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Du trotskysme à la social-démocratie : le courant lambertiste jusqu’en 1963

Lien publiée le 4 avril 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/15749

Hentzgen Jean, Du trotskysme à la social-démocratie : le courant lambertiste jusqu’en 1963, Thèse d’histoire, sous la direction de John Barzman, Université du Havre, 2019, 538 pages.

Pierre Lambert, dirigeant trotskiste

Un compte-rendu de Georges Ubbiali

Commencée sous la direction de Michel Dreyfus à l’Université Paris I, cette thèse a été achevée en Normandie avec John Barzman comme directeur. Nul doute que ce travail vient éclairer une partie fort méconnue de l’histoire d’un pan de l’extrême-gauche, celle du courant « lambertiste », du pseudonyme de celui qui allait devenir son principal dirigeant, Pierre Lambert (Pierre Boussel). Classiquement, Jean Hentzgen débute son propos par une présentation de la littérature disponible puis des sources archivistiques, complétée par quelques sources orales. La thèse soutenue est présentée dès l’introduction : l’analyse ne repose pas sur l’histoire de la naissance d’une “secte” politique, mais connote fortement un penchant de cette fraction du trotskysme pour la social-démocratie. Notons au passage, aspect plutôt inédit, que l’auteur inclut de manière systématique la dimension internationale de ce courant, le Comité international.

S’ensuivent douze chapitres, présentés par ordre chronologique depuis 1952, année de la scission de la Quatrième Internationale (QI). Auparavant, dans un premier chapitre, Hentzgen revient sur la période de la guerre, la coexistence de deux courants, le CCI (Comité communiste internationaliste,” moliniériste”, du nom de son principal responsable, Henri Molinier) et le POI (Parti Ouvrier Internationaliste). Ces deux organisations fusionnent pour donner naissance, dans la clandestinité, en 1944 au Parti Communiste Internationaliste. Pierre Lambert dirige la commission syndicale du PCI et le travail de fraction dans la CGT, développant une identité de syndicaliste révolutionnaire. Ce réseau trouve dans L’École Émancipée (EE) et dans le regroupement Front Ouvrier un milieu syndical où s’investissent Lambert, mais aussi Louis Eemans, Jean Lefevre ou encore René Dumont, qui constitueront le noyau du courant syndical du “lambertisme”. L’année 1947 marque un tournant avec le début de la guerre froide, la scission FO-CGT, l’exclusion des Jeunesses socialistes, la scission du PCI et la création du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), emportant une partie du parti.

Le second chapitre, portant sur la période d’avril 1948 à juin 1952, correspond à la naissance du “pablisme” (du pseudonyme Pablo, dirigeant de la IVe Internationale). L’expérience yougoslave entraine le soutien de la IVe qui y organise des brigades de jeunes, dont le bilan est pour le moins mitigé. Au niveau français, Lambert s’associe à la création d’un nouveau journal oppositionnel, L’Unité syndicale, qui remplace Front Ouvrier, rapidement dénommé L’Unité. Autour de cette publication syndicale se regroupent quelques réformistes de gauche (implantés dans la nouvelle centrale FO). Mais rapidement ce rassemblement éclate, sous l’impulsion des tendances clairement anticommunistes et anti-CGT. En parallèle à cette activité syndicale, les thèses de Pablo sur l’entrisme sui generis entrainent la scission dans l’Internationale. Si le courant “pabliste” est majoritaire au sein de l’Internationale, il est au contraire minoritaire dans la section française, le PCI. D’où la situation, durant quelques années, de deux PCI, l’un majoritaire, l’autre minoritaire.

Le troisième chapitre (juillet 52-mars 53) décrit la manière dont Lambert va construire son hégémonie dans le PCI majoritaire (ne nous payons pas de mot cependant, le PCI majoritaire compte moins de 100 militants, les minoritaires rassemblant tout juste deux ou trois dizaines). Deux sensibilités coexistent au sein de ce courant majoritaire, les « syndicalistes » (autour de Lambert et la commission syndicale) et les « politiques » (Marcel Bleibtreu, Michel Lequenne), tournés vers le PCF et le bloc communiste. L’isolement du PCI majoritaire au sein de l’Internationale n’empêche pas le redémarrage de l’activité, autour de six cellules (Renault, Postiers, Instituteurs, Employés, Cheminots, RATP). Une importante activité est déployée au sein de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale), dans le courant EE avec Robert Cheramy et la douzaine de militants qui l’accompagnent, qui noue des contacts au SNET (Syndicat des enseignants, ancêtre du SNES). La sensibilité politique est affaiblie par ses difficultés de regroupement d’une opposition à partir du mouvement communiste (CRC), après l’exclusion d’André Marty du PCF. Au congrès du PCI de 1953, le courant syndicaliste, derrière Lambert, affirme son hégémonie. « P. Lambert a enfin conquis la direction d’une organisation. Celle-ci changera de nom plusieurs fois, mais il en demeurera le chef jusqu’à son décès, en 2008 », constate l’auteur p. 161.

