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Criminalisation du soutien à la Palestine et crise de l’impérialisme français
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Plus la crise de l’impérialisme français s’approfondira, plus le régime aura besoin de réprimer et discipliner le mouvement ouvrier et social. La criminalisation de la solidarité avec la Palestine s’inscrit dans cette dynamique tout en présentant une opportunité de mener une offensive réactionnaire contre ces mouvements.
« L’ordre règne à Paris » : voilà ce qu’aimeraient proclamer Macron, son gouvernement et ses alliés à l’heure où ils tentent de criminaliser toute expression publique en solidarité avec le peuple palestinien et la résistance face aux crimes de Tsahal et à l’apartheid israélien. Depuis l’offensive du Hamas en Israël le 7 octobre dernier, qui s’est attaqué à des positions militaires israéliennes mais aussi aux civils, le gouvernement et les principaux médias font campagne pour assimiler tout soutien de la lutte du peuple palestinien contre l’apartheid et pour son droit à l’auto-détermination à un soutien en faveur du Hamas, voire à une « apologie du terrorisme ».
Non seulement des militants palestiniens présents sur le territoire français sont arrêtés, à l’image de Mariam Abu Daqqa, quand bien même ils n’auraient aucun lien avec le Hamas, mais des responsables syndicaux qui ont le courage de défendre une position de solidarité vis-à-vis de la Palestine sont interpellés, à l’instar du dirigeant de l’Union départementale CGT Nord, et ce sont même des expositions, des conférences ou d’autres types d’évènements politiques ou culturels impliquant la Palestine ou des Palestiniens qui sont annulés ou interdits. Un décalque hexagonal de la politique criminelle de « punition collective » mise en place par Israël.
En ce sens, la situation en France, où les manifestations en soutien avec la Palestine ont été jusqu’ici systématiquement interdites, contraste fortement avec celle d’autres pays où ont eu lieu des mobilisations massives contre l’agression israélienne, en Europe, comme à Amsterdam, ou ailleurs dans le monde, à Rabat, New York ou Sao Paolo. En effet, peu semble importer que les organisateurs condamnent clairement les crimes contre les civils israéliens, qu’ils déclarent ouvertement ne pas confondre la résistance palestinienne et le soutien aux méthodes et à la stratégie du Hamas, toute expression de soutien à la Palestine est tout simplement réprimée et criminalisée.
Mais le gouvernement et l’État français ne sont pas plus dévoués à la défense de l’État colonial d’Israël et à son régime d’apartheid que les dirigeants britanniques, italiens, néerlandais ou encore états-uniens. Pour quelles raisons, donc, la France figure-t-elle parmi les pays où la répression contre le mouvement de solidarité avec la Palestine est la plus forte ?
Faire payer à domicile les reculs à l’extérieur
Même si le soutien à Israël fait partie d’une politique d’État de l’impérialisme français, politique qui dépasse les clivages opposant les différents courants bourgeois, une partie de l’explication du très fort degré de répression, qui prend des airs de chasse aux sorcières, pourrait être à chercher dans la situation même de l’impérialisme français. Il y a, bien entendu, une dimension plus proprement politique et immédiatement sociale, sur laquelle nous reviendrons, où la bourgeoisie et son gouvernement essayent de faire payer, en retour, les quartiers populaires et leurs soutiens pour la révolte de cet été, autant que les franges radicales et solidaires du mouvement ouvrier pour la mobilisation de l’hiver et du printemps derniers.
Mais il y a également un aspect géopolitique de la chose : l’impérialisme français traverse une importante crise et recule, au niveau mondial, depuis plusieurs années déjà. Cette crise et cette perte d’influence de l’impérialisme hexagonal se sont vues vue assez clairement ces derniers mois au Sahel où l’armée française a été « chassée », coup sur coup, de plusieurs pays : du Mali d’abord, du Burkina Faso ensuite et finalement du Niger. Plusieurs analystes craignent que ces reculs de la « Françafrique » se poursuivent au Sahel et dans toute l’Afrique de l’Ouest dans les prochaines années.
