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Palestine : quand travailleurs arabes et juifs luttaient ensemble
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Palestine : quand travailleurs arabes et juifs luttaient ensemble (revolutionpermanente.fr)
Face au massacre colonial d'Israël contre le peuple palestinien, nous retraçons un exemple d’unité entre les travailleurs arabes et juifs sous le drapeau du marxisme, en nous replongeant dans les origines du conflit déclenché par l’impérialisme il y a un siècle.
Le souvenir que nous allons retracer n’est qu’une partie d’une histoire bien plus grande : celle de la fraternisation des peuples juifs et arabes. Si la Palestine souffre de l’occupation militaire de son territoire par Israël, accompagnée de politiques d’exploitation et d’épuration ethniques qui durent depuis 75 ans, le bashing médiatique voudrait réduire les causes de la situation à une pseudo-hostilité historique qui existerait entre les deux peuples, sur des bases religieuses. Pourtant, l’histoire qui lie les peuples arabes et juifs est tout autre.
Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de revenir sur cette histoire, celle que l’on voudrait nous faire oublier pour céder à la division. Celle d’une classe ouvrière mondiale unie, internationaliste, face à un ennemi commun : l’oppression impérialiste et capitaliste. Ainsi, nous partageons quelques éléments pour approfondir la réflexion autour du conflit actuel et penser une issue favorable aux classes ouvrières et paysannes du Moyen-Orient.
En ce sens, nous reprenons des éléments du livre « Le Grand Jeu » de Leopold Trepper, notamment son chapitre 3, « Palestine ». Celui-ci revient sur l’histoire de l’organisation Ishud (L’Unité), ou Itashat en arabe, qui va regrouper des militants de gauche juifs et arabes, entre 1924 et 1929 (représentés sur la photo d’entête de l’article).
Qui était Leopold Trepper ?
Leopold Trepper était un militant communiste d’origine juive, de l’entre-deux-guerres. Juif polonais, maçon, serrurier, métallurgiste, mineur, militant marxiste (à partir du milieu des années 1920), prisonnier politique, immigré, exilé, excellent étudiant dans les universités soviétiques au milieu des années 1930, colonel de l’Armée rouge. Il fut ensuite chef central des services de renseignements soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale, un réseau de militants antifascistes que les nazis eux-mêmes baptiseront « l’Orchestre rouge », tant ils seront surpris par leur organisation et leur composition.
« L’Orchestre rouge » était justement composé par d’anciens militants du groupe judéo-palestinien, l’Unité (Ishud). C’est de là que viendront ses dirigeants et ses cadres. Parmi les participants se trouvaient Leopold Trepper lui-même, mais aussi Léo Grossvogel et Hillel Katz, qui étaient de la vieille garde palestinienne.
Chapitre 3, « Palestine » : une histoire sur l’unité de la classe ouvrière
Trepper, fuyant la Pologne, arrive en Palestine en avril 1924. Rapidement, comme il raconte, dans son livre : « J’avais remarqué que les riches propriétaires juifs, qui vivaient très confortablement, n’employaient sur leurs plantations que des ouvriers agricoles arabes, atrocement exploités. Un soir, à la veillée, j’en parlai à mes amis : « Pourquoi nos " patrons " qui se disent bons sionistes n’utilisent-ils que la main-d’œuvre arabe ? - Parce qu’ils la payent moins. - Et pourquoi ? - C’est simple. La Histadrout (Confédération générale des travailleurs juifs, fondée à Haïfa en 1920) n’accepte dans ses rangs que les Juifs et elle oblige les patrons à verser un salaire minimal. Ceux-ci préfèrent recourir aux Arabes qui ne sont défendus par aucun syndicat. »
« Cette découverte troubla profondément mon idéalisme tranquille. Jeune émigrant, j’étais venu en Palestine construire un monde nouveau et je m’apercevais que la bourgeoisie sioniste, imbue de ses privilèges, voulait perpétuer des rapports sociaux que nous désirions abolir. Sous le couvert de l’unité nationale juive, je retrouvais la lutte des classes. »