Poursuivant sa démarche quasiment d’entomologiste, Jean Hentzgen aborde la séquence du semestre mars-décembre 53, dans la section suivante, celle de l’affirmation du courant désormais reconnu par le nom de son leader. Ce chapitre s’ouvre par un portrait de Lambert et de sa personnalité. L’échec définitif de la tentative du CRC et la rupture avec A. Marty confirment la prééminence de l’activité syndicale sur le travail politique. La grève des postiers de l’été 53 suscite le lancement des Assises pour l’unité d’action syndicale et la création d’un CUA (Comité d’unité d’action), structure organisant les dites assises (le lecteur intéressé se reportera aux pages 190 et suivantes où cette organisation est détaillée pour les PTT). Ces assises et leur conception constituent la marque de fabrique des pratiques “lambertistes” en matière syndicale et bien au-delà. Au niveau international, le PCI sort de son relatif isolement avec la constitution d’un bloc (Comité International) après la rupture du SWP américain d’avec la QI.

Dans l’année et demie qui suit (janvier 54 – avril 55), les derniers soubresauts entre les « politiques » et les « syndicalistes » irriguent les débats internes, avec constitution d’une nouvelle sensibilité autour de Raoul et son groupe. Rassemblant une vingtaine de militants, ce dernier souhaiterait dépasser l’affrontement Lambert/Bleibtreu. Ces débats portent sur le fonctionnement interne, l’intervention du parti, l’URSS, l’Algérie ou encore l’Internationale. Ils se soldent par la scission en mars 55 du groupe Bleibtreu qui constitue aussitôt le GBL (Groupe bolchevik-léniniste), avec une douzaine de membres. « Désormais, le PCI majoritaire se confond avec le courant lambertiste », note Hentzgen. Cependant, aussi bien l’enlisement du CI et les dissensions avec le SWP que le début de la guerre d’Algérie accélèrent une nouvelle crise interne. En effet, tandis que le PCI minoritaire s’engage auprès du FLN, le PCI lambertiste va s’engager auprès du MNA de Messali Hadj.

Les “lambertistes” créent un comité Messali. Le succès est très limité, car mis à part la FEN (elle-même timorée, car sa fédération d’Algérie est hostile à l’indépendance), Jean Hentzgen constate que « Le PCI constitue le flanc gauche d’une coalition réformiste appuyant les messalistes et désireuse de rallier le PS à ses vues » (p. 263). C’est donc une organisation affaiblie par le départ du courant Bleibtreu, comptant une grosse cinquantaine de membres qui déploie une activité intense. Le journal La Vérité devient hebdomadaire et une revue théorique, Les Cahiers rouges, est lancée. L’auteur se penche d’ailleurs (cf. p. 270 et suivantes) sur les « rétributions du militantisme », ainsi que sur la sociologie (globalement, les ouvriers sont très présents, même si la direction ne les inclut pas). Le niveau d’exigence est particulièrement élevé. Bref, autour du PCI, se développe un très mince noyau, constitué d’une élite ouvrière. Les grèves en Loire-Atlantique permettent au groupe Lambert de se rapprocher à l’été 55 d’Alexandre Hebert et du syndicalisme révolutionnaire au sein de FO. Ce rapprochement permet la création du CLADO (Comité de liaison et d’action pour la démocratie ouvrière), qui se dote d’un journal, La Commune. Hors des rangs trotskystes, le rapport Khrouchtchev entraine une crise dans le mouvement communiste et suscite chez quelques intellectuels (dont Edgard Morin, également impliqué dans le CLADO) le lancement de la revue Arguments. Le PCI soutient cette revue (Pierre Broué publiera son premier livre, La révolution et la guerre d’Espagne, dans ce cadre), considérée comme un coin dans l’hégémonie intellectuelle du PCF. L’année 57 est celle de la tenue du premier congrès du PCI. Le groupe Raoul, toléré jusqu’alors, intègre la majorité.

