https://comptoir.org/2024/03/21/ni-le-marche-ni-letat-la-cooperation-quelques-lecons-de-la-coopcot-de-creteil/

Faut-il attendre le grand soir ou se contenter de petits matins ? Sera-ce tout ou rien ? Ce qui n’est pas pur est-il nécessairement impur ? Doit-on organiser un plan infaillible avant de passer à l’action ou refuser toute forme d’organisation structurée ? Créer des alternatives locales, est-ce céder à la tentation d’une île et renoncer à combattre l’ordre marchand ? Les expériences coopératives, par un retour au concret, invitent justement à sortir de ces querelles théoriques stériles et à se confronter au réel pour le transformer. Plongée dans une jeune expérience, qui permet d’en rendre compte : la Coop’Cot’ de Créteil.

De la démocratie coopérative

La Coop’ Cot’, « épicerie coopérative et solidaire », a ouvert à Créteil en 2020. Depuis sa création, 416 coopérateurs se sont inscrits à la coopérative, pour 250 à 300 adhérents actuellement, dont 180 actifs.  L’épicerie vend autant de l’alimentaire (frais ou non) que du non-alimentaire (produits d’hygiène, par exemple). Le choix d’une marge fixe rend les prix plus ou moins attractifs selon les cas. Mais sur un panier moyen, le tarif reste globalement favorable aux acheteurs, d’autant plus avec la hausse de l’inflation dont ont profité les circuits marchands pour accroître leurs marges. Pour bénéficier de l’accès à la Coop’Cot’, un coopérateur doit participer à la tenue du local, à raison de trois heures toutes les quatre semaines. En fonction des jours, les tâches sont variées (se rendre à Rungis, faire de l’étiquetage, de la mise en rayon, des inventaires…).

Après quatre années d’existence, la coopérative n’est toujours pas organisée selon un plan préétabli qui l’aurait précédé et son mode de fonctionnement ne se veut en rien définitif. Il n’est que l’état actuel de la volonté du collectif. En ce sens, l’expérience coopérative fait converger les trois formes de la démocratie concrète : égalité entre tous, valeurs d’émancipation, souveraineté permanente du collectif. Ainsi, entre la volonté d’établir un plan politique auquel la réalité et la société devra se soumettre ou celle de ne vouloir aucune régulation – autre que celle du marché, donc – la démarche coopérative ouvre une voie : viser un idéal sans préconçu sur la forme, en laissant aux collectifs toute capacité de décision.

« En ôtant des produits du circuit commercial usuel, la démarche coopérative participe à une forme de démarchandisation du monde. »

La solution est dans le collectif

Le collectif est en effet au cœur de la démarche coopérative. Il permet d’abord de cumuler les compétences. Certains viennent avec des expériences antérieures (AMAP, syndicalisme…), d’autres non. Les uns aiment bricoler, les autres communiquer.

Le collectif permet ensuite de faire face aux crises. « Les galères remobilisent le collectif », témoigne ainsi une coopératrice. Beaucoup de travaux sont réalisés par les coopérateurs et permettent la reconnaissance de tout un savoir-faire habituellement non valorisé socialement.

Mais il ne s’agit pas seulement de constater l’intérêt du collectif. Il s’agit aussi de le travailler. Quand un cabinet d’expert-comptable a fait défaut, les coopérateurs de la Coop’Cot’ se sont organisés pour se former. L’épicerie coopérative organise également la formation de référents, ce qui permet aux coopérateurs qui le souhaitent de s’impliquer davantage.

« L’expérience coopérative fait converger les trois formes de la démocratie concrète : égalité entre tous, valeurs d’émancipation, souveraineté permanente du collectif. »

Les enjeux se connectent

La Coop’Cot’ est lancée au départ par trois salariées qui se sentent « empêchées » dans leur travail. Elles envisagent différents projets pour reprendre la main. C’est finalement une épicerie coopérative et participative qui voit le jour, en octobre 2020.

Loin de pousser à une forme de fermeture sur des enjeux limités, l’expérience témoigne d’une imbrication permanente des enjeux. D’une question de rapport au travail, on passe à celle de nos modes de consommation. L’essentiel des produits vendus étant alimentaires, la Coop’Cot’ participe régulièrement à des initiatives pour une alimentation plus saine, plus durable, plus juste et accessible à tous. Les efforts déployés vers les étudiants la poussent à prendre des mesures en lien avec la question de la précarité étudiante (tarifs minorés). Les enjeux du féminisme ne restent pas sur le seuil de la porte, une coopératrice témoignant vivre à la Coop’Cot’ sa première réelle expérience de sororité.

La vie de la coopérative touche également aux enjeux de démocratie. Contrairement à d’autres coopératives, la Coop’Cot’ a fait le choix d’une structure associative de type loi 1901. Un conseil participatif se réunit chaque mois, ouvert à tous. Pour intégrer la co-présidence, on ne se présente pas, mais on est élu par le conseil participatif par une élection sans candidat : le jour de l’élection chacun vote pour le nombre de personnes qu’il souhaite et ce sont les trois personnes qui remportent le plus de voix qui sont élus.

Ici comme ailleurs, on se heurte aux mêmes difficultés de partage des tâches et des responsabilités, tant en termes d’appartenance sociale que de genre. Mais on ne les esquive pas, on les travaille.

