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    "On produit la nourriture, on doit décider des prix" : Christian Porta, ouvrier dans l’agroalimentaire

    agroalimentaire inflation

    Lien publiée le 1 octobre 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    « On produit la nourriture, on doit décider des prix » : Christian Porta, ouvrier dans l'agroalimentaire (revolutionpermanente.fr)

    À Neuhauser, acteur majeur de la boulangerie industrielle, le patron enregistre des profits historiques sur le dos des travailleurs. Entretien avec Christian Porta, délégué syndical central de l’entreprise, à propos des marges historiques de l’entreprise et des perspectives pour y faire face.

    « On produit la nourriture, on doit décider des prix » : Christian Porta, ouvrier dans l'agroalimentaire

    Christian Porta est travailleur chez Neuhauser, à Folschviller en Moselle. Il est également délégué syndical central de l’entreprise et militant CGT et Révolution Permanente.

    Révolution Permanente : À l’heure où les travailleurs se serrent la ceinture, une poignée d’industriels et de patrons de l’alimentaire profitent de la situation pour enregistrer des profits records et augmenter leurs prix. Tu travailles à Neuhauser, un acteur majeur du secteur de la boulangerie industrielle. Est-ce que tu peux revenir sur la situation dans le groupe ?

    Christian Porta : À Neuhauser, les augmentations de prix ont commencé au début de la guerre en Ukraine. Dans le contexte du déclenchement de la guerre et des augmentations du prix des matières premières qui en ont découlé, le patron a tiré profit de la situation pour augmenter une première fois les prix de plus de 40%. Il s’en est d’ailleurs félicité publiquement. On nous a expliqué que cette hausse des prix était la conséquence d’une part de l’augmentation d’environ 20 % des cours des matières premières, et d’autre part, d’une augmentation de 20% des marges. Nous avons d’emblée critiqué l’augmentation des prix et la mise à profit de la guerre en Ukraine au service des marges patronales.

    D’autant plus que bien évidemment, les travailleurs n’en ont pas vu la couleur. Nous n’avons quasiment pas eu d’augmentations salariales et de plus en plus de travailleurs se sont retrouvés dans une situation de difficulté pour acheter les marchandises qu’ils produisaient eux-mêmes. En réalité, les premiers concernés par l’augmentation des prix, ce sont les travailleurs et les travailleuses de l’agro-alimentaire.

    Ensuite, les augmentations ont continué. Dernièrement on a assisté à une nouvelle hausse des prix d’environ 20%. Cette nouvelle hausse est le produit direct des augmentations de marges parce que dans le même temps, les prix des matières premières baissent.

    RP : Alors que les profits s’accumulent pour le patronat de ton groupe, tu expliques que « les travailleurs de l’agro-alimentaire sont les premiers concernés et les premiers à se retrouver dans une situation de difficulté ». Est-ce que tu peux développer davantage à propos des effets de l’inflation alimentaire sur les travailleurs de Neuhauser ?

    CP : Les minimales augmentations de salaires que nous avons obtenues ont été le fruit de batailles qu’on a menées et de journées de grève. En octobre dernier, notamment, au même moment que la grève des raffineurs pour les salaires, six sites de Neuhauser sont entrés ensemble dans une lutte pour des augmentations de nos rémunérations pendant près d’une semaine. Une coordination historique mais qui a accouché seulement de 3% d’augmentation et de quelques primes. Des augmentations très loin de suivre d’une part l’inflation, d’autre part les marges patronales. Aujourd’hui, nous avons perdu du salaire. Sur deux ans, nous devons être à moins de 5% d’augmentation, alors que dans le même temps l’inflation alimentaire est à plus de 20%.

    RP : Face à la précarité qui se généralise, il y a urgence à arracher des mesures d’urgence et des augmentations de salaire. Quel peut être le rôle des travailleurs de l’agroalimentaire et autour de quelles revendications pour faire face à la crise ?

    CP : Face à l’inflation, il n’y a qu’une seule solution, c’est de remettre sur la table l’indexation des salaires. Il n’y a en réalité pas d’autres mesures envisageables pour faire en sorte que ce ne soient pas aux travailleurs de payer le coût de l’inflation. C’est un mot d’ordre que les raffineurs avaient mis en avant en octobre dernier et qu’il faut reprendre partout.

    Les travailleurs et travailleuses de l’agro-alimentaire ont aussi un rôle spécifique à jouer. Ce rôle, il doit être d’imposer un rapport de force suffisant dans nos boîtes pour imposer aux patrons le contrôle des prix par les travailleurs eux-mêmes. Nous ne pouvons pas accepter, dans la boulangerie industrielle et ailleurs, que l’augmentation de certaines marges atteigne parfois jusqu’à 50%. Les travailleurs et les travailleuses, en lien avec les consommateurs peuvent y remédier. Nous n’avons rien à attendre du gouvernement, ni d’un accord entre différentes branches du patronat. Nous ne voulons pas de charité mais pouvoir vivre dignement de notre travail. C’est pourquoi il va falloir que nous imposions la réduction des prix. On voudrait nous le faire oublier, mais ce sont les travailleurs qui produisent les marchandises, qui savent quels en sont les coûts et les marges qu’enregistrent les patrons. Ils sont tout à fait capables de décider de ce que devraient être les prix.

    RP : Tu évoques la question du contrôle des prix par les travailleurs eux-mêmes. C’est un enjeu essentiel pour faire face à l’inflation, mais qui peut sembler abstrait ou difficilement réalisable. À Neuhauser, pendant la Covid, on a assisté dans ton usine à un embryon de contrôle ouvrier sur la production. Est-ce que tu peux revenir sur cette expérience ?

    CP : A l’usine, cette expérience, c’est une fierté. Notre patron pendant la Covid avait décidé de jeter un certain nombre de produits encore consommables, parce qu’au-delà d’un certain délai de stockage les distributeurs n’en voulaient plus. La logique répondait à des enjeux financiers de libération de place. Dans ce contexte, avec les collègues nous avons refusé de jeter les produits et nous sommes allés plus loin. Nous avons décidé de réquisitionner les produits et d’en distribuer des millions via des associations à la population. Il s’agissait d’une démonstration importante dans une situation de précarité généralisée et alors qu’on observait des files immenses, notamment d’étudiants, devant les banques alimentaires.

    Cette expérience, elle prouve qu’avec un rapport de force suffisant, nous avons la capacité de réquisitionner sans que notre patron ne puisse rien dire, de nous rendre utiles et de décider de la production. C’est une des premières fois où avec mes collègues, nous avons pris conscience du rôle que nous avions dans la société, que nous pouvions nourrir la population et répondre à ses besoins. Tout cela nécessite un rapport de force conséquent. L’intersyndicale est en train de réchauffer la stratégie de la défaite de la bataille des retraites en pire, en se contentant de faire pression sur le gouvernement et le patronat, cette fois sur le terrain du « dialogue social ». C’est d’un plan de bataille dont on a besoin, pour que ce soient aux patrons de payer la crise.