La séquence suivante (avril 57 – juin 58, chap. 9) se traduit par une série de déconvenues pour le PCI. En effet, au niveau international le SWP se rapproche de la majorité internationale en vue d’une réunification du courant trotskyste. Au niveau national, le travail ouvrier est à la peine. Cela se traduit par l’interruption de la publication de L’Unité syndicale. L’influence du PCI est au minimum. Cela n’empêche pas le lancement d’un travail conjoint avec Socialisme ou Barbarie à travers le journal mensuel Tribune ouvrière. Mais la construction du PCI, globalement, est laborieuse. Le CLADO périclite, tandis que quelques militants (dont Raoul) adhèrent à l’UGS, dans une perspective entriste. Si le développement du PCI patine, ce dernier parvient néanmoins à s’impliquer dans le Pumsud, tentative de regroupement de forces réformistes FO-FEN-CGT. Mais le coup le plus dur provient de la guerre d’Algérie. En effet, suite à la reddition du maquis Bellounis, le MNA s’effiloche (son syndicat USTA est décimé par la guerre intestine avec le FLN) ce qui a des conséquences sur les comptes de La Vérité, soutenu financièrement par les messalistes. Le coup de massue provient du revirement de Messali qui se déclare prêt à négocier avec le nouveau pouvoir gaulliste, sans faire de l’indépendance un préalable. C’est l’effondrement du MNA. Le soutien du PCI se révèle un fiasco politique complet.

Avec l’avènement de la Ve République, c’est un contexte politique totalement inédit qui s’impose. Le PCI vit une crise ouverte, ses effectifs passent sous le seuil des cinquante militants. Si aucun bilan sérieux n’est tiré du soutien au MNA, que plus aucune activité concrète n’est menée en faveur de l’Algérie, le PCI développe cependant une analyse catastrophiste de la situation politique. L’avènement de la Ve République est interprété sur un ton apocalyptique. Une série de mesures organisationnelles sont prises pour « réarmer » l’organisation : l’appellation PCI est abandonnée au profit de groupe La Vérité (ou encore, groupe Lambert) ; la périodicité de La Vérité passe d’hebdomadaire à mensuelle, mais commence la publication d’une feuille régulière ronéotypée, Informations ouvrières, qui ne se revendique pas du trotskysme.

A l’occasion du débat sur la nouvelle classe ouvrière, développé par des sociologues proches de la CFTC (Serge Mallet ou Pierre Belleville), le groupe Lambert s’oppose à ces thèses modernistes, ce qui conduit à une rupture avec Arguments et Edgard Morin. Lors du congrès de FO en 59, Hebert vote le rapport proposé par la majorité réformiste. Les délégués du groupe Lambert expriment leur satisfaction que FO demeure une organisation syndicale indépendante (opposée à l’association capital/travail portée par le projet gaulliste), mais ne vont pas jusqu’à voter avec leurs alliés syndicalistes révolutionnaires (Lambert s’abstient). Cet accord des lambertistes avec la direction réformiste de FO est destiné à un grand avenir dans les décennies suivantes. Lambert n’évoquera jamais ce premier pas d’un accord avec les réformistes, avant que celui-ci ne devienne public à l’occasion du Xe congrès de FO en 1969 (Appel au Non au référendum de 69, comme les dirigeants de la confédération).

Après avoir pratiqué à son échelle l’entrisme dans l’UGS, entre 20 et 30 militants du groupe Lambert adhérent au PSA de Depreux. Robert Cheramy est le chef de file de cette fraction clandestine. A l’occasion de la fusion entre PSA et UGS, Cheramy mène la bataille contre l’adhésion de Pierre Mendès France et de son courant (CAP), ce qui l’amène d’ailleurs à rompre avec son groupe originel pour intégrer la direction du PSA. Jean-Jacques Marie de son côté développe une activité en direction de la jeunesse (en particulier les JSA) et l’Ajisme. La publication de Révoltes permet au groupe Lambert une timide implantation dans ce milieu. Finalement, un accord est passé avec Voix Ouvrière (ancêtre de Lutte ouvrière) pour diffuser des feuilles de boites communes sur quelques entreprises. Au bout d’un an, ce « réarmement » commence à produire des résultats, à savoir recruter de nouveaux militants (c’est le cas par exemple de Boris Fraenkel, avec quelques contacts). Lambert apparaît comme le dirigeant incontesté de cette organisation de 53 cotisants à la fin 59 (chiffres évoqués p. 401). Finalement, l’arrivée des mendésistes au sein du PSA marque la fin de la période entriste, même si quelques militants demeurent à la création du PSU.

