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"L’extradition d’Assange mettra fin à la liberté de la presse"

Assange

Lien publiée le 18 février 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://elucid.media/democratie/extradition-julian-assange-wikileaks-mettra-fin-liberte-presse-joe-lauria?mc_ts=crises

Dans un entretien exclusif pour Élucid réalisé à Paris lors de la projection à l’Assemblée nationale du documentaire « Ithaka » sur l'affaire Assange , le journaliste américain Joe Lauria revient sur la possible extradition de Julian Assange aux États-Unis. Ce dossier brûlant pour les deux présidents américains (sortant et candidat) pourrait avoir un impact considérable sur les prochaines élections. Joe Lauria est journaliste d'investigation pour le Sunday Times of London et Bloomberg News ; il a produit des reportages depuis l'ONU pour le Boston Globe, le Wall Street Journal, le Washington Post et le Guardian. Il est rédacteur en chef de Consortium News et a publié avec Daniel Ellsberg, A Political Odyssey: The Rise of American Militarism and One Man's Fight to Stop It.

Marco Cesario (Élucid) : Comment se situe le débat américain autour de l'éventuelle extradition de Julian Assange aux États-Unis ?

Joe Lauria : Pour être honnête, il n'y a que trop peu de débats sur le sujet aux États-Unis, et cela m'attriste profondément. Néanmoins, dès qu'une décision officielle aura été annoncée, elle fera tout de suite la Une des journaux américains. Et si Julian Assange est extradé vers les États-Unis, ce sera une toute autre histoire, un grand sujet pour les médias et la société civile, car le procès se déroulera à Washington, en Virginie, au beau milieu d'une campagne présidentielle. C'est pour cela que Joe Biden préférerait que la Haute Cour prenne sa décision un peu plus tard, d'ici neuf mois, c'est-à-dire après les élections de novembre. Si Biden remporte à nouveau les élections, il pourra faire ce qu'il veut ensuite, sans que cela ait des conséquences sur son mandat. Et s'il perd l'élection, il lui restera encore deux mois jusqu'à l'investiture du nouveau président, ce qui lui permettra de faire ce qu'il veut sur le dossier Assange.

Pour le moment, Donald Trump reste très prudent et se dit ouvert à l'idée de gracier Assange. Mais il est pour le moins difficile de croire aux mots qui sortent de sa bouche et de lui faire confiance sur un tel sujet. Aucun candidat ne peut réellement dire ce qu'il fera avec Assange s'il est réélu. Les électeurs et sympathisants de Biden sont inquiets à cet égard, car ils comprennent parfaitement que la question de l'extradition d'Assange pourrait faire gagner beaucoup de voix à Trump. Joe Biden voudrait donc éviter de traîner Julian Assange devant un tribunal en entrant dans l'Histoire comme le président américain qui a fait juger un journaliste enchaîné venu d'Europe pour avoir publié des informations factuelles sur des crimes du gouvernement américain.

Pour le moment, l'affaire Assange ne fait pas l'objet d'importants débats, du moins dans les médias mainstream. Nous essayons de combler ce manque à notre échelle avec Consortium News. Cette situation représente une nette différence par rapport à il y a dix ans. En effet, à l'époque des révélations de WikiLeaks, chaque nouvel événement autour d'Assange entraînait des appels à son incarcération ou à sa mise à mort en direct à la télévision. Lorsque les War Lorgs de WikiLeaks ont été publiés en 2010, il y a eu beaucoup de débats dans les médias américains et la société civile, mais le niveau était vraiment pitoyable.

« Toutes celles et ceux qui ont renoncé à leur liberté parce qu'ils ont fait ce qu'il fallait faire, devraient être applaudis et non poursuivis en justice. »

Élucid : C'est la première fois qu'un journaliste est inculpé en vertu de l’Espionage Act et peut-être potentiellement jugé. La liberté de la presse aux États-Unis, garantie par le Premier amendement, est-elle réellement menacée par cette loi ?

Joe Lauria : La loi sur l'espionnage de 1917 stipule que toute personne non autorisée – y compris les journalistes – en possession d'informations relatives à la défense nationale ou qui révèle des informations sensibles est coupable d'un crime.Il est donc clair que cette loi est en totale contradiction avec le Premier amendement en ce qui concerne les médias et la presse. C'est pourquoi, de l'avis de nombreuses personnes, cette loi est inconstitutionnelle et devrait être contestée. Il faudrait s'adresser à la Cour Suprême et lui demander d'annuler au moins cette partie de la loi qui est clairement illégale.

