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Niger: le temps des incertitudes

Niger

Lien publiée le 24 septembre 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Niger : le temps des incertitudes - CONTRETEMPS

Le putsch du 26 juillet au Niger a constitué une surprise. Personne ne l’avait vu venir tant à l’intérieur du pays que dans les chancelleries française ou états-unienne, pourtant généralement bien informées des situations des pays africains. Un paradoxe pour un pays qui vient de connaître son cinquième coup d’État et autant de tentatives, sans compter les innombrables mouvements d’humeur dans les casernes. Comment expliquer ce coup d’État et sur quoi peut-il déboucher, dans le pays et plus largement dans la région ?

***

Un coup d’Etat aux raisons inavouables

Ce putsch n’est pas le fruit d’une mutinerie ou d’une colère des militaires qui aurait dégénéré vers une prise de pouvoir comme ce fut le cas par exemple au Mali en mars 2012 avec le capitaine Amadou Haya Sanogo. Au contraire, celui du Niger a été ourdi avec soin. Ainsi, pour assurer le succès de cette entreprise, les régiments fidèles à l’ancien président de la république Mohamed Bazoum ont été éloignés de la capitale Niamey.

Au-delà du succès immédiat du coup d’Etat, il n’est pas dit que le général Abdourahamane Tiani, le nouvel homme fort du Niger, bénéficie dans les rangs de l’armée et de sa hiérarchie d’un fort soutien. C’est après deux jours d’âpres discussions que le chef d’état-major Abdou Sidikou Issa s’est rangé du côté des putschistes, dans le seul objectif d’éviter un bain de sang dans un conflit fratricide. Le nouveau pouvoir semble relativement faible d’autant que Tiani est loin de faire l’unanimité dans une armé minée par des multiples conflits entre corps, réseaux et appartenances communautaires. Cette faiblesse, Tiani arrive à la compenser habilement par sa confrontation avec les instances régionales de l’Afrique de l’Ouest.

Les raisons officielles justifiant ce pronunciamiento sont pour le moins classiques. Lors de sa déclaration lue à la télévision nationale, le colonel-major Amadou Abdramane, un des représentants des putschistes, a annoncé la création d’un Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP). Il a expliqué que leur action est « motivée par la seule volonté de préserver le Niger de la dégradation continue de la situation sécuritaire, et cela sans que les autorités déchues nous laissent entrevoir une véritable solution de sortie de crise ». Dans leur quête de légitimation, les généraux mentionnent la lutte contre la corruption et la nécessité d’un changement de stratégie dans la lutte contre les attaques djihadistes.

Difficile d’entendre ces arguments de la part de ceux qui ont, pendant des années, participé en tant que dirigeant de l’armée à cette stratégie. Le vice-président du CNSP, le général Salifou Modi, ancien chef d’état-major s’était d’ailleurs, quelques mois auparavant, félicité du bilan du président Bazoum. Quant à la corruption, la plus grosse affaire mise à jour il y a trois ans concerne précisément l’armée avec des surfacturations et des détournements de fonds qui ont perduré depuis des années. 

Certains ont vu dans ce coup d’Etat la main de l’ancien président de la République Mahamadou Issoufou qui au bout de deux mandats avait passé le relais à Bazoum. Le fait qu’il n’ait pas condamné aussitôt l’action des généraux ou qu’il aurait repris leurs arguments lors de conversations privées avec certains responsables de chancelleries, semblent des faits ténus pour étayer cette accusation. Pour sa part, il a réfuté toutes ces allégations. On voit mal son intérêt de participer à ce coup de force, alors que son fils Sani Mahamadou venait d’être nommé ministre des affaires pétrolières dans un moment où le pays s’apprête à multiplier par dix sa production d’hydrocarbure.

L’œuvre de ce coup d’Etat est avant tout une opération de la garde présidentielle, une unité d’élite de l’armée composée de 700 hommes très bien équipés. Tiani qui s’est arrogé le titre de président du Conseil de la transition, avait tenu parfaitement son rôle en déjouant une tentative de coup d’Etat contre Bazoum quelques jours avant son intronisation à la présidence. 

Tiani est considéré comme un très proche d’Issoufou, il lui doit sa nomination et a été reconduit par Bazoum. Une occasion pour ce général de brigade de s’enrichir. Il possède un important cheptel dans sa région natale, le Filingué, ainsi que des biens immobiliers. En 2015 lors d’une tentative de coup d’Etat, son nom sera cité mais faute de preuves, il ne sera pas inquiété.