Le journal Correspondance socialiste (CS), édité par Marceau Pivert au tout début des années 60, prolonge les contacts avec les milieux de la gauche socialiste. Cinq “lambertistes” y côtoient en effet des socialistes de gauche (provenant de l’UGS ou du PSA), en particulier de la minorité, qui ont refusé l’entrée des mendesistes lors de la création du PSU. C’est Jean-Jacques Marie qui est au comité de rédaction de CS. Les entristes de l’UGS accompagnent la création de l’Union pour le Socialisme (UPS), éphémère groupe des minoritaires de l’UGS, avant de rejoindre leur organisation lambertiste de départ. C’est que la priorité politique apparaît désormais être le renforcement du groupe. La mise sur pied des GER (Groupe d’études révolutionnaires), apparait comme le pivot du fonctionnement et du recrutement. Ce dispositif de formation des recrues perdure jusqu’en 1981. Après un séjour permettant aux contacts de se familiariser avec la doctrine et le répertoire d’action du groupe, le nouveau militant est affecté à une cellule. Les GER vont devenir la matrice d’une culture militante spécifique. Cette formation théorique et pratique est d’autant plus nécessaire que la répression du pouvoir gaulliste ne désarme pas, la guerre d’Algérie se poursuivant. Pierre Lambert, Daniel Renard, Gérard Bloch ou encore Stéphane Just, seront ainsi l’objet d’inculpations, suscitant des campagnes de solidarité.

Au début des années 60, un nouvel équilibre semble avoir été atteint. Le recrutement de nouveaux jeunes militants permet un accroissement des effectifs : 135 militants en 62, 439 en 67, 4 429 en 79. Si l’implantation repose essentiellement sur Paris, quelques pôles provinciaux se renforcent (Lyon, Nantes…). Le groupe se tient à l’écart de la guerre d’Algérie, s’opposant par exemple de manière ferme à l’appel des 121 à l’insoumission en septembre 1960 : « Irresponsabilité criminelle et orientation petite-bourgeoise » proclame La Vérité, cet appel se situant hors du mouvement ouvrier. Sur un autre plan, l’orientation laïque du groupe l’amène à dénoncer l’orientation du FLN. À l’automne 61, décision est prise de mettre fin à la collaboration avec VO pour poursuivre, seul, la diffusion de Correspondance ouvrière sur les quelques usines où le groupe est implanté. Par ailleurs, le développement au sein de la jeunesse se révèle particulièrement fécond, Boris Fraenkel gagnant à lui seul plusieurs dizaines de recrues. Le même phénomène se manifeste au sein des Auberges de Jeunesse, avec la création d’une fraction au sein de la FUAJ. Au printemps 61, la création du CLER (Comité de liaison des étudiants révolutionnaires) manifeste la volonté de s’implanter au sein de la jeunesse universitaire, en premier lieu au sein de l’UNEF où une quinzaine de militants interviennent à l’occasion de son XIe congrès en 61.

L’ultime période analysée court de novembre 61 à novembre 63 (chapitre 12). Elle s’amorce par une campagne pour la démocratie ouvrière. Le 14 février 60, à la Saviem Saint-Ouen, la diffusion d’un bulletin commun avec VO est physiquement perturbée par le PCF. Une pétition est initiée, prolongée par la publication d’une brochure. Les transformations du monde syndical sont observées avec un œil pour le moins critique. L’accession de Eugène Descamps, de la minorité Reconstruction, à la direction de la CFTC est analysée comme une manifestation du corporatisme et de la menace d’intégration des organisations ouvrières. La création de la CFDT, quelques mois plus tard, en novembre 64, est perçue comme « l’annonce d’une nouvelle offensive pour désintégrer le mouvement ouvrier » (p. 445). Au sein de FO, les “lambertistes” participent à la publication d’un bulletin interne, Le militant, qui s’oppose avec virulence au courant « moderniste » incarné par le secrétaire de la Chimie Maurice Labi. Contre cette menace, l’alliance avec la direction de FO, emmenée par André Bergeron à partir de 63, permet de développer une opposition systématique à toute pratique unitaire avec la CFTC. C’est la même hostilité qui se manifeste, au niveau politique, à l’égard du PSU, tout en pratiquant néanmoins une politique entriste au sein des ESU. Au congrès de novembre 63, une quarantaine de “lambertistes” reviennent au groupe La Vérité.