Depuis quelques années, le Congrès américain propose de modifier la loi sur l'espionnage afin qu'elle ne s'applique qu'aux fonctionnaires qui ont signé un accord de non-divulgation et ont juré de protéger le secret d'État. Selon moi, même si des fonctionnaires révèlent des informations classées à la presse, comme l'ont fait Chelsea Manning, Daniel Ellsberg et d'autres, cela ne pose aucun problème constitutionnel.

Il s'agit là d'un problème strictement politique : toutes celles et ceux qui ont renoncé à leur liberté ou qui l'ont vue fortement limitée parce qu'ils ont fait ce qu'il fallait faire, devraient être applaudis et non poursuivis en justice, du moins au regard de notre Constitution, car c'est évidemment illégal pour ces fonctionnaires du gouvernement de révéler des secrets d’État. En revanche, dans le cas de Julian Assange qui est un journaliste australien, tout cela ne devrait pas le concerner.

Y a-t-il déjà eu des tentatives de poursuivre des journalistes en vertu de l’Espionage Act ?

Oui, à deux reprises le gouvernement américain a tenté de poursuivre des journalistes en vertu de la loi sur l'espionnage. D'abord en 1942, après que le Chicago Tribune ait publié un article dans lequel il fournissait des détails sur la manière dont les renseignements américains avaient découvert comment décoder les messages des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, lors de la fameuse bataille de Midway dans le Pacifique. Après la publication de l'article, Roosevelt a convoqué un grand jury pour tenter d'inculper les journalistes et les rédacteurs en chef, mais les citoyens membres du jury ont refusé.

Ensuite, en 1972, l'administration s'est attaquée à Daniel Ellsberg après qu'il ait illégalement révélé les fameux Pentagon Papers. Le gouvernement américain ne s'est pas contenté de traîner Ellsberg devant la justice. Ellsberg lui-même m'a raconté que l'administration Nixon avait convoqué un grand jury à Boston pour faire inculper les journalistes du New York Times, comme le permet la loi sur l'espionnage.

Par la suite, nous avons appris que le FBI avait mis le téléphone d'Ellsberg sur écoute et qu'il s'était introduit dans le bureau de son psychiatre pour obtenir des documents confidentiels sur lui et enregistrer ses séances. En raison de ces révélations qui ont suscité beaucoup d'émoi, le juge a finalement décidé d'annuler l'affaire et c'est ainsi qu'Ellsberg a été libéré. Les services de renseignement américains ont tenté de corrompre le juge en lui promettant qu'il deviendrait directeur du FBI s'il obtenait la condamnation d'Ellsberg. Quant aux journalistes du New York Times accusés, ils ont pu démontrer que leurs téléphones avaient également été mis sur écoute. Bref, l'affaire Ellsberg a été abandonnée et les journalistes n'ont jamais été inculpés.

Joe Lauria - @MarcoCesario

À deux reprises dans l'histoire récente des États-Unis, des journalistes ont donc failli être inculpés en vertu de la loi sur l'espionnage. L'affaire Assange constitue la troisième tentative du gouvernement américain de faire inculper un journaliste. Et ce n'est pas anodin que cela se soit produit sous l’administration Trump. Aujourd'hui, à mon avis, il ne reste qu'un seul espoir pour préserver la liberté de la presse aux États-Unis : après l'extradition d'Assange, la société civile remettra en question l'Espionage Act. Surtout, j'espère que ses avocats contesteront cette loi devant la Cour suprême pour qu'elle soit déclarée inconstitutionnelle.

« L'administration Obama n'a pas inculpé Assange car elle savait qu'il agissait en tant que journaliste et qu'il était protégé par le Premier amendement. »

Le gouvernement américain persiste à rejeter le fait que Julian Assange soit un journaliste. Faut-il y voir une stratégie pour le blâmer plus facilement et le transformer en un terroriste qui, par ses révélations, mettrait en danger les citoyens américains ?

Permettez-moi de rappeler un élément très amusant : en décembre 2010, quelques mois après la publication des War Logs de la guerre d'Afghanistan et d'Irak par WikiLeaks, le vice-président de l'époque, Joe Biden, avait répondu ceci à la question de savoir s'il allait inculper ou non Julian Assange :

« Écoutez, si nous pouvions avoir des preuves pour le prendre en flagrant délit de vol de documents gouvernementaux, alors nous pourrions le poursuivre. Mais s'il est resté passif et que quelqu'un d'autre a volé ces documents puis les a donnés à Assange en tant que journaliste, nous ne pouvons pas le poursuivre parce que le travail de journaliste est protégé par le Premier amendement. »

Assange a été inculpé pour des faits qui remontent à 2010, mais la situation juridique est restée la même depuis lors. L'administration Obama n'a pas inculpé Assange à la suite de cette déclaration de Biden. Elle savait donc qu'il agissait en tant que journaliste, même s'elle refusait de l'avouer publiquement. Et même si aujourd'hui, certains affirment qu'Assange n'est pas un journaliste, le gouvernement savait qu'il agissait en tant que tel au moment des faits ; c'est pour cela qu'il n'a pas été inculpé. En revanche, l'administration Trump est allée beaucoup plus loin et c'est elle qui a mis en œuvre cette stratégie du mensonge.