« Quelques mois après mon arrivée, à la fin de 1924, j’entrepris de faire le tour du pays à pied. A cette date vivaient en Palestine un demi-million d’Arabes et environ cent cinquante mille Juifs. Je visitai Jérusalem, Haïfa, déjà industrialisée, et parcourus l’Emek-Israël, la Galilée, où dans plusieurs kibboutzim travaillaient mes amis de l’Hachomer Hatzaïr. Comme moi, ils avaient émigré en Palestine pour créer une société nouvelle d’où serait bannie l’injustice. Ils croyaient acquérir, par le retour à la nature et le travail de la terre, les valeurs de courage, d’abnégation et de dévouement à la communauté. Un certain nombre commençaient à perdre leurs illusions sur la possibilité de jeter les bases du socialisme dans un pays sous mandat britannique. Il suffisait, pour s’en convaincre, de regarder les solides gaillards de la gendarmerie anglaise qui déambulaient en nombre respectable dans les rues. Il était vain, illusoire et même dangereux de vouloir construire des îlots de socialisme dans cette région du monde où veillait, toutes griffes sorties, le lion britannique. »
« Notre action n’a de sens qu’intégrée à la lutte anti-impérialiste », me dit un camarade au cours d’une de nos longues conversations. « Tant que les Anglais seront ici, nous ne pourrons rien faire. - Mais dans cette lutte, lui rétorquai-je, nous avons besoin du soutien des Arabes ! - Justement, nous ne réglerons la question nationale que par la révolution sociale. - Mais l’aboutissement logique de ton raisonnement est l’adhésion
au parti communiste. -En effet, je viens d’y entrer ! »
« Je proposai aux dirigeants du parti, Averbuch, Berger, Birman, la création d’un mouvement, l’Ichud (l’Unité), Itachat en arabe, qui rassemblerait Juifs et Arabes.
Son programme était élémentaire :
1. Lutter pour l’ouverture de la Histadrout aux travailleurs arabes, et créer une Internationale syndicale unie.
2. Promouvoir des terrains de rencontre entre les Juifs et les Arabes, notamment par des manifestations culturelles. »
« Tout de suite, l’Ichud connut un grand succès. A la fin de 1925, des clubs existaient à Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv et jusque dans les villages agricoles où travaillaient côte à côte des ouvriers arabes et juifs. »
« Les autorités anglaises s’inquiétèrent des activités de l’Ichud, les réunions du mouvement furent interdites par décret. Le secrétaire de la Fraction ouvrière fut arrêté. Je le remplaçai. En 1927, la police juive contrôlée par les Anglais fit une descente au cours d’une de ses réunions à Tel-Aviv. Je fus arrêté et emprisonné pendant plusieurs mois à Jaffa. »
En 1929, Leopold Trepper et plusieurs de ses camarades seront expulsés de Palestine sous la décision du gouvernement anglais.
Mémoires de Trepper sur les trotskistes
Dans les années 1930, après un bref séjour en France suite à son expulsion de Palestine, Trepper s’installe à Moscou où il étudie et se forme dans les universités internationales du Parti communiste. À cette époque, il connaît également les débuts de la contre-révolution et de la terreur stalinienne. Mais il échappe miraculeusement aux purges staliniennes, et accepte d’entrer aux renseignements pour lutter contre la peste brune, le nazisme. C’est pendant la guerre qu’il deviendra le chef de « l’Orchestre rouge ».
Il se souvient et écrit sur cette époque dans un autre chapitre de « Le grand jeu » (Ch. 7 « Peur ») :
« C’est seulement en 1938 que Moscou fut « nettoyée » des militants communistes. Les lueurs d’Octobre s’éteignaient dans les crépuscules carcellaires. La Révolution dégénérée avait donné naissance à un système de terreur et d’horreur où les idéaux du socialisme étaient bafoués au nom d’un dogme fossilisé que les bourreaux avaient encore le front d’appeler marxisme. [...] Mais qui donc à cette époque protesta ? Qui se leva pour crier son dégoût ? Les trotskystes peuvent revendiquer cet honneur. A l’instar de leur leader, qui paya son opiniâtreté d’un coup de piolet, ils combattirent totalement le stalinisme, et ils furent les seuls. A l’époque des grandes purges, ils ne pouvaient plus crier leur révolte que dans les immensités glacées où on les avait traînés pour mieux les exterminer. Dans les camps, leur conduite fut digne et même exemplaire. Mais leur voix se perdit dans la toundra. »
De telles expériences font partie de l’histoire de la classe ouvrière mondiale et du mouvement révolutionnaire. Il est nécessaire de se réapproprier ces mémoires internationalistes de la lutte des classes, pour ne jamais tomber dans les tromperies des guerres menées par la bourgeoisie et les impérialismes, qui saignent les nations et les peuples.
[Article traduit de La Izquierda Diario. Article original à lire ici