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    Endnotes - Les thèses de Los Angeles

    Lien publiée le 24 décembre 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Thèses de Los Angeles. Endnotes - tousdehors

    21/12/23
    Traduit par Julien Guazzini

    Les thèses de Los Angeles, ont été publiées en décembre 2015 suite à la parution du quatrième numéro d’Endnotes, une revue qui a marqué un tournant dans la réflexion sur la théorie de la communisation, notamment dans le monde anglophone. Ces thèses, en condensant les principales propositions du collectif, offrent toujours une grille de lecture pertinente des enjeux contemporains, notamment en France.

    La situation française actuelle, caractérisée par un État pris en étau entre une dette colossale et la nécessité impérieuse de stimuler l'accumulation (thèse 2), trouve un écho dans les réformes récentes des retraites et de l'assurance chômage. Ces réformes illustrent la double pression exercée par les contraintes budgétaires de l'Union Européenne et la volatilité des capitaux à l’heure de la mondialisation. Par ailleurs, les mutations structurelles redéfinissent les contours du champ révolutionnaire, qu'elles soient objectives, comme la désindustrialisation et les enjeux écologiques, ou subjectives, à l'instar de l'émergence de nouvelles formes de mobilisation axées sur les questions de genre et de race (thèses 3-5). La question de la composition (thèse 6) demeure centrale, notamment à l'aune d'initiatives telles que les Soulèvements de la Terre, qui tentent de tisser des liens entre des acteurs hétérogènes. Le mouvement des Gilets Jaunes, avec ses "unités fictives" (thèse 7), illustre parfaitement la complexité de l'articulation entre unité symbolique et revendications concrètes. Le gilet jaune, en tant que symbole, a pu fédérer temporairement, mais a également révélé les limites d'une unité revendicative et stratégique. Enfin, la redéfinition de la conscience de classe, non plus comme simple prise de conscience identitaire, mais comme reconnaissance de la séparation et de la nécessité de détruire ce qui divise (thèse 8), trouve une résonance particulière dans le contexte français, notamment alors que nombre de moments de lutte, voire d'émeutes ont directement ciblé les infrastructures locales ces dernières années.

    En conclusion, la diffusion des thèses de LA demeure essentielle. Celles-ci méritent encore d’être discutées à l’heure actuelle, car elles offrent un cadre d'analyse précieux pour appréhender, sur un plan général et abstrait, les défis que les révolutionnaires du XXIe siècle auront à dépasser. En ce sens, certains textes d’Endnotes ont été traduits en français ces dernières années, notamment chez La Tempête et chez Sans Soleil qui publie d’ailleurs en janvier 2024 un nouveau receuil de textes du groupe intitulé “Histoire de la séparation“.

    « l’union apparaît [dans cette société] comme accidentelle, la séparation comme normale[1] ». Karl Marx

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    1.     Nous vivons une époque de longue crise sociale, qui est fondamentalement la crise des sociétés organisées sous un mode capitaliste. Il est clair que les rapports de travail (l’emploi) qui régissent la production et la consommation dans les sociétés capitalistes s’effondrent. Il en résulte la réapparition d’une situation structurelle que Marx a compris comme capital excédentaire accompagné d'une population excédentaire. Malgré la stagnation économique, des transformations techniques continuent d’être introduites, donnant naissance à une situation dans laquelle il y a trop peu d’emplois pour trop de gens. Dans le même temps, d’immenses sommes d’argent parcourent la terre à la recherche de profits, débouchant sur la création de bulles qui éclatent à intervalles réguliers en produisant d’énormes déflagrations. L’accroissement de la précarité et des inégalités sont des symptômes de l’impossibilité croissante de ce monde lui-même.

    2.     Aujourd’hui, ces contradictions, autrefois confinées aux sociétés capitalistes, sont vouées à éclater. La crise de 2008 en a été une manifestation. Elle a donné lieu à une vague mondiale de luttes qui se prolonge à l’heure actuelle. Afin de reprendre un semblant de contrôle sur une crise qui couve, les États se sont coordonnés pour renflouer des firmes financières et d’autres entreprises. La dette souveraine a atteint des niveaux jamais vus depuis la Seconde Guerre mondiale. Les refinancements des capitalistes se sont ainsi accompagnés d’une austérité punitive pour les travailleurs, quand les États ont cherché rétablir leur équilibre budgétaire tout en recréant les conditions de l’accumulation. Pour autant, ces actions étatiques n’ont que partiellement atteint leur but. Les économies riches continuent à croître encore plus lentement alors même qu’elles engrangent des quantités faramineuses de dette à tous les niveaux. Les économies pauvres sont aussi sur le déclin. Nous parlons de trajectoire d’attente [holding pattern] pour décrire cette situation mondiale et nous affirmons que de plus amples turbulences économiques vont probablement déboucher sur un atterrissage d’urgence capitaliste.

