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    La révolte des agriculteurs en Europe, expression de la crise de l’UE. Quelle issue ?

    agriculture

    Lien publiée le 24 février 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    La révolte des agriculteurs en Europe, expression de la crise de l’UE. Quelle issue ? | Liga Internacional de los Trabajadores (litci.org)

    Déclaration de la LIT-QI

    Le 22 février 2024

    La révolte des agriculteurs et des éleveurs a touché l’ensemble des pays de l’Union européenne. Elle révèle un mécontentement profond à l’égard de l’UE et de ses gouvernements, et elle touche l’un des piliers historiques de la stabilité européenne. C’est pourquoi elle a provoqué des remous dans les sociétés européennes.

    La mobilisation durable et les méthodes d’action directe du mouvement, qui a largement débordé les syndicats agricoles majoritaires, dont les agriculteurs se méfient, ont suscité un mouvement de sympathie dans l’opinion publique européenne et, soit dit en passant, ont mis à nu la mollesse pacifiste et conciliante des bureaucraties syndicales du mouvement ouvrier.

    Une grande hétérogénéité se cache sous l’étiquette « agriculteurs et éleveurs »

    A un extrême, on trouve une majorité de paysans qui travaillent dans des exploitations familiales et qui sont acculés à la ruine (le nombre de ces exploitations en Europe est passé de 15 à 10 millions au cours des 20 dernières années, et 6,4 millions de plus disparaîtront dans les 15 prochaines années, selon une étude du Parlement européen). À l’autre extrême, les grands propriétaires agricoles participent avec les gouvernements à la définition de la politique agricole commune (PAC).

    Dans le cas de la France, l’antagonisme entre les grands entrepreneurs agricoles et les exploitations familiales se manifeste avec une grande clarté. À une extrémité on trouve Arnaud Rousseau, président du principal syndicat d’agriculteurs (la FNSEA), propriétaire de vastes étendues de terres et patron d’un puissant réseau d’entreprises, le groupe Avril, géant de l’industrie et de la finance. La FNSEA est un puissant lobby des grands agriculteurs qui se sert d’une partie des petits producteurs (elle a obtenu 55% des voix aux chambres d’agriculture en 2019). Au cours des dernières décennies, la FNSEA a été concurrencée par la Coordination Rurale (20 % des voix), qui prétend défendre de plus petits agriculteurs, bien qu’elle reste prisonnière d’une logique productiviste et chauvine.

    En France, la plupart des exploitations agricoles ont une superficie inférieure à 20 hectares et sont souvent dirigées par un agriculteur, âgé en moyenne d’une cinquantaine d’années, le plus souvent seul à travailler ses terres. Avec la concentration des terres et des richesses, le nombre d’agriculteurs en France est le quart de ce qu’il était il y a 40 ans.

    À gauche,s’est développée la Confédération Paysanne (20 % des voix). Elle est membre de la Coordination paysanne européenne, de Via Campesina et d’Attac. Elle représente les agriculteurs familiaux et défend une agriculture respectueuse de l’environnement, de l’emploi agricole et de la qualité des produits. Elle s’oppose au productivisme effréné de la PAC et participe aux mouvements de défense de l’environnement. Ces dernières semaines, elle a mené des rassemblements contre les entreprises d’Arnaud Rousseau, comme le 9 février devant la multinationale Avril, avec des mots d’ordre tels que « Avril, prédateur du revenu des agriculteurs ! ». Sébastien Vétil, de la Confédération Paysanne d’Ille-et-Vilaine, déclarait alors : « les annonces du gouvernement ne nous satisfont pas, nous dénonçons les accords de libre-échange et le libéralisme qui entourent notre production agricole, dont Avril est le symbole ». Dans le même temps, elle dénonce Arnaud Rousseau comme coresponsable et cogestionnaire, avec le gouvernement Macron, de la politique agricole.

