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L’inflation perdure et ampute durement le pouvoir d’achat
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’inflation perdure et ampute durement le pouvoir d’achat - Élucid (elucid.media)
Phénomène qu’on pensait terrassé, vague souvenir du XXe siècle, l’inflation a fait son grand retour en 2021. Bien que son niveau soit bien inférieur aux grandes crises du XXe siècle, ses effets sur le pouvoir d’achat et donc sur l’économie ont été particulièrement négatifs en raison de la disparition des anciens mécanismes de protection des salariés. Pendant ce temps, près de la moitié de l’inflation en France est actuellement causée par des hausses de profits dans certaines secteurs.
Jusqu’en 2021, l’inflation semblait appartenir au passé après trois décennies de modération des hausses de prix. Comme quoi, il convient de toujours tenir compte de possibles ruptures brutales des tendances historiques.
Mais rappelons tout d’abord que ce qu’on appelle communément « inflation » désigne l’augmentation annuelle de l’indice des prix à la consommation calculé par l’Insee, qui permet de savoir « de combien les consommateurs doivent augmenter ou diminuer leurs dépenses pour maintenir le même volume de consommation ». Il ne tient pas compte de l’évolution des prix à l’investissement, comme ceux de l’achat immobilier ou des achats d’actifs financiers par exemple.
C’est un indicateur très important, car il permet par exemple de négocier les hausses de revenus (salaires, pensions de retraite) et de déterminer l’évolution du pouvoir d’achat ou de la croissance du PIB.
Une inflation qui perdure
Après deux années de déclin, l’inflation française est donc repartie à la hausse mi-2021 : elle approchait déjà les 4 % en décembre 2021. Tirée par la hausse des prix de l’énergie, elle a aussi été causée par des difficultés d’approvisionnement dans cette période toujours marquée par le Covid, avec une demande qui repartait à la hausse, mais une offre qui restait faible. La guerre en Ukraine a rajouté une couche, toujours en raison des prix de l’énergie.
Le pic de 7 % a été atteint en février 2023, et l’inflation a diminué depuis. Attention, cela signifie bien que les prix continuaient à fortement augmenter, mais simplement moins qu’avant.
Le mois d'août 2023 a marqué une surprise, avec un net rebond de l’inflation. Ce seul mois a connu une hausse des prix de +1 % – soit le niveau d’inflation pour toute l’année 2016 par exemple.
Le détail par produit montre qu’après une forte hausse, les prix de l’énergie se sont stabilisés à un niveau élevé, avant de rebondir fortement en août, expliquant la hausse constatée de l’indice global. Cependant, au bout de plusieurs mois, ces prix élevés de l’énergie se sont diffusés à d’autres secteurs, alimentant de nouveau l’inflation. C’est particulièrement le cas pour l’alimentation qui coûte désormais presque 35 % plus cher qu’en 2021.
Beaucoup de prix de production ont explosé
Plus en détail, l’inflation actuelle n’est plus causée par l’énergie, mais par les conséquences de la diffusion des prix de l’énergie et des hausses des coûts, en particulier dans le secteur de l’alimentaire, mais aussi désormais des services.
En général, les sources et mécanismes de l’inflation sont complexes et font l’objet de débats passionnés. C’est en effet un mécanisme difficile à appréhender. Pour illustrer, imaginons une hausse de l’énergie de 50 % : au vu du poids de ce poste dans l’économie, cela induit une hausse immédiate de 5 points de l’inflation. En conséquence, les entreprises qui utilisent de l’énergie voient leurs coûts augmenter (donc leurs profits se réduire) ou même des pertes apparaître. Elles vont donc être obligées de répercuter ces hausses de charges en augmentant leurs prix de vente, ce qui impacte les consommateurs et les autres entreprises clientes, qui voient leurs coûts encore augmenter.
Il y a ainsi un cercle vicieux qui alimente sans cesse l’inflation. On le voit bien en analysant les prix de production : ils ont augmenté de +40 % dans l’agriculture et l’industrie, et de +30 % dans la construction.
C’est ce qui explique que l’inflation impacte différemment les secteurs économiques, l’alimentaire restant, hélas !, le plus touché, avec +15 % depuis août 2022.
