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    Zvonimir Novak : "En 1968, les affiches avaient pour vocation de créer des situations de conflit"

    mai68

    Lien publiée le 9 décembre 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Zvonimir Novak : "En 1968, les affiches avaient pour vocation de créer des situations de conflit" (marianne.net)

    Dans son dernier ouvrage, « Vive la révolution ! » (Cerf), l'essayiste Zvonimir Novak compile des centaines d'images publiées par l'extrême gauche durant les années 1970 et 1980.

    VIVE LA REVOLUTION ! SOUS LES PAVES L-IMAGE -  ARCHITECTURE/ILLUSTRATION/ARTS DECORATIFS - BEAUX ARTS - La Mouette Rieuse

    Les deux décennies qui suivent Mai 68 sont un âge d'or pour l'extrême gauche française. Durant les années 1970 et 1980, dans l'Hexagone, un nombre important de groupuscules « gauchistes » voient le jour, animés par une ferveur rare et une ambition : renverser la société bourgeoise. Les militants font alors preuve d'une créativité rare, tant sur le plan politique qu'au niveau de l'imagerie. C'est ce que démontre Vive la révolution ! (Cerf) de Zvonimir Novak. Dans ce très bel ouvrage, l'ancien professeur d'arts appliqués passe au crible plus de 600 affiches, dessins de presse, libelles, vignettes et graphismes divers, qui nous plongent dans cette époque.

    Marianne : Après La rue militante, vous publiez Vive la révolution ! Quelles différences entre ces thèmes a priori proches ?

    Zvonimir Novak : Ce sont deux livres très différents. Le premier parle de notre société d’aujourd’hui à travers ses révoltes, ses rébellions et ses excès. Il s’agit d’une imagerie et de thèmes contemporains. Vive la révolution ! raconte une époque très particulière, celle d’avant Internet, où dominait le papier. À ce moment, il existait beaucoup de journaux, qui étaient vendus sur les marchés.

    Ce livre décrit l’émergence d’une génération, qui s’est investie dans le marxisme-léninisme, qui avait pour ambition de bousculer, à bon escient certainement, un monde un peu figé, difficile et conservateur, en créant un nombre incroyable d’organisations politiques.

    Marxistes-léninistes, certes, mais souvent non-staliniens, très critiques du PCF et plutôt maoïstes ou trotskistes

    Tout à fait ! C’est une génération, qui a été marquée par deux choses. Il y a d’abord la révolution culturelle chinoise, qui fait plusieurs millions de morts, et dont les jeunes militants français ont eu tendance à minimiser les horreurs. Puis, il y a l’exemple castriste, avec la Tricontinentale de janvier 1966, qui regroupait les forces « anti-impérialistes » d’Amérique latine, d'Afrique et d'Asie. Elle avait pour objectif de libérer les peuples opprimés. Il y avait à l’époque une sorte d’idéal anticolonial, un peu menée par le soviétisme.

    Chacun pensait qu’il allait libérer le monde. Ces militants portaient des idéaux tout à fait nobles, mais défendaient aussi, parfois malgré eux, des intérêts bien précis. Par exemple, les maoïstes étaient soumis à l’ambassade de Chine et à la République populaire.

    En quoi les images sont importantes dans l’optique de la révolution ?

    À cette époque, les images, les affiches et les illustrations avaient pour vocation de créer des situations de conflit. Cette jeunesse issue de Mai 68 était sûre que cette révolution allait arriver dans les mois qui ont suivi la révolte. Le film Le fond de l’air est rouge (1977), de Chris Marker, retranscrit bien cela. C’était un autre monde, complètement différent de l’actuel. Toute une jeunesse, qui avait entre 14 à 30 ans, baignait dans ce révolutionnarisme et cet idéalisme utopique.

    Vous consacrez une partie au « paléo-gauchisme ». De quoi s’agit-il ?

    Je voulais montrer les images du prégauchisme, c’est-à-dire de celle de la radicalité révolutionnaire, souvent anarchosyndicaliste ou de tendance marxiste classique, de la fin du XIXe siècle et des années 1900. À cette époque, il y a eu de grands artistes qui ont fait des choses incroyables, qui ont appelé le prolétariat à prendre le pouvoir. Les codes graphiques qu’ils ont inventés se retrouvent plus tard, dans le gauchisme.