    Dans d’autres pays, comme l’Espagne, cette différenciation n’est pas claire et les organisations qui représentent majoritairement les exploitations familiales, comme la COAG, travaillent main dans la main avec les grands employeurs agricoles, représentés par des organisations telles que l’Asaja. En Italie, les grands agriculteurs sont proches de la droite de Salvini, tandis que de nombreuses exploitations familiales n’ont aucune référence politique.

    Il faut mentionner les manœuvres et la concurrence parmi la droite et l’extrême droite pour capitaliser sur la contestation, et ceci est accentué par l’imminence des prochaines élections européennes, où les sondages prédisent une montée significative de l’extrême droite.

    A noter également que les salariés agricoles sont absents des manifestations, tandis que dans certains rassemblements des slogans ont été scandés contre le salaire minimum, pour la plus grande joie des grands patrons de l’agriculture.

    Quant à la position des syndicats de travailleurs, dans des cas comme l’Espagne, la direction des CCOO a qualifié les mobilisations dans leur ensemble de réactionnaires, en évitant de faire la distinction entre les petits agriculteurs et les grands employeurs agricoles. En Italie, la CGIL, absente de la mobilisation, s’est prononcée en faveur de la « politique verte » de l’UE (!). En France, les syndicats de travailleurs ont globalement soutenu le mouvement des agriculteurs, tout en déplorant (comme la CFDT) le « deux poids, deux mesures » quant à la réaction du gouvernement français : bienveillance envers les agriculteurs (et surtout la FNSEA) d’un côté ; brutalité contre les travailleurs/ses en lutte contre la réforme des retraites de l’autre. Certaines centrales (très clairement Solidaires, la CGT de façon moins apparente) se sont alignées sur la lutte et les revendications portées par la Confédération paysanne, la CGT appelant aussi à une convergence des revendications entre divers secteurs économiques autour de l’exigence d’un travail dont la rémunération permette de vivre.

    Les revendications

    Il existe des différences entre les pays. Par exemple, dans les pays d’Europe de l’Est, l’une des revendications les plus importantes est de mettre fin au libre-échange agricole avec l’Ukraine, par lequel l’UE voulait financer le gouvernement ukrainien aux dépens des agriculteurs et des éleveurs.

    Cependant, certaines demandes sont communes aux différents pays et sont clairement dirigées contre la politique agricole de l’UE. L’une des principales est la garantie d’un revenu décent pour les agriculteurs, qui touche particulièrement les exploitations familiales, pillées par les grands parasites de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, sans oublier l’industrie chimique qui monopolise la production et la commercialisation des semences, et les oligopoles de l’énergie. Les aides de la PAC, qui favorisent les grands propriétaires terriens et sont déconnectées de la production, loin de résoudre ce problème central, le masquent.

    Une autre revendication commune concerne l’opposition aux accords de libre-échange, comme celui qui est en cours de négociation avec le Mercosur, en plus de ceux déjà signés avec le Maroc, l’Afrique du Sud, le Canada, la Nouvelle-Zélande… qui mettent les agriculteurs et éleveurs familiaux en concurrence directe avec l’agro-industrie de ces pays, dans des conditions de coût et de réglementation très différentes, de sorte qu’ils n’ont aucune chance d’être compétitifs. Les seuls à en profiter sont les grands industriels, qui peuvent exporter avec peu ou pas de droits de douane, les grandes chaînes de distribution qui négocient avec les agriculteurs nationaux sur la base des prix étrangers et les grandes entreprises agro-industrielles qui exploitent de nouveaux marchés dans ces pays.

    En fait, la politique de la PAC, combinée aux accords de libre-échange, représente un véritable plan de démantèlement de l’agriculture familiale dans l’UE au profit de grands oligopoles agricoles et d’importations bon marché.

