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Colère paysanne : les petits ne doivent pas faire la courte échelle aux gros. Julien Guérin.

agriculture

Lien publiée le 23 janvier 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Colère paysanne : les petits ne doivent pas faire la courte échelle aux gros. Julien Guérin. – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

J’ai la prétention de connaitre un peu le monde agricole dont je suis issu. Mes parents ont exploité de 1986 à 2009 une ferme au sud du Massif central, aux confins de la Haute-Loire et de la Lozère, avec des vaches laitières, quelques hectares de lentilles vertes du Puy, un peu de blé et d’orge sur les « moins bonnes terres » de l’économie politique avec des rendements modestes. Ils prenaient la suite de mes grands parents qui avaient eux mêmes succédé à leurs propres parents. Je fus donc le premier à rompre le fil des siècles, à prendre le large, loin de la terre volcanique des origines.

Je connais les difficultés quotidiennes de ces petits producteurs, les levées aux aurores, l’angoisse des factures, les années sans vacance rythmées par les travaux et les saisons, la peur permanente de l’aléa météorologique, l’éloignement des services publics et le tracas des interminables documents à remplir pour toucher les fameuses primes européennes, maigre obole charitable octroyée et sans quoi on crèverait. Je sais aussi comment on poussait les paysans à acheter des pesticides chimiques dangereux et à les utiliser sans protection, au péril de leur vie, un peu comme les salariés à qui on a fait manier de l’amiante sans scrupule pendant des années.

Les acronymes GAEC, CUMA, DSV ou SAFER n’ont aucun secret pour moi, pas plus que les activités d’enrubannage, de labours ou les quotas laitiers. Je connais, j’en viens.

J’en éprouve ni fierté, ni honte particulière mais cela m’aide (un peu) à comprendre les jacqueries en cours dans le sud-ouest de la France.

Si, dès l’âge de 16 ans, j’ai pris le large en optant pour un bac littéraire et des études d’histoire si éloignés du monde qui fut le mien dans ma première vie, je l’ai fait aussi avec la bienveillance familiale. Combien de fois ai-je entendu dans mon village d’enfance :  » fais autre chose que nous »,  » c’est vraiment le dernier des métiers ».

Ces petits paysans besogneux, sacrifiés sur l’autel du productivisme et de la course au gigantisme encouragés par l’Europe et par les banques qui se sont sucrés sur la bête, avaient compris depuis longtemps qu’ils ne seraient pas conviés à la table des gros. Ils se vivaient déjà comme des battus de l’histoire, les derniers indiens, comme les ouvriers des usines délocalisées et jetés comme des kleenex au nom de la compétitivité et du profit à tout prix. Comme toujours, ces petits ont été mangés par les gros, par la logique d’accumulation capitaliste.

Je comprends à ce titre la colère qui s’exprime depuis quelques jours dans le sud-ouest du pays mais quand je constate que la FNSEA prend la tête de la fronde, je suis inquiet.

Je connais aussi ce « syndicat » agricole présent jusque dans ma petite campagne natale par le biais de ses antennes départementales et de son organisation de jeunes (les CDJA). Il faut en être, au risque de la mise à l’écart de la communauté villageoise. La direction de la FNSEA porte l’idée, fausse, d’une prétendue unité du monde paysan qui doit, sans clivage entre petits et gros, se rassembler pour défendre un soit disant intérêt commun à tous les agriculteurs. C’est un mythe, une fable destinée à masquer que cette Fédération n’est en réalité que le bras armé des gros producteurs qui utilisent l’image du bon paysan pour mieux défendre leurs intérêts particuliers au niveau national et européen. La tactique est simple mais efficace : pousser devant les petits pour mieux défendre en coulisses les intérêts des gros.

Les petits agriculteurs disparaissent en silence, la terre se concentre entre quelques mains et les primes continuent d’être versées en priorité aux plus gros producteurs… et cela avec la bénédiction de la direction de la FNSEA…

Les pesticides pourrissent les eaux et les sols, le mal-être s’installe en profondeur provocant des suicides quotidiens chez les agriculteurs, les grandes surfaces continuent de faire la loi et les gros céréaliers du bassin parisien encaissent des revenus à 4 voire 5 chiffres…. et cela encore avec la bénédiction de la direction FNSEA !

La direction de ce « syndicat » se plaint ainsi des conséquences dont elle chérit pourtant les causes…

Ce qui tue le monde agricole, ce n’est pas l’excès de « normes » environnementales, c’est la logique libérale et productiviste qui use la terre et les hommes.

Ce qu’il faut, c’est une autre ambition pour l’agriculture : rendre à nouveau possible la vie en campagne en défendant les petites écoles publiques et les hôpitaux de proximité, en produisant moins mais mieux, en créant des milliers d’emplois bien formés et bien rémunérés, en faisant émerger une sécurité sociale de l’alimentation assurant un revenu régulier et décent aux producteurs et une nourriture de qualité et saine aux consommateurs.

« Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité, pour sentir qu’il était horrible que le grand nombre semât, et le petit recueillît. »

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