    La dénonciation des forces de l’ordre et des politiques sécuritaires prend beaucoup de place dans votre ouvrage. Pourquoi ?

    C’est un des principaux motifs du gauchisme, un des angles les plus importants. La répression permet de mener des campagnes, de créer des cycles action-répression-vengeance. C’est aussi le moyen d’ameuter, de faire de l’agit-prop.

    Bien entendu, cette dénonciation a également des fondements. En juin 1968, le ministre de l’Intérieur a dissous un certain nombre d’organisations d’extrême gauche, une dizaine, comme le Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCFMLF) ou les Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR) d’Alain Krivine. Certaines sont entrées dans la clandestinité.

    La révolution, c’est aussi la révolution hors d’Occident, notamment dans les anciens pays colonisés…

    C’est essentiel dans le gauchisme. Le Parti communiste défendait une idéologie du bonheur. Les gauchistes, eux, avaient le goût d’ailleurs. Ils ont beaucoup soutenu les nationalismes périphériques, que ce soit le Pays basque, l’Irlande, mais aussi les nationalismes émergents du Tiers-monde. Bien sûr, cela coïncidait avec certains intérêts, notamment ceux de la Chine qui a beaucoup misé sur les mouvements arabes. Mais il y avait aussi l’exemple castriste, qui voulait aider les pays à se libérer, à juste titre.

    Affiche de 1975, Librairie Palestine
     

    Comment est représenté l’antagonisme de classes entre bourgeois et prolétaires ?

    Avec l’excès, c’est-à-dire en reprenant beaucoup l’imagerie anarchosyndicaliste du début du XXe siècle. Pour eux, cet antagonisme est absolu. Le gauchisme a une vision manichéenne. C’est blanc ou noir. Pour eux, il ne s’agit même plus d’une « lutte des classes » mais d’une « guerre des classes ». Les idées défendues étaient peut-être humanistes, mais pas les méthodes.

    Tout est bon pour prendre le pouvoir et renverser le capitalisme. C’est d’ailleurs un dilemme duquel le gauchisme n’est jamais vraiment sorti. L’ambition était de créer le parti révolutionnaire, fort, avec une avant-garde et une direction. C’est même l’obsession de l’extrême gauche révolutionnaire de l’époque. Mais un certain nombre de militants estimait que les militants reproduisaient la même chose que les partis « bourgeois ». Les milieux libertaires n’appréciaient pas ce schéma marxiste-léniniste.

    Quelles évolutions dans le temps dans l’imagerie révolutionnaire ? Celle-ci existe-t-elle encore ?

    Elle existe encore. Mais le paradoxe est que d’un côté, elle reprend un peu le cynisme humoristique et fêtard de Mai 68, de l’autre côté, elle récupère l’imagerie léniniste, parfois stalinienne, ou maoïste, dure, violente et antagoniste.

    Nous pouvons voir des marteaux, des fusils et d’autres types d’armes. C’est un mélange contradictoire d’appel à une révolution armée et de caricatures assez drôles, qui se moquent des chefs, des petits patrons et des officiers.

    On reproche souvent à la gauche et à l’extrême gauche de manquer d’humour, contrairement à la droite et à l’extrême droite. Chez ces dernières, par exemple, beaucoup affirment que la gauche ne sait pas faire de mème.

    Je pense que c’est tout à fait juste. Elle est parfois trop rigide, ce qui l’empêche effectivement de prendre du recul sur elle-même. Elle se pense missionnaire, elle croit qu’elle va libérer le monde. Elle manque un peu de distance. Parfois, on peut quand même trouver de l’humour, mais souvent dans les milieux libertaires, rarement dans chez marxistes-léninistes. Mais ce n’est pas si nouveau, Charlie Hebdo, par exemple, n’était pas marxiste-léniniste.

    Zvonimir Novak, Vive la révolution ! Sous les pavés, l'image, Cerf, 304 pages, 34 €