La crise de la Françafrique est un vrai problème pour l’impérialisme français : elle affaiblit les positions économiques, militaires et géopolitiques de Paris dans le monde face à une concurrence de plus en plus forte. Celle-ci vient de la part de puissances « hostiles » aussi différentes entre elles que la Russie, la Chine ou la Turquie. Mais la France est aussi sous pression de la concurrence d’impérialismes « amis ». Ainsi, l’attitude des États-Unis au Niger où ils ont pris leurs distances avec la France est le dernier exemple inquiétant pour Paris. Face à cette situation, le gouvernement et plus généralement le régime dans son ensemble doivent trouver des réponses militaires, économiques et politiques pour éviter un « déclassement » de l’impérialisme français au niveau mondial. Cela se joue au niveau extérieur, mais également dans les frontières de l’Hexagone.
Le gouvernement français a ainsi essayé de répondre militairement au coup d’État au Niger, en poussant clairement la CEDEAO à lancer une intervention dans le pays afin de rétablir le « gouvernement légitime » au pouvoir. Ces manœuvres ont fait long feu et ont été un fiasco face aux risques et contradictions que cela impliquait pour la région et les pays qui éventuellement participeraient à cette guerre. Finalement, la France a été désavouée et humiliée et a dû annoncer le retrait de ses troupes et l’évacuation de son personnel diplomatique du Niger.
Mais dans cette défense de son pré carré extérieur, il y a aussi la volonté d’élargir, en interne, les marges de profit du capital ou, en tout état de cause, de revenir sur des conquêtes et des acquis du mouvement ouvrier et des classes populaires qui sont considérés comme des obstacles à un modèle plus compétitif pour la bourgeoisie française. Mais les options qui s’offrent à elle sont limitées, même en appliquant des réformes néolibérales contre le monde du travail. Et cela d’autant plus que les contre-réformes structurelles, que le capitalisme français réclame, ont rencontré au cours des dernières années de fortes résistances de la part du mouvement ouvrier et des classes populaires. Malgré les avancées austéritaires de la bourgeoisie sur ce terrain, chaque contre-réforme a représenté, pour les gouvernements successifs mais également les institutions du régime, un coût politique important ; les gains partiels en termes strictement économiques, ont été obtenus au prix de fissures dans le régime, lit des crises politiques futures.
Dans ce cadre, la bourgeoisie française a besoin de discipliner le mouvement ouvrier et social afin d’affaiblir ses forces et sa capacité à s’opposer aux politiques des gouvernements capitalistes, mais aussi à se battre pour l’amélioration de ses conditions de vie et de travail ainsi que des salaires. Cela passe également par circonscrire, contenir ou réprimer toute velléité de remise en cause de la politique extérieure française et de ses alliances qui vont de pair avec la politique de la bourgeoisie en interne, quand bien même, dans leur grande majorité, et cela vaut également dans le cas de la guerre contre Gaza en cours, les directions majoritaires et officielles du mouvement ouvrier ont brillé jusque là par leur absence d’opposition à la politique de « notre » impérialisme, par-delà les positions courageuses et justes prises par telle ou telle UD, UL ou syndicat confédéré.
Déployer la division en interne
L’un des leviers politiques sur lequel les différents gouvernements comptent pour affaiblir le mouvement ouvrier et social est la division du camp des travailleurs à travers le racisme et, plus particulièrement, l’islamophobie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’islamophobie comme outil de division n’est pas une nouveauté. L’impérialisme français l’a toujours utilisé pour diviser les travailleurs français de leurs frères et sœurs de classe dans les colonies en Afrique, et notamment au Maghreb.
L’islamophobie et les préjugés racistes se sont accentués, notamment ces dernières années, en réaction aux mobilisations contre les violences policières et aux révoltes suscitées par les meurtres de jeunes (et moins jeunes) dans les quartiers populaires, où habite une partie importante du prolétariat immigré ou d’origine étrangère. La criminalisation permanente des victimes et de leurs soutiens est une tradition coloniale bien vivante dans la France impérialiste d’aujourd’hui visant à créer des « bonnes » et des « mauvaises » victimes.