    3.     Les travailleurs ont livré des batailles défensives au cours du xxe siècle, comme ils le font encore aujourd’hui. Mais durant cette période, leurs batailles défensives étaient partie prenante d’une lutte offensive : les travailleurs cherchaient à s’organiser en mouvement ouvrier, qui ne cessait de monter en puissance. Ce mouvement devait tôt ou tard exproprier les expropriateurs pour commencer à bâtir une société organisée selon les besoins et les désirs des travailleurs eux-mêmes.

    4.     Cependant, dans le sillage des années 1970, la crise du capitalisme qui, pour beaucoup, devait être son chant du cygne, a débouché sur une crise profonde du mouvement ouvrier lui-même. Son projet n’est plus adéquat aux conditions auxquelles font face les travailleurs. La cause la plus fondamentale tient au déclin de la centralité du travail industriel dans l’économie. Avec le début de la désindustrialisation et le déclin de la part de l’activité manufacturière dans les emplois (qui a elle-même été l’une des causes fondamentales de l’accroissement des populations surnuméraires), l’ouvrier d’industrie ne peut se présenter comme la frange la plus avancée de la classe. En outre, du fait de la hausse des émissions de gaz à effet de serre, il est clair que le vaste appareil industriel non seulement ne produit pas les conditions d’un avenir meilleur – il est aussi en train de les détruire. Aspect le plus fondamental entre tous, le travail lui-même n’est plus vécu comme central dans l’identité de la plupart des individus. Pour le plus grand nombre (même si ce n’est pas vrai pour tous), il ne semble plus que le travail puisse devenir source d’épanouissement s’il était collectivement géré par les travailleurs plutôt que par les patrons.

    5.     Au même moment, le déclin de l’identité ouvrière a révélé une multiplicité d’autres identités, qui s’organisent autour de luttes qui ont été jusque là plus ou moins refoulées. Les « nouveaux mouvements sociaux » qui en sont issus ont montré clairement la mesure avec laquelle la classe ouvrière supposément homogène était en réalité très diverse. Ils ont aussi établi que la révolution devait aller au-delà de la seule réorganisation de l’économie : elle nécessite l’abolition des distinctions de genre, raciales et nationales, etc. Mais dans le tohu-bohu des identités émergentes, chacune avec ses intérêts particuliers, ce que cette révolution devrait être n’apparaît pas nettement. Pour nous, les surnuméraires ne sont pas un nouveau sujet révolutionnaire. Ils désignent, au contraire, une situation structurelle dans laquelle aucune fraction de la classe ne peut se prévaloir d’être le sujet révolutionnaire.

    6.     Dans cette situation, l’unification du prolétariat n’est plus possible. Cette conclusion peut sembler pessimiste, mais le revers de la médaille est plus optimiste : le problème de l’unification est aujourd’hui une question révolutionnaire. Lors des moments les plus intenses des mouvements contemporains, sur les places et dans les usines occupées, dans les grèves, les émeutes et les assemblées populaires, les prolétaires redécouvrent non pas leur pouvoir comme producteurs réels de cette société, mais bien leur séparation selon une multiplicité de lignes identitaires (situation d’emploi, genre, race, etc.). Ces identités se trouvent démarquées et entrecroisées par l’intégration désintégrante des États et des marchés du travail. C’est là que réside, selon nous, le problème de la composition : diverses fractions du prolétariat doivent s’unir, mais ne trouvent pas d’unité prête à l’emploi dans les termes de cette société en décomposition.

    7.     C’est pourquoi nous pensons qu’il est crucial d’étudier en détail le déroulement des luttes. C’est dans ces luttes seules que se dessine l’horizon révolutionnaire du présent. Au cours de celles-ci, les prolétaires improvisent régulièrement des solutions au problème de la composition. Ils désignent une unité fictive, au-delà des termes de la société capitaliste (dernières en date :  black bloc, démocratie réelle, 99 %, mouvement Black lives matter, etc.), comme moyen de lutter contre cette société. Puisque chacune de ces unités improvisées finit par se défaire, leurs échecs accumulés fournissent la cartographie des séparations qui devront être surmontées par un mouvement communiste au cours du tumulte d’une révolution contre le capital.

    8.     C’est ce que nous voulons dire lorsque nous disons qu’aujourd’hui la conscience de classe ne peut être que conscience du capital. En luttant pour leurs vies, les prolétaires doivent détruire ce qui les sépare. Dans le capitalisme, ce qui les sépare est aussi ce qui les unit : le marché est tout à la fois leur atomisation et leur dépendance mutuelle. C’est la conscience du capital comme notre unité-dans-la-séparation qui nous permet de postuler, depuis la situation existante – même sous la seule forme d’un négatif photographique – la capacité de l’humanité au communisme.

    Endnotes, Los Angeles, décembre 2015
     



    [1]      K. Marx, Théorie sur la plus-value. Livre IV du « Capital », Tome premier, Paris, Éditions sociales, 1974, p. 478.