Enfin, évidemment, en ôtant des produits du circuit commercial usuel, la démarche coopérative participe à une forme de démarchandisation du monde.

Les échelles s’imbriquent

De la même manière, les expériences coopératives ne sont en rien des expériences de refuge hors du monde. La Coop’Cot’ cherche à s’ouvrir sur son quartier, auprès des salariés comme des étudiants. Elle est liée à l’Intercoop Francilienne et la plupart de ses fournisseurs sont des producteurs départementaux et régionaux (fruits et légumes, œufs, viande, fromage).

Elle participe régulièrement à des salons ou des rassemblements nationaux. Pour garantir sa pérennité, elle répond à des appels à projets, monte des dossiers de subvention, à toutes les échelles, du local à l’Europe, en passant par les intercommunalités et la région.

« La Coop’Cot’ participe régulièrement à des initiatives pour une alimentation plus saine, plus durable, plus juste et accessible à tous. »

Loin de vouloir se replier sur une base refermée, les coopérateurs cherchent à s’ouvrir au maximum, tant que cela reste compatible avec leurs engagements.

On ne s’isole pas, on s’interroge

Ces ouvertures, désirées ou imposées, empêchent de tomber dans une forme de fossilisation. La dynamique ne peut que rester vive. Chaque réponse apporte une nouvelle question. Certes, comme toute forme de collectif, il peut exister de l’entre-soi dans une expérience coopérative. Mais il ne faut pas l’exagérer. Les coopérateurs ont différentes identités, mais également différents niveaux d’engagement et de politisation.

Surtout l’entre-soi, loin d’être un entre-soi satisfait, est un entre-soi qui s’interroge et aspire à s’élargir et à s’ouvrir. Dans le cas de la Coop’Cot’ de Créteil, de nombreuses expériences ont été tentées en ce sens (initiatives vers les étudiants, les salariés du quartier) ou sont en réflexion (part solidaire).

Beaucoup de questions témoignent également d’un débat permanent : ne faut-il vendre que de l’alimentaire ? Que du bio pour l’alimentaire ? Quelle marge accorder à la coopérative sur le prix de vente ? À chaque fois, derrière des questions qui peuvent paraître anodines, se trouvent des enjeux politiques et, plus largement le défi de concilier idéal et impératifs économiques, quand on aspire à une démarche à la fois politique et sociale.

Épilogue : faux débats et vrais enjeux

La question des coopératives est bien souvent abordée avec une relative ignorance du passé. Longtemps, les coopératives étaient pensées comme le troisième pilier du changement social, aux côtés des partis politiques et des syndicats. La Première Internationale (1864-1876) avait déjà longuement réfléchi au sujet, dans sa diversité : coopérations de production, coopératives d’achats, banques coopératives… Elle relève des écueils à éviter : s’isoler du reste de la société, chercher à faire des bénéfices, risque d’une division au sein de la classe ouvrière entre les coopérateurs et les autres… Mais elle n’en appelle pas moins à s’y engager et à expérimenter, car « il est toujours bon de voir les travailleurs se grouper […] dussent-ils se tromper dans leurs essais. » Elle y voit aussi l’intérêt pour les ouvriers de « s’initie[r] aux questions économiques. »

« Les coopérateurs cherchent à s’ouvrir au maximum, tant que cela reste compatible avec leurs engagements. »

Sans pouvoir présenter l’immense continent des expériences coopératives des XIXe et XXe siècles, citons la première épicerie coopérative à Lyon (1835) ou le lancement des Équitables Pionniers en Angleterre, en 1844. Ces derniers impulsent un mouvement de créations de coopératives de consommation qui compteront plus d’un million d’adhérents à leur apogée.

L’oubli de ce passé explique en partie que la question des coopératives soit généralement abordée par le prisme de fausses oppositions. Ce serait Marx l’étatiste contre Proudhon le mutuelliste. Ce serait Lordon contre les ZADistes de la « cabane ».

La jeune histoire de la Coop’Cot’ permet d’illustrer la manière dont les expériences coopératives déjouent les fausses oppositions pour se confronter au réel. En promouvant un modèle d’organisation non figé et égalitaire, la coopérative se montre souple et adaptable à des contextes très différents, à toutes les thématiques, à toutes les échelles. Au Japon, c’est le Seikatsu Club (fondé en 1965, 320 000 membres aujourd’hui). Au Venezuela, c’est par exemple la coopérative d’achat Cecosesola (1 200 travailleurs associés qui gèrent des supermarchés populaires). Au Nigeria, des coopératives d’achat se montent par les réseaux sociaux.

Que des expériences coopératives trébuchent, échouent ou soient dévoyées, c’est une évidence. Mais c’est justement parce qu’il y a acceptation de ce risque que ces expériences méritent d’être menées et peuvent nourrir les combats politiques.

Nos Desserts :

• Visitez le site Internet de la Coop’Cot’
• Un réseau de coopératives alimentaires autogérées en France 
• Food Coop (2016), le film de Tom Boothe, sur une épicerie coopérative pionnière à New York
• Sur Le Comptoir lire notre article : « Mouvement social 2023 : un bilan des bilans »
• Un documentaire de Ronan Kerneur et David Ferret sur l’expérience de la coopérative Cecosesola au Venezuela