C’est vraiment dramatique, car la nourriture coûte désormais tellement cher qu’on assiste à une baisse inconnue des volumes alimentaires vendus (en raisonnant donc à prix constants pour corriger l’inflation). Un récent sondage indique que 60 % des ménages français ont réduit leurs dépenses alimentaires.
Cela explique ces chiffres terribles : désormais, près de la moitié des Français sont obligés de sauter un repas plus ou moins occasionnellement, dont près de 30 % régulièrement.
La boucle salaires-prix ou la douloureuse lutte contre l’inflation
Quand l’inflation perdure à un niveau élevé, les salariés exigent des augmentations de salaire pour ne pas perdre de pouvoir d’achat, ce qui augmente encore les coûts des entreprises, qui les répercutent et alimentent l’inflation. C’est ce qu’on appelle la boucle salaires-prix. Une fois enclenché, ce processus inflationniste est long, complexe et douloureux à arrêter.
C’est pour cette raison que la BCE appelait dès le début de la crise à ne pas indexer les salaires sur les prix. Ce mécanisme d’indexation a existé en France jusqu’en 1983, quand Jacques Delors l’a supprimé pour terrasser la forte inflation, avec succès. Ceci illustre le problème de l’inflation : on n’en sort jamais sans douleur, c’est-à-dire sans perte de pouvoir d’achat et d’emploi. C’est bien pour ça qu’il faut tout faire pour éviter une forte inflation, en particulier en ne faisant pas n’importe quoi avec la monnaie...
La lutte contre l’inflation est en effet le seul objectif légal de la Banque centrale européenne. Et pour ce faire, elle n’a pratiquement qu’un seul outil à sa disposition : la gestion des taux d’intérêt, qu’elle n’a de cesse d’augmenter. Les taux à court terme sont ainsi actuellement à 4,5 % – un niveau inconnu depuis 25 ans. Le but de la BCE est de pénaliser le crédit, donc les investissements, donc l’activité économique, afin de faire augmenter le chômage dans le but de diminuer les hausses de salaire, et donc l’inflation.
Cette politique est souvent dénoncée comme étant anti-sociale – ce qui est en effet son but. Mais il y a peu d’alternatives, une inflation qui perdure diminuant le pouvoir d’achat, ce qui est aussi très anti-social. Si une indexation des salaires avait lieu, il est possible que cela entretienne l’inflation (mais nous allons voir un contre-exemple). Si les salariés en souffraient moins, cela ne serait pas le cas des autres catégories sociales, comme les retraités, les fonctionnaires, mais aussi les indépendants et les agriculteurs. Mais surtout, cela dégraderait la compétitivité internationale du pays et la valeur de la monnaie, donc le pouvoir d’achat international. Il en résulterait à terme une récession, une perte de pouvoir d’achat et plus de chômage. Bref, face à l’inflation, les dirigeants n’ont à leur disposition que de mauvaises solutions...
Soulignons enfin que la politique actuelle de la BCE n’a pas que des inconvénients pour les citoyens. Elle permet par exemple de mieux rémunérer l’épargne, comme le livret A – sachant que les taux restent néanmoins inférieurs à l’inflation, ce qui n’est pas juste pour les petits épargnants. Et surtout elle est en train de faire éclater la folle bulle immobilière, les prix baissant fortement, ce qui permettra à terme d’acheter plus facilement un bien (quitte à renégocier dans le futur son taux de crédit à la baisse).
Mais cette politique de la BCE passe à côté d’un phénomène important, une autre source d’inflation pérenne : la boucle prix-profits.
Les profits des entreprises, responsables de près de la moitié de l’inflation
On constate effectivement une forte hausse des profits des entreprises. Ces dernières profitent de l'inflation pour faire grimper leurs prix bien au-delà de leurs augmentations de coûts. Et ce phénomène est très fort actuellement.
Ainsi, près de la moitié de l’inflation en France est actuellement causée par des hausses des profits. Ce phénomène joue encore plus que les hausses de salaire. Il est très présent en Europe et faible aux États-Unis. S’il peut dans certains cas être compréhensible en France – puisque les profits avaient baissé en 2021 et 2022 – on constate malgré tout des hausses de profits totalement injustifiables, que ce soit en France ou dans la plupart des pays voisins.
Il est donc important que le gouvernement se saisisse du sujet des surprofits, dont nous avons parlé dans cet article. Ils ne concernent d’ailleurs qu’une partie des entreprises, principalement des secteurs de l’énergie et de l’alimentaire.
