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Dans les arrière-cuisines de McDonald’s

Lien publiée le 22 février 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marxiste.org/actualite-francaise/monde-du-travail/3368-dans-les-arriere-cuisines-de-mcdonald-s

J e suis un ancien formateur et manutentionnaire chez McDonald’s. Dans cet empire mondial de 40 000 restaurants, la réalité que subissent 2,5 millions de salariés est bien éloignée des campagnes publicitaires colorées.

Une journée chronométrée

La vie quotidienne dans un restaurant McDo est un véritable défi pour les « équipiers », mais aussi pour les managers qui subissent des pressions constantes de la part de leurs supérieurs. Pour éviter d’être humiliés par ces derniers devant toute l’équipe, ils excellent dans le bénévolat : chaque mois, ils cumulent des dizaines d’heures supplémentaires non rémunérées. Cette pression se manifeste et se répercute dans tous les aspects du travail, de l’ouverture à la fermeture du restaurant.

Dès 8 heures du matin, le personnel fait face au sous-effectif chronique. Tout en imposant un nombre croissant de tâches, McDo France réduit les moyens alloués. La polyvalence est de mise : embauché comme manutentionnaire, je devais tout le temps interrompre mes tâches pour aider le manager qui, de son côté, se postait en cuisine. Les équipiers, déjà surmenés, accueillaient les clients sans avoir terminé leur préparation.

Le temps est compté : avec la réduction de la durée des plannings d’ouverture, les équipiers doivent arriver plus tôt, sans pointer, pour être prêts à l’heure.

Le rush du midi transforme le restaurant en une véritable usine. Le travail devient mécanique, il est réalisé « à la chaîne » et centré sur la rapidité. La préparation anticipée des produits est minimisée, car chaque seconde compte. Dans cette précipitation, les procédures d’hygiène et de sécurité alimentaire passent au second plan. Entre les bornes numériques et quatre applications de livraison différentes, les commandes s’accumulent au-delà des capacités d’une équipe assourdie par un vacarme de « bips » incessant. Les délais de service s’allongent bien au-delà de l’objectif officiel de 90 secondes par commande. Tous les écrans virent au rouge et certains clients deviennent agressifs. Les équipiers les plus âgés, qui ont 60 à 65 ans, souffrent énormément de ces conditions infernales.

L’après-midi, le sous-effectif persiste et rend impossible une préparation adéquate du restaurant pour le reste de la journée. On ne peut pas correctement laver la salle, les toilettes et la vaisselle tout en gérant les commandes. Obligé d’intervenir sur le terrain, le manager ne peut pas sérieusement se consacrer à la préparation du rush du soir.

Celui-ci est généralement chaotique. La présence accrue d’un personnel jeune et étudiant, y compris parmi des responsables peu expérimentés et mal formés, ajoute un élément de pression supplémentaire. Parfois, même l’agent de sécurité – employé par une société extérieure – reçoit des ordres du manager et participe à l’envoi des commandes, alors que ce n’est pas du tout sa fonction.

La fermeture du restaurant est également tendue. Le personnel, toujours en sous-effectif, doit jongler entre le service des derniers clients et le nettoyage des appareils, le tout dans un temps strictement limité. Des produits et des ingrédients invendus voient leurs « Dates Limites de Consommation » (DLC) ré-étiquetées – de manière totalement frauduleuse – pour diminuer les écarts de rendement.

La nuit, de 21 heures à 8 heures du matin, révèle un aspect encore plus sombre. Des travailleurs maliens, employés en sous-traitance, sont payés une somme dérisoire pour nettoyer le restaurant et le Burger King en face, parfois sept jours sur sept. Leurs conditions de travail sont déplorables. Leurs « vestiaires » sont relégués dans le local poubelle infesté de cafards, au sous-sol, dans une odeur insoutenable. Quelquefois, après toute une nuit de travail, ils sont réprimandés pour des « erreurs » minimes et sont contraints de prolonger leur service. Le rythme de vie de ces travailleurs invisibles est infernal. Ils cumulent souvent plusieurs emplois, sans repos suffisant, et logent dans des foyers insalubres.

La recette du profit

Au cœur du modèle économique de McDonald’s, la « Vente Par Heure par Equipier » (VPHE) joue un rôle crucial. Cette statistique, qui compare les performances relatives des managers et des restaurants, est calculée pour chaque heure en divisant le total des ventes par le nombre d’équipiers présents. Par exemple, si 10 équipiers génèrent 1000 euros de ventes en une heure, la VPHE est de 100 euros. Cette mesure incite les managers à optimiser le ratio ventes/employés, au détriment des conditions de travail du personnel.

Pour augmenter leur VPHE, les managers recourent souvent aux « bons de sortie » (BS) : lors d’une baisse – même mineure – du nombre de commandes, les équipiers sont incités à accepter un BS, c’est-à-dire à quitter leur poste avant la fin prévue de leur service. Ce départ anticipé, perçu par certains nouveaux employés comme un geste de bienveillance, sera évidemment compensé ultérieurement, souvent pendant un rush.

Cette pratique s’inscrit dans le cadre des contrats précaires à temps partiel. Par exemple, un employé engagé pour 20 heures par semaine doit se rendre disponible 40 à 60 heures. Par ailleurs, il est implicitement recommandé de venir travailler en renfort en dehors de ses disponibilités contractuelles, parfois sur des jours de repos. Beaucoup acceptent pour valider leur période d’essai ou obtenir des miettes de récompense, ce qui évite aux franchises de recruter.