Comment les partis politiques et les médias américains ont-ils traité le dossier WikiLeaks ?

Tant que WikiLeaks s'en tenait à révéler des secrets qui portaient atteinte à l'image des Républicains, les Démocrates soutenaient fortement Julian Assange. C'était particulièrement le cas en 2010, essentiellement parce que l'Irak et l’Afghanistan étaient des « guerres républicaines ». Les médias proches des Démocrates ne faisaient que suivre les directives du parti et ils publiaient les documents de WikiLeaks qui exposaient ces guerres républicaines. Cependant, dès que les révélations ont commencé à concerner les Démocrates, ces derniers ont retourné leur veste. Les médias démocrates se sont alors joint au mouvement de persécution contre Assange : ce n'est pas du journalisme !

Si vous vous laissez guider par l'agenda d'un parti politique, autant travailler directement pour lui. Mais qu'ils arrêtent de se prétendre objectifs et neutres dans leur analyse des informations. Voilà le vrai scandale : la double attaque contre Assange –une attaque d'une puissance sans précédent contre un journaliste – a été lancée précisément par ce sombre pacte entre les politiques et les médias soucieux de ne pas voir leurs secrets révélés. Le Wall Street Journal, le New York Times et d'autres journaux américains se sont appuyés sur WikiLeaks à l'époque tant que cela leur convenait. Ensuite, ils ont tourné le dos à Assange et ont rejoint la meute.

« En réalité, n'importe quelle prison américaine est un endroit extrêmement dangereux pour Assange aujourd’hui. »

Selon vous, quelles sont les chances que Julian Assange soit emprisonné à vie aux États-Unis et quels sont les risques évoqués par le juge Baraitser concernant une éventuelle tentative de suicide ?

Si Julian Assange est extradé aux États-Unis, il sera probablement envoyé au Detention Center Bureau d’Alexandria. Il y restera pendant toute la durée du procès et même s'il est condamné, il y a toujours une possibilité de faire appel – tout cela peut durer jusqu'à dix ans. L'affaire serait ensuite portée devant la Cour suprême, et celle-ci pourrait alors l'envoyer à l’ADX Florence dans le Colorado, une prison fédérale de très haute sécurité où sont enfermés tous les criminels les plus dangereux. Mais le problème ne se limite pas à cette prison en particulier.

Il y a une chose à savoir sur le centre de détention d'Alexandria, nous le savons d'après les audiences d'extradition : il n'y avait pas de médecin dans les locaux de la prison. Or, nous savons que Julian a eu une attaque cardiaque pendant l'appel devant la Haute Cour de Londres ; il pourrait donc en avoir une autre, plus importante, et s'il ne reçoit pas immédiatement des soins médicaux, cela pourrait lui être fatal. En réalité, n'importe quelle prison américaine est un endroit extrêmement dangereux pour Assange aujourd’hui.

Dans le dossier d'extradition, il ne semble y avoir aucune trace de la valeur civile de ses révélations qui dénoncent la torture et les crimes de guerre de l'armée américaine et de l'OTAN...

La question a été soulevée au cours du procès. Mais c'est précisément la raison pour laquelle il est jugé : pour avoir révélé des crimes de guerre des États-Unis. C'est pour cela qu'il est actuellement emprisonné à Londres, allié proche des Américains. Washington veut dissuader quiconque de réitérer ce genre de révélations ; ils veulent détruire complètement WikiLeaks. C'est ce qui est ressorti de l'audience.

Dès le premier jour de l'audience, la défense des États-Unis s'est tournée vers les journalistes présents dans la salle pour leur dire la chose suivante : « Assange n'est pas comme vous. Ce n'est pas un journaliste comme vous ». C'est une carte importante qu'ils aiment jouer contre Julian, et qui empêche les journalistes traditionnels de le considérer comme un confrère persécuté. Comme l'a justement souligné son père, John Shipton, le New York Times a pourtant publié des éditoriaux très forts pour soutenir Assange, et on a même vu une présentatrice de MSNBC dire qu'il fallait le protéger. Mais après avoir publié leur éditorial et fait leur déclaration, ces journalistes ont laissé tomber l'affaire au lieu de faire activement campagne pour la libération de Julian Assange.