Cette hausse moyenne des profits ne doit pas faire oublier que beaucoup d’entreprises souffrent de l’inflation et de ses conséquences économiques : les faillites ont ainsi beaucoup augmenté ces derniers mois, revenant au niveau de 2009.
Un impact important sur le pouvoir d’achat
L’évolution du pouvoir d’achat résulte donc de la différence entre le salaire perçu et l’inflation. Si on s’intéresse au salaire mensuel de base, la situation est problématique depuis 2021.
Plus largement, si on prend l’ensemble des salaires, l’évolution du pouvoir d’achat par personne est exceptionnellement mauvaise depuis 2021 avec de nombreux soubresauts.
L’Occident a été fortement touché
La plupart des pays de l’OTAN ont été lourdement frappés par l’inflation, en particulier l’Europe de l’Est. Le phénomène inflationniste a été bien plus modeste en Suisse par exemple.
La Belgique vient de retrouver une inflation d’environ 3 %. C’est remarquable, car c’est un des rares pays où les salaires restent indexés sur l’inflation. Comme quoi, la spirale salaire-prix, bien que réelle n’est pas systématiquement handicapante pour l’inflation nationale (et en Belgique, l’inflation actuelle dans le secteur des services reste élevée). Ce pays est donc le champion du pouvoir d’achat de l’OCDE : il y a augmenté de près de 7 % depuis un an, alors qu’il reste en décroissance dans la plupart des pays de la zone euro.
Une inflation forte, mais bénigne par rapport au passé
L’épisode inflationniste actuel est remarquable si on l’analyse sur les 3 dernières décennies. Il est en revanche bien moins important que celui lié aux chocs pétroliers des années 1970.
Soulignons cependant que si le pic d’inflation n’a été « que » de 7 % en France contre 10 % en zone euro, c’est que les interventions du gouvernement pour limiter les hausses du prix de l’énergie ont entrainé une baisse de l’inflation de 2 à 3 points dans notre pays. Mais cette inflation « gagnée » a simplement été reportée sur plus de dette publique.
Ce « gros » épisode inflationniste des années 1970-1980 marque toujours les esprits, essentiellement parce que le temps a effacé le traumatisme majeur des années 1945-1948 où chaque année, l’inflation était de +50 %.
Le graphe ci-dessous illustre également la situation avant la création des banques centrales, avec un système monétaire basé sur l’or. Il en résultait l’impossibilité de très fortes inflations, mais de fréquentes petites périodes déflationnistes, le tout avec une inflation quasi nulle en moyenne.
En cumulant les années 1938-1948, l’inflation a dépassé les 1 000 %, ce qui signifie une division par 10 de l’épargne et des rentes. Cela a ruiné les systèmes d’épargne retraite par capitalisation, et a participé à la création de la Sécurité sociale, gérée en répartition. Un tel traumatisme – qui avait été causé par une création monétaire débridée pour financer la reconstruction du pays – a entrainé par la suite une gestion rigoureuse des finances publiques et une cessation de la création monétaire par la banque centrale jusqu’en 2015-2020…
Si la raison majeure de l’inflation récente a été le choc énergétique, la création monétaire n’est pas sans lien avec celle-ci : elle a permis de financer une large spéculation sur les prix, qui ont ainsi été tirés par le haut, et ont donc généré une inflation majorée. Que la guerre en Ukraine entraîne une hausse des prix de l’énergie, c’est normal ; mais que les prix augmentent de 50 %, ça n’a rien de naturel : c’est bien le résultat de flux spéculatifs provenant du secteur financier, nourri par l’argent créé par les banques centrales.
Après de lourds échecs entre 1910 et 1980, les banquiers centraux pensaient avoir trouvé la recette magique d’une inflation constamment faible, qui leur a probablement donné le sentiment de pouvoir de nouveau jouer avec la monnaie à la fin des années 2010. C’était une grave erreur qu’ils ne referont sans doute pas de sitôt. Cela veut donc dire que le système financier et les États ne pourront plus compter à l’avenir sur des politiques de création monétaire. À eux de gérer seuls leurs propres risques désormais. Cependant, leur sentiment d’irresponsabilité, renforcé par une fréquente incompétence, laisse craindre de lourds problèmes dans le futur.
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.