Les raisons avancées pour expliquer ce coup de force sont à rechercher dans la relation entre Bazoum et l’appareil sécuritaire. En effet, il avait à la fin du mois de mars de cette année nommé des nouveaux responsables de l’état-major des Forces de défense et de sécurité, avait procédé également à des changements à la direction de la gendarmerie nationale et devait entreprendre aussi une réorganisation de la garde présidentielle.

Le risque pour Tiani de perdre son poste était quasi certain. La destitution de Bazoum était la seule solution pour pérenniser son prébendalisme. Un système qui transforme la fonction, ou le poste dans l’administration, en source de financement pour entretenir un réseau clientéliste. Cela s’inscrit aussi dans le rôle particulier que les officiers supérieurs jouent sur la scène politique. En effet au Niger, ce n’est pas un cas unique, il n’y a pas de frontière hermétique entre officier supérieur et homme politique. Sur les dix derniers présidents du Niger, six sont des militaires.

Le mélange des genres entre militaires et pouvoir civil n’est pas nouveau. Pour prendre un seul exemple, qui rappelle la situation actuelle, lors de la période précoloniale, au 19e siècle, le royaume du Katsina, situé à cheval sur le Niger et le Nigeria subissait les attaques djihadistes menées par Ousman dan Fodio. Cette crise provoquera de violentes compétitions pour le contrôle du pouvoir entre les kaouraye, les chefs de guerre, et les sarakouna, les souverains. Même si ces guerriers ne pouvaient pas formellement régner ils réussiront à diriger dans les faits les destinés des royaumes.

Au début de l’époque coloniale, vers 1910, le Niger est directement administré par les officiers français. On distinguait d’ailleurs les officiers d’administration de ceux purement militaires. Le personnel civil était réduit à quelques unités. 

Le coup d’Etat de Kountché en 1974 et sa longévité – il restera au pouvoir jusqu’en 1987 – contribuera grandement à renforcer une politisation de l’armée. Les militaires seront nommés sur l’ensemble des hauts postes de la fonction publique, qu’il s’agisse des mairies, gouvernorats, ambassades, ministères etc. Une tendance qui perdurera. La scène politique nigérienne est autant occupée par les militaires que par les civils. La conséquence est que l’agenda des officiers supérieurs peut être identique à celui des hommes politiques y compris sur les problématiques de prise de pouvoir que certains tentent par des élections, et d’autres par des coups de force. 

Crise de la représentation politique

En deux ans de pouvoir, le bilan de Bazoum semble le moins pire, comparé au Mali et au Burkina Faso. Il a succédé à Issoufou Mahamadou. Les deux sont membres du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), qui en dépit de son nom prometteur, va mener une politique affairiste, de corruption et de répression.

Dès le début, Bazoum a tenté de résoudre la crise sécuritaire en utilisant concomitamment les moyens militaires et les négociations. À travers le pays, des discussions ont eu lieu avec les représentants des différentes communautés et les combattants islamistes par la médiation de notables. Il s’est refusé à armer des milices civiles et il a intégré celles qui existaient dans l’armée. Il était conscient des risques de conflits intercommunautaires, ceux-là mêmes qui se produisent au Burkina Faso et au Mali. Les putschistes lui ont reproché d’avoir fait libérer des djihadistes mais c’était le prix à payer pour amorcer des discussions avec les rebelles.

Un résultat en demi-teinte mais qui n’est sans doute pas étranger au fait que son pays est le moins touché par les attaques des islamistes. Quant à l’accueil de l’armée française, notamment après son départ du Mali puis du Burkina Faso, elle s’est faite dans un cadre précis. La direction des opérations militaires revenant entièrement à la main des officiers nigériens, l’armée française n’intervenant qu’en renfort. 

Mais un bilan moins pire, ce n’est pas un bon bilan surtout pour les populations du Niger. Les problèmes rencontrés sont nombreux. Le rétrécissement de la vie démocratique dans le pays marqué par l’emprisonnement d’activistes de la société civile comme Abdoulaye Seydou dirigeant de la coalition M62, d’Idrissa Adamou Coordonnateur National de l’ONG Notre Cause Commune (NCC) ou de Badja Abdou Awal membre du MPCR (Mouvement pour la Promotion de la Citoyenneté Responsable). Le droit à l’information était aussi malmené avec les arrestations de deux journalistes d’investigation Samira Sabou et Moussa Aksar. Le gouvernement usait de la tactique d’interdire au dernier moment les rassemblements de l’opposition lui permettant ainsi d’arrêter les dirigeants. 

