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"Il faut penser un communisme technologique" - Juan Sebastián Carbonell
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Dans une interview, Juan Sebastián Carbonell interroge les conséquences et implications politiques du développement de l’IA et des nouvelles technologies sur le monde du travail. L’occasion de défendre l’élaboration d’un « communisme technologique » qui permette de penser le contrôle démocratique par les travailleurs eux-mêmes non seulement des moyens de production mais aussi des technologies liées au travail.
Juan Sebastián Carbonell est sociologue du travail et des relations professionnelles. Il est l’auteur de Le Futur du travail (Éditions Amsterdam, 2022).
Révolution Permanente : Le développement de l’intelligence artificielle suscite récemment beaucoup de question quant à ses effets pour les travailleurs : on l’a vu dans le cadre des mobilisations à Hollywood, on observe également en France des cas de licenciements justifiés par le recours à l’IA, et dernièrement une projection de Goldman Sachs indique que plusieurs centaines de millions d’emplois seraient menacés par les progrès de l’IA. Faut-il s’attendre à des effets à court terme, quels secteurs d’activité et quels métiers sont concernés ?
Juan Sebastian Carbonell : Il faut toujours prendre avec des pincettes les exemples qui sont relayés dans les médias souvent sans aller au-delà de l’effet d’annonce. De ce point de vue, la grève des scénaristes d’Hollywood aux Etats-Unis mais aussi le cas français de l’entreprise Onclusive qui aurait licencié plusieurs centaines de travailleurs pour les remplacer par des IA sont assez symptomatiques. Le problème avec le deuxième exemple notamment, c’est que c’est une entreprise qui traversait déjà un certain nombre de difficultés et qui n’en était pas à son premier plan social. En d’autres termes, il faut toujours inclure dans les analyses sur les changements technologiques des éléments d’économie politique et ne pas s’en tenir à une relation de causalité immédiate qui reviendrait à stipuler que telle technologie aurait telle conséquence sur l’emploi. A trop donner d’attention aux effets d’annonce, on risque de tomber en effet dans du déterminisme technologique et de penser que l’intelligence artificielle aura nécessairement telle conséquence, qui serait déjà formulée et qu’on connaîtrait déjà, sur l’emploi et les conditions de travail.
RP : Il semble que les licenciements dans ces secteurs concernent surtout des métiers qualifiés, une nouveauté par rapport aux effets habituels des utilisations du progrès technique pour casser les emplois. Est-ce que les possibles suppression d’emplois pourraient entrainer des phénomènes de sous-qualification des salariés, qui effectueraient des taches en deçà de leur niveau de qualification ?
JSC : La grande nouveauté de ces nouvelles technologies (les intelligences artificielles -toujours au pluriel- et leurs différentes applications) dont on discute aujourd’hui beaucoup dans les médias, c’est qu’elles ne concernent en effet non plus seulement les métiers manuels, c’est-à-dire les métiers d’exécution dans l’industrie ou les services, mais aussi les métiers dits « qualifiés », les professions intermédiaires, intellectuelles mais également libérales. Aussi, l’intelligence artificielle est une technologie comme les autres, mais avec des effets spécifiques.
Comme les autres, d’abord, parce ses conséquences sont souvent les mêmes qu’à l’occasion, par exemple, de l’introduction du machinisme ou de la robotique : intensification, déqualification, surveillance et contrôle sur la main d’œuvre, et aussi disparitions de certaines professions en parallèle de la création de nouvelles qualifications et emplois. Spécifique ensuite, parce que l’intelligence artificielle peut être pensée comme une « machine interprétative » selon la formulation d’un chercheur britannique Larry Lohmann, en ce qu’elle capte certaines compétences des salariés de professions qualifiées pour les codifier et les reproduire de façon standardisée. Tout ce travail d’interprétation, qui existe dans toutes les formes de métiers, est sans doute davantage développé dans les métiers qualifiés.
RP : Au-delà de la question des licenciements, tu expliques dans ton livre que l’automatisation dans le secteur de l’automobile a transformé certains métiers, leur accordant moins de liberté dans l’exercice de leur travail, avec des gestes plus standardisés et un contrôle et une surveillance de la hiérarchie facilités, faut-il s’attendre à des effets similaires en lien avec l’utilisation des IA ?
JSC : On risque de voir les dynamiques qui ont été appliquées aux travailleurs de l’industrie automobile se reproduire pour les travailleurs plus qualifiés. Dans le secteur de l’automobile, l’introduction de technologies dites « digitales » ou de ce qu’on a appelé « l’industrie 4.0 » a été l’occasion d’imposer une importante intensification du travail par l’entremise notamment de la mise en place de robots filoguidés qui approvisionnent les postes de montage en pièces. Ce phénomène s’est accompagné d’une entreprise de déqualification, le but étant que n’importe quel salarié puisse faire n’importe quel travail. On a également pu observer des formes de surveillance ou de contrôle accrues, la direction ayant une vision plus transparente du processus de travail grâce à ces nouvelles technologies.
Dans le cas de l’industrie automobile, on voit déjà des intelligences artificielles être introduites, quoique de façon embryonnaire. C’est le cas notamment de la maintenance prédictive, c’est-à-dire l’utilisation de capteurs dans les machines pour enregistrer des données et savoir quand une machine risque de tomber en panne. Une introduction qui change radicalement le travail de maintenancier, lequel perd en autonomie et en indépendance dans la gestion de son propre emploi et se voit dicté ses tâches sur fond d’intensification du travail.
RP : Pour finir il y a un paradoxe évident entre la création d’une nouvelle technologie, qui pourrait faciliter l’exercice du travail et alléger la durée nécessaire pour effectuer les mêmes tâches, et son application, qui risque de précariser les travailleurs. Qu’est-ce que cela t’inspire, et notamment qu’est-ce que les technologies comme l’IA pourraient permettre en matière de nouvelle organisation du travail ?
JSC : Selon moi, l’extrême gauche et le mouvement ouvrier doivent dépasser une vision qui a longtemps prévalue selon laquelle il y aurait une équivalence entre nouvelle technologie et potentialité révolutionnaire. En d’autres termes, l’idée qu’entre les mains des travailleurs la technologie serait forcément un outil pour réduire le temps de travail et en améliorer les conditions. C’est une vision selon moi dépassée parce qu’il faut prendre en considération la manière dont ces technologies ont été conçues, en clair en fonction d’objectifs et de buts capitalistes. Au lieu de penser un autre usage de ces technologies existantes, il faudrait penser d’autres technologies ou un chemin alternatif technologique.
Les chaînes de montage ou chaînes d’assemblage par exemple sont qualifiées par Harry Braverman de « reliques barbares ». On a du mal à penser que ce genre de travail extrêmement parcellisé, monotone et abrutissant puisse exister sous une forme « socialiste ». L’enjeu est de penser non seulement le contrôle démocratique par les travailleurs sur les moyens de travail mais aussi sur la façon dont les technologies sont développées, conçues et ensuite introduites dans le milieu du travail. De la même façon, si la production de masse s’est aujourd’hui imposée comme une évidence, comme une forme nécessairement plus efficiente du processus de travail, il existe des voies alternatives. Un grand nombre de travaux historiques sur les alternatives industrielles montrent très bien que d’autres chemins auraient pu être empruntés et qu’ils ne l’ont pas été en raison de logiques politiques. Aussi, il s’agit de penser un communisme technologique qui puisse traiter à la fois de l’utilisation des technologies, mais aussi de leur conception, de leur développement, et enfin des buts de leur introduction dans les milieux de travail, afin de répondre aux besoins des travailleur.ses et des impératifs environnementaux.