    Dans les pays de l’Europe du Sud, la demande d’aide pour faire face à la pire sécheresse de ces dernières années joue aussi un rôle important. À cette sécheresse, expression directe de la catastrophe environnementale que nous vivons, s’ajoutent d’autres phénomènes tels que la désertification de zones de plus en plus étendues dans la région méditerranéenne, la pollution des sols et des aquifères et la perte de biodiversité. Selon diverses études, 80 % des habitats en Europe sont actuellement en mauvais état et 70 % des sols sont en mauvais état. Pourtant, malgré cette réalité évidente, un nombre important de petits et moyens agriculteurs, contraints de produire de manière de plus en plus compétitive, endettés et dans une situation de plus en plus précaire, soutiennent les grandes organisations agricoles qui cherchent à détourner les problèmes de fond vers les réglementations environnementales de l’UE, dont elles demandent le retrait. C’est aussi dans le cadre de cette angoisse sociale que l’extrême droite tente de propager son credo négationniste du changement climatique.

    La réponse de l’UE et des gouvernements

    Effrayés par la force de la contestation et lamenace qu’elle représente pour la stabilité sociale et politique de l’UE, cette dernière et les différents gouvernements ont apporté une réponse conforme aux intérêts des grandes entreprises qu’ils représentent.

    Tout en maintenant la PAC et en perpétuant tous les éléments structurels qui provoquent la ruine des exploitations familiales, la présidente de la Commission européenne a suspendu le plan de réduction de l’utilisation des pesticides, qui était l’une des pierres angulaires du Pacte vert (Green New Deal) européen. Elle a également renoncé à des mesures telles que l’obligation de laisser une certaine proportion de terres arables en jachère (une année d’attente sans culture pour permettre au sol de récupérer des nutriments). Les timides mesures de la loi sur la restauration de la nature sont également directement menacées et ont été remises en question par la réglementation sur les engrais ou la définition de zones écologiques protégées. Quant aux gouvernements, ils soutiennent le recul de la Commission européenne sur les mesures du Pacte vert et offrent des réductions fiscales, promettent moins de bureaucratie, plus de contrôles et annoncent pour la énième fois qu’ils veilleront à ce qu’il n’y ait pas de ventes à perte.

    Les changements successifs de la PAC

    L’UE affirme qu’à travers la PAC, elle cherche à assurer un revenu décent aux agriculteurs, à favoriser la transition vers une agriculture durable et à garantir la sécurité et la souveraineté alimentaires de l’Europe. La réalité montre tout le contraire. La PAC est une véritable escroquerie dans tous les domaines, à l’exception des énormes bénéfices empochés par les grands patrons de l’agriculture, les grandes chaînes de distribution et les géants de l’agro-industrie.

    Au départ, en 1962, lorsque la PAC a été créée, l’UE (alors Communauté économique européenne) ne comptait que six pays et l’Europe était touchée par d’importants déficits agricoles. La PAC initiale a mis en place des mesures de protection par le biais d’une réglementation stricte : prix d’intervention, droits d’importation, stockage et, plus tard, fixation de quotas de production en cas d’excédents, comme dans le cas du lait. Pendant longtemps, il n’a pas été nécessaire d’accorder des subventions ou des aides aux agriculteurs. La PAC originelle était l’un des fondements de la Communauté européenne: instrument essentiel pour maintenir la paix et la stabilité dans les campagnes, elle s’inscrivait dans le cadre de l' »État-providence » de l’après-Seconde Guerre mondiale.

    Mais à partir de 1992 (avec le traité de Maastricht), en même temps que l’État-providence était remis en cause, la régulation agricole a été mise à mort, remplacée par une politique néolibérale, qui s’est imposée pleinement dès 2003. Les prix d’intervention, les stocks et les quotas ont disparu ; des subventions à l’hectare indépendantes de la production ont été introduites, sans aucune contrepartie en faveur de l’agriculture durable et de l’environnement, et les droits de douane ont été remplacés par des accords de libre-échange. Cette politique est restée inchangée depuis lors, à l’exception de quelques mesures environnementales prises ces dernières années, et qui sont aujourd’hui remises en question. Le résultat est le développement ininterrompu de l’agro-industrie et des oligopoles, la pollution des écosystèmes, la perte de biodiversité, le démantèlement des exploitations familiales et la désertification progressive des campagnes.