Au niveau international, la révolution cubaine entraine l’éclatement du regroupement du CI auquel appartient le groupe Lambert. La IVe internationale connaît un processus de réunification partielle avec le SWP. Seuls le groupe Lambert en France et les Anglais de la SLL de Healy demeurent hors du nouveau Secrétariat Unifié ainsi créé. Au sein de la jeunesse, le groupe Lambert connaît un développement heurté. Si le CLER se développe et permet de nombreux contacts en province via l’UNEF, les “lambertistes” sont exclus de la gauche de l’UNEF. Le CLER entreprend alors de créer sa propre tendance au sein du syndicat étudiant. A la FUAJ, scénario similaire puisque la fraction “lambertiste” est exclue, tout en conservant la direction du journal Révoltes. En revanche, les jeunes “lambertistes” assistent, impuissants, à la crise de l’UEC. Malgré toutes les difficultés rencontrées, l’organisation “lambertiste” connaît une croissance permanente de ses effectifs, comptant 350 militants début 65. C’est alors qu’est fait le choix de proclamer la création de l’OCI (Organisation communiste internationaliste). Une page de l’histoire du courant lambertiste se ferme. La démonstration de Jean Hentzgen se clôt de manière un peu brutale sur une évocation du vote par Lambert du rapport moral au congrès de FO de cette année là (vote qui n’avait pas été soumis ni débattu auparavant). Ce qui amène notre auteur à évoquer « un devenir bureaucratique de l’organisation où les militants sont muselés » (p. 479).

Dans ses pages de conclusion, Jean Hentzgen s’interroge pour savoir si l’histoire du groupe, dont il s’est fait le minutieux analyste, tend vers un avenir social-démocrate ? Sa réponse est positive : « Des nombreux exemples de connivence ou d’accords entre ce groupe et les réformistes l’attestent », argumente-t-il p. 481. Comment expliquer cette pente évolutive ? Selon lui, c’est l’isolement des trotskystes et la persistance d’un ensemble composite de syndicalistes révolutionnaires, de libertaires, de socialistes de gauche, rassemblé par un anticommunisme (déguisé sous l’antistalinisme) qui constitue le milieu de développement social du “lambertisme”. Cette nébuleuse aurait ainsi déteint sur le groupe Lambert. Cet argument sociologique mériterait de plus amples développements pour convaincre réellement. D’autant que s’y ajoute une opinion pour le moins hasardeuse : « A cette époque, le PCI a plus de difficulté pour résister aux sirènes social-démocrates car il ne dispose plus des avis de Trotsky pour le guider » (p. 483). Trotsky deus ex machina du développement d’un courant se réclamant de sa personne, l’argument apparait assez peu convaincant.

Apparaît plus assuré le fait que c’est par le biais de la pratique syndicale que Lambert se laisse entraîner dans les pratiques social-démocrates. Hebert et M. Pivert constituent les deux personnages clés du panorama (avec, en arrière-fond, mais plus marginal, Maurice Joyeux) de cette nébuleuse. Ces fréquentations seraient à l’origine d’une mutation des conceptions politiques développées par le “lambertisme” ; ainsi qu’il l’écrit, « Nous avons mis en valeur, dans notre texte d’autres occasions où ils adoptent une attitude compréhensive envers le camp atlantique » (p. 485). Sans verser dans un matérialisme grossier, Hentzgen évoque également, sans le développer, l’idée que la composition sociale de leur organisation se rapproche de celles des socialistes (p. 486).

On l’aura compris, Jean Hentzgen livre avec cette thèse une somme de connaissances sur l’évolution d’une composante ultra-minoritaire du mouvement ouvrier hexagonal. Car, faut-il le rappeler, le “lambertisme”, malgré sa volonté, n’a connu qu’un développement limité hors de France. Ses développements pointilleux, voire parfois pointillistes tant les milieux explorés relèvent d’une micro-histoire, mettent en lumière la variabilité des cultures politiques qui se dissimulent derrière l’identité générique de trotskyste