé. Qu’y-a-t-il de plus français que ça ? Écouter Médine, quand on est pétris de cette culture française là, c’est s’entendre sauter aux oreilles une filiation avec Brassens, avec Ferré, avec Ferrat, avec Renaud, avec Gainsbourg, avec Aznavour, avec Brel (bien que ce dernier ne soit pas français). L’attention à l’écriture, le goût des provocations soignées et des insoumissions élégantes, les thèmes : il y a ce « je ne sais quoi » chez Médine, cet air de famille. Ses textes sont pleins de références, bien sûr à ces chanteurs – « aux armes et caetera » dans Allons zenfants - mais aussi à Victor Hugo, à Rousseau, à Voltaire. Car Médine c’est aussi l’avatar d’une autre figure très française : celle de l’écrivain engagé. Les trois personnages cités en sont les matrices et cette manière d’être artiste s’est transmise de génération en génération. Il s’agit aussi bien sûr de prendre la plume pour embrasser des grandes causes de son temps, mais même de faire largement exploser les barrières entre militantisme politique et création artistique. De devenir, comme Victor Hugo l’a été, pleinement un artiste et pleinement un homme politique en même temps. Il s’agit aussi de le faire, pas à l’anglo-saxonne, dans une forme de marketing consensuel mais en assumant polémique et conflictualité : Voltaire et l’affaire Calas, Hugo en exil écrivant des poèmes d’insultes à Napoléon III, Zola et son « J’accuse » pour défendre le capitaine Dreyfus, Sartre à Billancourt, etc. Médine s’inscrit là aussi comme un enfant de cette histoire bien française, et encore plus depuis ces derniers mois où, au-delà de ce qu’il écrit, il a engagé son corps dans les piquets de grève et les manifestations, et son verbe dans les universités d’été de la France Insoumise et d’EELV. Politique, polémique et poétique.
Projet national populaire
Quel est son message ? Il est dans l’air du temps, dans cette contre hégémonie qui tente de se faire, de s’articuler. Chez Médine il y a un ancrage dans la culture ouvrière combattive, celle de « la puissance du port du Havre », et dans la culture anti-coloniale internationaliste, celle d’Alger « la rouge », capitale des révolutionnaires dans les années 1960. Il y a aussi l’antiracisme de notre époque, son combat pour la justice sociale, l’attention contemporaine à la convergence des luttes, à l’intersectionnalité. Contrairement à ce qu’écrivent bêtement les réactionnaires, il contribue à réactualiser l’universalisme produit de la Révolution française et saisit au fil des époques par les artistes. Aux Amfis, à côté de Mathilde Panot, il a dit : « Je n’ai pas d’agenda politique communautaire. Je ne veux pas de repas spéciaux dans les cantines, je veux de bons repas pour tous les enfants. Je ne veux pas de carré musulman dans les cimetières, je veux une fin de vie digne pour toutes les personnes âgées. ». Alors bien entendu, Médine est dangereux. Parce que tout en incarnant ces personnages de la culture populaire française, il est arabe, musulman, avec une barbe ! Il faut absolument le disqualifier totalement, montrer que non, il n’est pas digne de la France, il ne peut pas être français. Alors on construit des étiquettes : antisémite, frériste, djihadiste. Plus ou moins subtilement, l’idée est de construire un continuum entre les terroristes du Bataclan et un rappeur musulman. Et de cette façon, de cacher un exemple de la possibilité de la France créolisée. Le Figaro a exprimé cette peur explicitement d’ailleurs, en titrant un article «La France on va la re-créoliser» : quand les chansons de Médine rejoignent la dialectique de La France insoumise. Dans les différents trucs qu’on a fait circuler, nous les insoumis, pour défendre Médine dans ce mois d’aout, il y a ce petit bout de chronique d’une journaliste états-unienne. Elle y dit, en gros, que Médine, vu son succès artistique, commercial, sa réussite individuelle, serait considéré outre-Atlantique comme un « american hero ». De notre côté de l’océan, on fait France avec Médine, non par ce qu’il peut devenir un millionnaire comme un autre mais parce qu’il participe à la baston nationale, qu’il polémique, qu’il choisit son camp, qu’il participe à la lutte de classes en France. Voilà comment la France se créolise, se brasse et se re-brasse : par la politique, par les luttes. Lisez-les, les noms italiens, polonais, espagnols, arméniens dans les listes de résistants communistes morts pour la France contre les Nazis. Henri Krasucki, le plus mythique des secrétaires généraux de la CGT au 20ème siècle était lui-même né dans la banlieue de Cracovie. Oui, les luttes sociales, oui, le conflit politique, oui la défense du peuple à partir du peuple fait France. Inviter Médine aux Amfis, c’était aussi contribuer à la construction, petit à petit, d’un autre projet national, d’un projet national proprement populaire. La culture, les références communes, les personnages : tous cela compte dans la bataille pour la construction d’une autre hégémonie. Oui : entre Médine, Robespierre, l’insoumission, l’anticapitalisme, les merguez de la CGT, la Marseillaise, le désir d’égalité, Brassens et bien d’autre choses, il y a une chaîne que se créé. C’est la Nation que nous construisons, contre celle de l’extrême droite. L’engagement, à sa place, d’un artiste comme Médine dans ce combat, c’est so French !