C’est précisément auprès de cette partie importante du prolétariat français que la cause palestinienne trouve une grande sympathie et un grand écho. Ce n’est donc pas un hasard si la criminalisation du soutien à la Palestine est si brutale en ce moment, car le gouvernement sait que les braises du mouvement contre la réforme des retraites et, surtout, celles des révoltes de l’été dernier sont encore chaudes. Macron en personne a dit craindre une « division du pays », en cas de « mauvaise gestion ». En d’autres termes, ce que Macron craint, c’est une politisation profonde de larges couches populaires, en particulier la jeunesse des quartiers, et une recrudescence de la contestation organisée.
Autrement dit, les prétextes fallacieux d’apologie du terrorisme ou même d’antisémitisme ne sont en fin de compte que des justifications de façade pour légitimer la répression contre les soutiens du peuple palestinien, attaquant de plein fouet une cause historiquement défendue par la gauche radicale et révolutionnaire et qui constitue un vecteur de conscience politique pour la jeunesse populaire. Sur le terrain de l’antisémitisme d’ailleurs, comme avait à cœur de le rappeler Maurice Rajsfus, la bourgeoisie et l’État français ont un lourd passif, de l’affaire Dreyfus à la collaboration active, en passant par la déportation des Juifs vers les camps d’extermination nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement utilise en réalité la « défense inconditionnelle » d’Israël non seulement comme une façon de défendre les intérêts de l’impérialisme français au Proche-Orient mais aussi pour renforcer sa propre politique de division de la classe ouvrière, à travers le racisme et la répression.
Cependant, la criminalisation des soutiens de la cause palestinienne ne vise pas seulement « les Arabes et les musulmans ». Elle vise également l’ensemble des militants et militantes, des collectifs et des organisations politiques ou sociales qui défendent en général les causes anti-impérialistes, et qui se battent particulièrement contre l’impérialisme français. Ainsi, le gouvernement utilise, et utilisera, tout élément de l’actualité, nationale ou internationale, pour renforcer l’autoritarisme bonapartiste du régime politique français contre le mouvement ouvrier et social. Il ne serait pas étonnant que, tôt ou tard, on cherche à criminaliser les critiques du militarisme français, de ses interventions, de la Françafrique, de la politique de spoliation des multinationales françaises, entre autres, comme ils sont en train de faire avec le mouvement de soutien à la Palestine en essayant de le calomnier et de le réprimer et en le présentant comme un mouvement « islamiste », voire de « soutien au terrorisme ».
Résistance et solidarité
Mais tout n’est pas si simple pour le gouvernement et pour la bourgeoisie française. Malgré la répression et les intimidations, malgré les amendes et les interdictions de manifester, des milliers de personnes ont participé dans tout le pays à des mobilisation de solidarité avec la lutte du peuple palestinien. En même temps, la politique cynique de « soutien inconditionnel » à Israël et à ses crimes contre les Palestiniens est en train de se retourner contre la France, notamment dans les pays du Maghreb. Au Maroc comme en Tunisie, les manifestants ont fortement remis en cause la politique de collaboration des régimes en place avec leur ancienne tutelle coloniale, notamment en raison de la position de Paris vis-à-vis de son soutien à l’agression contre Gaza. En retour, donc, de la répression contre le mouvement de solidarité avec la Palestine, en France, ainsi que de l’alignement de Paris sur Tel-Aviv, cette situation pourrait ultérieurement aggraver les contradictions de la France dans son arrière-cour semi-coloniale, approfondir la crise de la Françafrique et plus généralement l’impérialisme français dans les pays arabes et musulmans.
On ne peut que regretter que les directions syndicales soient restées jusque récemment largement silencieuses face à la répression de l’État, en s’alignant même souvent sur des positions bourgeoises et contraires aux intérêts des peuples colonisés et opprimés. Alors qu’une première manifestation appelée par un arc large, au sein duquel on compte la CGT, aura lieu ce dimanche, les organisations syndicales doivent sortir de leur passivité, voire de leur complicité, face à ces attaques du gouvernement visant à diviser la classe ouvrière pour mieux l’attaquer. Il est urgent que les organisations du mouvement ouvrier, populaire et de la jeunesse, qu’elles soient syndicales, politiques ou associatives fassent bloc face à la criminalisation du mouvement de soutien à la Palestine, aux intimidations et à la répression sous toutes ses formes, autour d’un plan pour construire une contre-offensive. La gauche révolutionnaire a, sur cette question-là également, un rôle moteur à jouer.