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    Les luttes à Renault-Billancourt

    histoire

    Lien publiée le 27 avril 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.zones-subversives.com/2024/03/les-luttes-a-renault-billancourt.html

    Renault-Billancourt incarne pendant longtemps la force de la classe ouvrière. Cette usine emblématique regroupe plusieurs milliers d'ouvriers. Cependant, les travailleurs restent encadrés par la CGT qui est alors un puissant syndicat stalinien. Néanmoins, des grèves éclatent et font trembler une entreprise symbolique du capitalisme français. 

    Les luttes à Renault-Billancourt

    La forteresse ouvrière de Renault-Billancourt reste un lieu emblématique de l’industrie française. Cette grande usine automobile regroupe une classe ouvrière puissante et organisée. Cette entreprise reste secouée par de nombreuses luttes sociales. Cependant, le Parti communiste et la CGT veillent à encadrer les ouvriers pour éviter que les grèves échappent à leur contrôle. La direction de l’entreprise demeure également dure et répressive.

    Paul Palacio, militant de Lutte ouvrière, propose son témoignage sur ses années de débaryages et de grèves qui agitent Renault-Billancourt. Il doit s’opposer à la fois au patronat mais aussi aux directions syndicales. Paul Palacio retrace ses combats dans le livre Souvenirs d’un militant révolutionnaire à Renault-Billancourt.

                              

    Grève de 1968

    Paul Palacio est recruté à Renault-Billancourt en 1966 dans un contexte de plein emploi. Il est facile de trouver du travail. Il existe un important turn-over dans les usines. Paul Palacio adhère à la CGT qui reste un syndicat hégémonique. Il rejont la petite organisation Voix ouvrière incarnée par Pierre Bois. Le secteur des professionnels reste alors le plus syndiqué et actif. En revanche, les OS qui travaillent sur les chaînes de montage semblent peu politisés. Il existe des petits débrayages pour des luttes catégorielles. Mais l’ambiance n’est pas à la solidarité collective.

    Avant le mouvement de Mai 1968, les militants semblent désabusés. Ils fustigent l’individualisme et les crédits qui empêcheraient l’émergence d’un puissant mouvement social. « La CGT continuait de prétendre que la grève générale n’était pas possible car les immigrés de la chaîne ne suivraient pas », rappelle Paul Palacio. Pourtant, la contestation de la jeunesse étudiante agit comme un détonateur. L’ambiance change, la température monte et les discussions s’engagent davantage.

    La CGT finit par appeler à une manifestation le 13 mai. Les ouviers de Billancourt sont en grève à 80%. Les OS et les jeunes ouvriers sont paticulièrement mobilisés. En quelques jours, l’ambiance passe de la résignation à la révolte. « Le moral évoluait également sur les chaînes, où la grève générale devenait envisageable pour les mêmes qui n’y croyaient pas quelques jours auparavant. Il faut dire que tout le monde voyait la poursuite du mouvement des étudiants, leur combativité et la répression policière », se souvient Paul Palacio.

    Les ouvriers occupent les usines à Sud-Aviation et à Renault Cléon. La grève se propage à Renault Flins. Les jeunes de Billancourt se répandent dans les ateliers pour se rassembler. Ils déplacent les voitures pour bloquer les portes de l’île et occuper l’usine. Les jeunes ouvriers se préparent à accueillir les cortèges étudiants. Cependant, la CGT, après un moment de flottement, décide de reprendre les choses en mains.

           

    Reprise du travail

     

    Les étudiants viennent quai Stalingrad, contrôlé par la CGT, qui ferme les grilles de l’usine pour empêcher toute entrée aux personnes extérieures. Les jeunes ouvriers ne comprennent pas cette hostilité contre les étudiants. La grève avec occupation reste entièrement contrôlée par les militants de la CGT. Les militants de Voix ouvrière ne sont pas en mesure de prendre la moindre initiative, ni de lancer un comité de grève pour permettre une auto-organisation de la lutte.

    Le 7 juin, la direction de Flins organise un lock-out de l’usine pour expulser les travailleurs et briser la grève. Les jeunes ouvriers de Billancourt viennent soutenir le mouvement. Des groupuscules gauchistes sont également présents aux côtés des ouvriers de Flins. Des affrontements éclatent avec les CRS. Le 10 juin, Gilles Tautin, poursuivit par les forces de l’ordre, meurt noyé.

    Le pouvoir convoque les syndicats pour négocier les accords de Grenelle et arrêter le mouvement. Malgré quelques augmentations de salaires, les accords n’évoquent pas la diminution du temps de travail. Cependant, ces négociations permettent aux syndicats de bénéficier de sections d’entreprise et de délégués du personnel. Georges Séguy, patron de la CGT, décide d’annoncer triomphalement sa supposée victoire devant les ouvriers de Billancourt. Il doit essuyer un vent de sifflés. Il annonce alors que la grève doit se poursuivre si les ouvriers le décident.

    La CGT prétend toujours aujourd’hui que ce sont les accords de Grenelle, et non Georges Séguy, qui a été hué. La CGT organise la reprise du travail et prétend que la lutte va continuer sous d’autres formes. Après la grève de 1968, la politique de la direction évolue. Des immigrés sont recrutés en Algérie et au Maroc pour travailler sur les chaînes de montage au poste d’OS. Les contremaîtres autoritaires de chez Citroën débarquent à Billancourt. Cet encadrement répressif gouverne à coups d’avertissements, de sanctions et même de licenciements.