Fin 2019, les franchises représentaient plus de 80 % des restaurants McDonald’s en France, avec une moyenne de 3 à 4 restaurants par franchisé. Certains en possèdent une vingtaine. McDonald’s France se charge de la création des procédures, du choix des fournisseurs et des campagnes publicitaires. Tout ce qui concerne les ressources humaines, la gestion des restaurants, les commandes et la maintenance des équipements est du ressort des franchisés.

Dans ce système, McDonald’s tire toujours son épingle du jeu, indépendamment de la performance individuelle des restaurants. La firme prélève généralement un quart du chiffre d’affaires des franchises pour payer le loyer, l’utilisation de la marque et les frais publicitaires. L’absence de territoire exclusif, pour chaque restaurant, permet l’ouverture de plusieurs établissements dans un même secteur, sous différentes franchises. Si un restaurant voit son chiffre d’affaires diminuer à cause de la concurrence d’un autre McDo, le siège national, lui, bénéficie de l’addition des ventes des deux établissements.

Le budget réduit des franchises impacte directement la qualité de l’équipement et les conditions de travail. Le matériel est souvent en mauvais état, mal entretenu et inadapté à la réalité du terrain. Et même lorsqu’une installation est renouvelée, ce n’est pas correctement planifié. J’ai personnellement subi les conséquences de cette négligence : lors de la rénovation du monte-charge, j’ai dû pousser des palettes de marchandises sur la pente du parking sans assistance électrique, ce qui a aggravé mes problèmes de dos. De manière générale, aucune prévention n’est organisée pour le port de charges lourdes. A quoi s’ajoutent les blessures qui sont monnaie courante, telles que des brûlures lors des cuissons et des coupures sur les rebords tranchants des meubles usés. Tout ceci résulte du support, par la franchise, des coûts de maintenance et de fonctionnement, pendant que McDonald’s France tire profit de ses revenus.

Cette dynamique financière s’est retrouvée sous les feux des projecteurs en 2015, lorsque la CGT a porté plainte contre McDonald’s pour fraude fiscale. L’accusation portait sur le transfert de la redevance des franchises à la maison mère européenne, située au Luxembourg, ce qui permettait à l’entreprise de réduire ses obligations fiscales en France. En 2022, la société a partiellement reconnu ces pratiques et accepté de payer une amende record de 1,25 milliard d’euros, évitant ainsi un procès.

Manipulation et contrôle

Tenir les employés « sous influence  », pour ainsi dire, est un élément clé pour accroître les profits. Chaque franchise doit s’incorporer à la politique interne de l’entreprise et promouvoir une culture quasi sectaire. Aux Etats-Unis, ils appellent ça la « McFamily ». Il s’agit de masquer la distance entre la direction et les équipes : le vouvoiement est proscrit, le style est faussement « décontracté ». Les franchisés doivent faire preuve d’éloquence et de persuasion, particulièrement pour convaincre les jeunes de faire carrière chez McDonald’s. Ils créent ainsi une proximité avec leurs futurs caporaux ; ils leur promettent un suivi personnalisé et des promotions rapides. Nombre de jeunes managers ont été séduits par la perspective de diriger un restaurant avant l’âge de 30 ans – le tout sur la foi d’une promesse parfois illusoire, mais assez efficace pour maintenir des équipes dociles.

Tout le monde doit rester dans les clous : un responsable qui fait preuve d’un brin d’humanité ou contredit les ordres du franchisé est écarté de façon plus ou moins subtile. Inversement, un manager au comportement abusif est généralement protégé par la direction de la franchise, qui reconnait là un soldat fidèle, entièrement dévoué à ses directives.

Bien sûr, McDonald’s promeut cette notion de « famille » dans les limites de son propre intérêt, et la formation de syndicats ou de comités de salariés est fermement découragée. Pour ce faire, la firme, déjà fracturée en milliers de franchises, incite ces dernières à se diviser en petites entités. Bien que ses employés réalisent le même travail sous une direction commune et peuvent être mutés d’un restaurant à l’autre, une franchise n’est souvent pas considérée comme une entité économique et sociale unique. Il suffit qu’un franchisé possédant plusieurs restaurants déclare chaque établissement comme une société distincte, de façon à ce que chacune soit maintenue sous le seuil des 50 employés. Cette stratégie lui permet d’éviter certaines obligations légales telles que le versement de primes de participation, l’organisation d’un comité d’entreprise ou la tenue de négociations collectives, privant ainsi les salariés de revenus et d’avantages auxquels ils auraient normalement droit.

Les seules primes accessibles aux employés sont souvent dérisoires – par exemple une trentaine d’euros s’ils atteignent tel ou tel objectif de rapidité. Trop élevés, ces objectifs sont rarement atteints ; ils ont surtout un caractère incitatif. Ponctuellement, quelques primes sont versées, pour créer une illusion semblable aux jeux d’un casino.

En définitive, McDonald’s France organise l’isolement de chaque restaurant tout en favorisant un turnover élevé parmi les jeunes employés à temps partiel. Cette stratégie vise à empêcher la formation de syndicats ou de comités de travailleurs organisés pour défendre leurs conditions de travail. L’entreprise utilise tous les moyens possibles pour promouvoir l’individualisme et la compétition, au détriment de la solidarité et de l’entraide au sein du personnel.

Par le passé, des petits groupes d’employés ont réussi, grâce à des grèves combatives, à arracher des victoires importantes, notamment contre le harcèlement moral et sexuel, ou encore pour l’amélioration des conditions de travail et de rémunération. Récemment, l’émergence de syndicats chez Amazon et Starbucks, aux Etats-Unis, a marqué une étape importante et fourni un modèle à suivre. De manière générale, la crise du capitalisme qui accable la classe ouvrière l’incite à ne compter que sur ses propres forces pour se défendre. Tôt ou tard, les équipiers de McDonald’s, en France, suivront cette voie et s’organiseront à une vaste échelle.