    La crise agricole, expression de la crise de l’UE

    Si la PAC a été l’un des fondements de la stabilité et de la légitimation de l’UE, la crise actuelle de la PAC et la colère des petits et moyens agriculteurs et éleveurs sont l’un des éléments de la crise de l’UE. Le démantèlement des exploitations familiales sous l’impulsion de l’UE est un facteur majeur de déstabilisation et de délégitimation.

    La crise agricole révèle également l’aggravation du déséquilibre entre la ville et la campagne, de plus en plus polluée, dépeuplée et socialement délaissée. Ce déséquilibre, favorisé par le capitalisme, atteint des niveaux de plus en plus menaçants.

    Le démantèlement des exploitations agricoles familiales va de pair avec l’offensive néolibérale forcenée contre l’État-providence. Ces deux phénomènes reflètent également le déclin de l’UE, le bloc impérialiste européen pris au milieu du conflit entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois émergent. Ses deux grandes puissances, l’Allemagne et la France, sont touchées par une crise profonde et ont un poids décroissant dans l’ordre mondial.

    Quelle issue ?

    Nous, organisations européennes de la LIT, nous luttons pour établir une alliance des organisations de la classe ouvrière avec les paysans des exploitations familiales pour mettre fin à la PAC néolibérale et aux accords de libre-échange, et pour défendre des mesures de transition vers une agriculture et un élevage durables qui garantissent un revenu décent aux paysans et aux éleveurs.

    Il faut une agriculture qui consomme moins de pétrole, d’engrais, d’herbicides et de produits phytotoxiques, qui respecte les animaux et qui soit en équilibre avec la nature. Cela nécessite un plan de limitation de l’agriculture industrielle et de fermeture des macro-exploitations écologiquement non durables qui dévastent et dépeuplent les terres. Il faut réorienter la production vers une agriculture durable et de proximité, et remettre en culture les terres fertiles abandonnées. Il faut mettre fin à l’utilisation déraisonnable et irrationnelle des ressources en eau, en particulier dans les pays frappés par la sécheresse.

    Il faut imposer un prix juste pour les produits agricoles et d’élevage, qui couvre les coûts et permette aux exploitations familiales d’avoir un niveau de vie décent, en mettant fin à la différence exorbitante entre les prix payés à la source et les prix finaux facturés aux consommateurs, qui sont en grande majorité des travailleurs. Il faut sanctionner très durement les ventes à perte que les grandes chaînes de distribution et l’agro-industrie imposent aux petits et moyens agriculteurs.

    Nous préconisons la création d’un organisme public, sous le contrôle des agriculteurs familiaux, de la classe ouvrière des campagnes et des consommateurs, chargé de fixer les prix et les stocks annuels à maintenir et de garantir le contrôle de l’État sur la distribution. Il ne peut y avoir de réponse à la crise des campagnes sans s’attaquer aux grands entrepreneurs agricoles et aux exploitations industrielles, aux oligopoles commerciaux, aux industries chimiques qui monopolisent la fourniture d’engrais, et à celles qui monopolisent la production de semences.

    La population migrante travaillant dans les campagnes doit être régularisée et une sanction exemplaire doit être imposée aux patrons qui ne respectent pas les conventions collectives.

    Des mesures importantes doivent être prises pour opérer un rééquilibrage entre les grandes villes – véritables trous noirs environnementaux – et les zones rurales de plus en plus polluées, délaissées et dépeuplées. Il ne peut y avoir de société écologiquement saine sans résoudre cet énorme problème causé par le capitalisme.

    Toutes ces mesures vont de pair avec la lutte pour imposer un gouvernement des travailleurs/ses, qui devrait exproprier et nationaliser, sous contrôle ouvrier et populaire, les grandes entreprises agricoles et agro-industrielles, les grandes chaînes de distribution, les grandes entreprises chimiques et les banques, tout en soutenant efficacement une coopération maximale entre les exploitations agricoles familiales. Il faut mettre en place une planification démocratique de l’économie en fonction des besoins de la population et de la solidarité internationale. Un programme qui ne peut pas se développer sans être intégré à la bataille stratégique pour remplacer l’Europe du Capital par une Europe des travailleurs et des peuples, par des États unis socialistes d’Europe.