C’est dans ce cadre que les dernières élections présidentielles se sont déroulées. Malgré des incidents lors du scrutin, on peut difficilement parler de fraudes massives ou d’inversion des résultats. Mais la sincérité du scrutin est en cause car les autres candidats n’ont pu mener librement leur campagne électorale. Bazoum doit aussi sa victoire aux élections à une opposition faible, divisée et largement discréditée. Un des principaux opposants a été impliqué dans une affaire criminelle. Il s’était rendu complice d’une de ses femmes, coupable de vol de bébés au Nigeria.

La détérioration de la vie démocratique dans le pays s’accompagne d’une crise économique qui frappe de plein fouet les populations. Ce sont celles des campagnes qui sont le plus touchées. Selon l’OCHA l’agence humanitaire des Nations unies, sept millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. Le chômage de la jeunesse est endémique. L’Indice de Développement Humain du Niger est un des plus bas du monde.

Le boulet de la France

Si les conditions politiques d’accueil de l’armée française restent différentes de celles qui ont eu lieu au Mali et au Burkina Faso, beaucoup de Nigériens y sont opposés. Plusieurs facteurs expliquent cette réprobation. L’histoire d’abord, dans la mesure où les conditions de la colonisation ont été particulièrement dures et brutales contre les populations dans le pays, symbolisées par la répression contre le mouvement Sawaba.

En 1957, dans le cadre de la loi cadre de l’Afrique française, le parti Sawaba remporte les élections. Issue des milieux syndicaux, cette organisation nationaliste et marxisante exige l’indépendance immédiate du Niger. Pays clef à l’époque pour sa fourniture d’uranium à la France, le pouvoir colonial, au mépris de la Constitution envoie un nouveau préfet qui s’empare du pouvoir.

Ainsi, comme le souligne l’historien néerlandais Klaas van Walraven, c’est la France qui inaugurera le premier coup d’État et la rupture de l’ordre constitutionnel au Niger, et plus globalement en Afrique. Le mouvement Sawaba sera interdit, il tentera en vain de s’emparer du pouvoir, et subira une terrible répression contre ses cadres et ses militants. 

Si les conditions d’accueil de l’armée tricolore ont changé, il n’est pas sûr que le comportement des militaires français ait beaucoup évolué au vu de l’affaire Tera. C’est dans ce village, suite à une manifestation contre le convoi de l’armée française qui traversait le territoire, qu’une répression s’en est suivie. Trois jeunes ont été tués et dix-sept autres blessés vraisemblablement victimes de tirs de soldats français. Aucune enquête sérieuse ne fut diligentée et le gouvernement Bazoum enterrera l’affaire, offrant ainsi l’impunité aux responsables de ces assassinats.

Bazoum a pris un risque en acceptant que son pays soit une des bases de l’armée française en Afrique. La politique française sur le Continent n’a pas bonne presse pour de multiples raisons. Sans viser l’exhaustivité, on peut citer l’histoire coloniale, la politique néocoloniale de la Françafrique, le comportement de la plupart des Français sur place, sa politique d’immigration, les attaques répétées contre l’islam dans l’hexagone. Tout cela est renforcé par l’attitude arrogante de Macron lors de ses voyages sur le continent africain. Ses déclarations offensantes en 2017 sur le taux de fécondité trop élevé des femmes nigériennes reste dans bon nombre des mémoires.

En quête d’autres chemins

Ces coups d’État, pour ceux qui les ont accueillis avec joie, représentent une alternative non seulement au pouvoir en place mais aussi au type de système politique. Il ne s’agit pas tant de remettre en cause la démocratie mais plutôt ses élites dirigeantes qui depuis des décennies, qu’elles soient dans l’opposition ou au pouvoir mènent une même politique libérale, qui inscrit le pays dans une division du travail internationale défavorable.

Les résultats des sondages établis par l’Afromètre en juin 2022 sur un échantillon de 1200 personnes sont à ce titre éclairant. Sur la question de l’attachement des Nigériens à la démocratie à la question : « Il y a plusieurs façons de diriger un pays. Seriez-vous en désaccord ou d’accord avec les alternatives suivantes : Un seul parti politique est autorisé à se présenter aux élections et à gouverner ? », les réponses « Tout à fait en désaccord » et « En désaccord » représentent plus de 82 % des sondés. A l’affirmation : « La démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement. » 65,1% approuvent contre seulement 12,5% pour l’affirmation : « Dans certaines circonstances, un gouvernement non démocratique peut être préférable. ».

Ce positionnement majoritaire des nigériens en faveur de la démocratie se combine avec l’idée : « Il est légitime que les forces armées prennent contrôle du gouvernement lorsque les leaders élus abusent de leur pouvoir pour leurs propres intérêts », qui recueille un assentiment de 74,9%. Dans ce sondage s’exprime aussi la défiance à l’égard des officiels de ce pays et un constat d’inefficacité de la lutte contre la corruption. La prise du pouvoir par les militaires n’est pas vécue par bon nombre de Nigériens comme un recul de la démocratie, mais au contraire un moyen d’améliorer la gouvernance par un corps de l’Etat qui apparaît comme le plus efficient.

Sur le Continent, il y a essentiellement de la part de la jeunesse la recherche d’une alternative, d’un système qui offre non seulement des perspectives mais qui restaure la dignité et la fierté d’être Africain. Cette recherche emprunte des chemins parfois inattendus. Une partie de la popularité des islamistes parmi la jeunesse peut être rapportée à cette quête d’un changement. Ces formes radicales attirent. Certains observateurs voient dans les conflits djihadistes une sorte de révolution paysanne, une remise en cause des strates sociales existant dans les campagnes et des privilèges qui y sont attenants.

À une autre échelle, on peut évoquer l’engouement il y a quelques années pour la Chine dont certains pensaient qu’elle allait, dans son sillage de puissance mondiale, entrainer le Continent. On se souvient également de la joie et de la fierté en Afrique lors de l’élection d’Obama. Dans chacun des cas, les attentes ont été déçues. Les discours des putschistes, indépendamment de leur sincérité, entrent en adéquation avec ces aspirations à un changement profond. Une grande partie de la jeunesse vit cette période comme un renouveau de leur pays. Même s’il y a des fortes différences entre, d’un côté, les putschistes du Mali et du Burkina, et, de l’autre, ceux du Niger, qui font partie intégrante de l’ancien sérail politique.

La CDEAO ou l’alliance des autocrates ouest-africains

Le putsch au Niger est évidemment un coup dur tant pour les pays impérialistes que pour les dirigeants d’Afrique de l’Ouest. Pour les uns cela représente une défaite pour les autres un sérieux avertissement.

Les mesures d’une extrême sévérité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) peuvent s’expliquer d’abord par la personnalité du président nigérian, qui est actuellement à la tête de cette instance. Sa récente victoire aux élections présidentielles, contestée par l’opposition, le pousse à mettre en œuvre son programme électoral : redonner au Nigeria la place qu’il devrait occuper au vu du nombre d’habitants et de sa puissance économique. Bola Tinubu entend que son pays joue un rôle prépondérant dans la région Ouest africaine.

D’autres dirigeants, à l’image de l’Ivoirien Ouattara et du Sénégalais Macky Sall tentent, en apparaissant comme intraitables sur la question des coups d’État, de rehausser leur image de démocrates pourtant bien écornée. Pour le premier, on se rappellera que c’est par une rébellion soutenue par le dictateur burkinabé Blaise Compaoré en 2002 qu’il accèdera au pouvoir quelques années plus tard et s’y maintiendra avec un troisième mandat en dépit de la Constitution. Son compère Macky Sall a mené les attaques les plus importantes contre les droits démocratiques depuis l’instauration du multipartisme. Son acharnement contre son principal opposant Ousmane Sonko révèle le refus d’une quelconque alternance.

Enfin il faut mentionner le Béninois Patrice Talon partisan de la ligne dure de la CEDEAO. Lui aussi a mis à mal l’État de droit dans son pays, mais à la différence des autres il le revendique. Lors de sa visite à « La Rencontre des Entrepreneurs de France (LaREF) » en 2022, peut-être encouragé par son auditoire, il annonçait fièrement :

« Désormais au Bénin, la grève est interdite dans les secteurs vitaux comme la santé, la police, les pompiers et tout ce qui concourt à la survie des concitoyens. Dans les autres secteurs, la grève est limitée à deux jours maximums par mois et dix jours par an ». Concédant plus tard : « C’est vrai, c’est un recul par rapport aux acquis démocratiques ».

C’est donc cet aréopage de dirigeants qui opère un blocus économique contre le Niger entraînant des conséquences dramatiques pour les populations d’un des pays les plus pauvres du monde. Le Nigeria a coupé ses exportations d’électricité dont le Niger dépend à 90%. 6000 tonnes de marchandises du Programme alimentaire mondial sont bloquées à la frontière du Bénin. Déjà, au bout d’une semaine de blocus, le prix du riz avait augmenté de 20%. 

La CEDEAO invoque le rétablissement de la légalité constitutionnelle alors que les dernières sanctions prises à l’encontre du Mali ont été jugées illégales par la Cour de justice de l’Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA). Quant à une intervention militaire au Niger, la plupart des observateurs considèrent qu’elle n’aurait aucune base légale.

Une attaque militaire de la CEDAO provoquerait sans nul doute un embrasement de la région, d’autant que le Mali et le Burkina Faso se sont engagés à défendre le Niger. Il est illusoire de penser qu’une fois le rétablissement de Bazoum à la présidence, si tant est qu’il soit encore en vie, l’opération militaire serait terminée. La CEDEAO serait obligée de maintenir un fort contingent pour assurer la pérennité du pouvoir et deviendrait dans les faits une armée d’occupation.

La plupart des pays et organisations internationales sont soit opposés soit très réticents à une telle aventure. Les États-Unis eux-mêmes ne sont pas favorables à une intervention. Le seul qui, contre vents et marées, déclare appuyer toutes les options, est Emmanuel Macron. Son soutien d’ailleurs fait plus de mal à la réputation de la CEDEAO, déjà bien entachée par ses silences sur les fraudes électorales ou les modifications de constitution visant à pérenniser le pouvoir des autocrates.

Accentuation des crises au Sahel

Les récents coups d’Etat au Sahel rebattent les cartes dans la région. On note une progression importance de l’avancée des combattants djihadistes, avec un renforcement de l’État islamique particulièrement dans les régions de Soum et d’Oudalan dit des trois frontières. Il existe un vrai danger : celui de voir l’armée nigérienne, à l’image de celle du Burkina Faso et du Mali, emprunter la voie du tout militaire et abandonner les dialogues qui se sont noués à travers le pays. Une telle politique conduirait à une explosion de violence dont les civils seraient les principales victimes. Un risque réel encouragé par les soldats désemparés confrontés à un conflit qui s’éternise.

La Russie a réussi à s’implanter durablement et bénéficie d’une aura parmi une partie, souvent les plus jeunes, de la population. Le pronunciamiento du Niger met les États-Unis dans une situation compliquée. Ils ont une base aérienne de drones à Agadez dans le centre du pays, mais aussi près de l’aéroport international à Niamey et enfin la CIA exploite une base à Dirkou, dans le nord du pays, dotée de drones « Predator » qui leur permettent une surveillance très pointue de la zone. Ce qui explique la prudence de Washington et le choix d’emprunter les voies diplomatiques 

La France est dans une posture difficile. Virée du Mali puis du Burkina Faso, elle tente de maintenir ses troupes au Niger mais l’intérêt est limité. Ces dernières sont condamnées à ne rien faire puisque toute coopération avec les forces militaires nigériennes est suspendue. Sauf si elles sont amenées à épauler ou soutenir, d’une quelconque manière, l’intervention militaire de la CEDEAO. Les troupes françaises représentent un véritable danger pour la souveraineté du Niger. L’exemple d’un commando français préparant une opération pour libérer Bazoum, annulé au dernier moment à sa demande, montre que l’armée française peut très bien outrepasser ses prérogatives de force d’appui de l’armée nigérienne contre les djihadistes.

Cela ne serait pas la première fois que l’armée interfère dans les affaires des pays où elle est prépositionnée. En 2007, les paras du 3° RPIMa ont prêté main forte à l’armée centrafricaine pour protéger la dictature de Bozizé. En mars 2011, Ouattara s’installe au pouvoir contre Gbagbo avec l’aide des troupes de l’opération Licorne. Dernièrement au Tchad, les forces aériennes de Barkhane avaient bombardé du 3 au 6 février 2019 des colonnes de rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR), organisation totalement éloignée des combattants islamistes, afin de sauver la dictature de Déby.

Dans cette situation, les efforts de l’impérialisme français pour redorer son blason avec sa « Fondation pour la démocratie en Afrique » paraissent bien dérisoires. Pour parodier le titre d’un ouvrage célèbre de René Dumont[1], on peut dire, et c’est à prendre dans les deux sens, en Afrique la France est mal partie.

Note

[1] René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.