                

    Grèves à Renault

    Entre 1971 et 1975 éclatent les grèves pour la dignité menées par les OS. Ils se révoltent contre les bas salaires mais aussi contre les conditions de travail avec la taylorisation. Les grêves d’OS sont minoritaires. Mais elles bloquent l’ensemble des usines et provoquent des arrêts en chaîne. « C’étaient des petites grèves, mais qui faisaient beaucoup de bruits parce que des usines entières s’arrêtaient », décrit Paul Palacio. En 1971 éclate une grève spontanée. Un débrayage de deux jours est déclenché pour contester une erreur sur la paye.

    Mais ce mouvement reflète un mécontentement sur le salaire en général. Une grève plus importante éclate. La CGT suit le mouvement pour mieux tenter de le contrôler. L’usine est occupée pour faire face à la menace de lock-out de la part de la direction. L’hégémonie de la CGT est remise en cause. La CFDT et des groupuscules gauchistes participent à l’occupation. La Gauche Prolétarienne (GP) est particulièrement active à Billancourt. Cependant, l’agitation gauchiste débouche surtout vers des licenciements plutôt que vers une véritable implantation dans l’usine pour impulser des luttes.

    La direction de Renault ne cesse d’augmenter les cadences pour améliorer la productivité de l’usine. En face, la CGT reste attachée à sa respectabilité. Elle est liée au Parti communiste qui soutient le programme commun et la candidature de Mitterrand. La CGT doit donc se montrer rassurante pour la bourgeoisie. « Il fallait que la CGT et le PCF montrent leur force et leur influence mais qu’en même temps ils se montrent responsables devant la bourgeoisie, en contrôlant les mouvements et donc en faisant reprendre le travail quand il l’estimaient  nécéssaire », se rappelle Paul Palacio.

    La CGT continue de lancer des grèves, mais avec des revendications catégorielles et sectorielles, plutôt que pour une augmentation de salaires. Surtout, la CGT appelle rapidement à la reprise du travail après avoir négocié quelques petites améliorations.

    Usine en lutte

    Paul Palacio propose le point de vue d’un militant révolutionnaire sur la « forteresse ouvrière » de Renault-Billancourt. Cette usine mythique demeure avant tout un bastion du Parti communiste et de la CGT. Paul Palacio, et son courant lié à l’organisation trotskiste Lutte ouvrière, ne parvient pas à impulser des luttes autonomes. Dès que des colères émergent et que des grèves sauvages éclatent, la puissante CGT parvient à reprendre le contrôle de la lutte pour mieux l’étouffer à travers des négociations syndicales. Le témoignage de Paul Palacio révèle un monde disparu, mais aussi des pistes pour penser le renouveau de la lutte des classes.

    La classe ouvrière décrite par Paul Palacio semble avoir disparu, pour le meilleur et pour le pire. Le monde de la grande usine, avec des travailleurs politisés et organisés, s’est effondré. La désindustrialisation a affaibli le poids et l’importance de la classe ouvrière dans le salariat. Même si ce groupe social demeure majoritaire, avec celui des employés. De plus, la sous-traitance et les petites unités de production favorisent l’atomisation et la précarisation. La grande usine dans un contexte de plein emploi permettait au contraire les rencontres et donne la conscience d’une force collective. La solidarité de classe doit désormais se reconstruire au-delà des entreprises dans un monde du travail éclaté et atomisé.

    En revanche, la hiérarchie, l’encadrement et le monde du travail décrit par Paul Palacio restent d’actualité. Le patronat demeure toujours aussi brutal et les rapports d’exploitation semblent plus violents. Certes, l’encadrement avec des anciens militaires passés par les guerres coloniales est remplacé par un management qui semble plus souple. Cependant, si les ordres sont moins brutaux, les contraintes se renforcent. Le culte de la performance et de la productivité accentue les cadences, le chronométrage et les statistiques. L’évaluation individuelle favorise la culpabilisation ou la compétition plutôt que la lutte collective.

    Néanmoins, la diminution de l’emprise du stalinisme et de la CGT sur le monde du travail semble positive. Si ce syndicat permet d’impulser des luttes, il permet surtout de les contrôler au service d’intérêts politiques voire géopolitiques avec l’alignement sur les directives de l’URSS. Surtout, Paul Palacio montre bien que la résignation de la classe ouvrière et de sa supposée avant-garde militante n’est pas nouvelle. Paul Palacio montre également la politisation rapide des prolétaires durant les moments de lutte. Les grèves renforcent la conscience de classe et permettent de développer des pratiques de lutte. C’est bien la propagation des conflits sociaux dans les entreprises qui permettent d’attaquer l’exploitation capitaliste.

    Source : Paul Palacio, Souvenirs d’un militant révolutionnaire à Renault-Billancourt, Les Bons Caractères, 2022

    Articles liés :

    Pierre Bois et les grèves à Renault

    Une histoire des communistes français

    Une analyse opéraïste de Mai 68

    La CFDT et les luttes de l'immigration

    Pour aller plus loin :

    Vidéo : La situation aux usines Renault de Billancourt en mai 1968, diffusée le 17 mai 1968

    Vidéo : Jean-Paul Sartre à Billancourt en 1970, diffusée le 21 octobre 1970

    Jean-Pierre Guéguen, Mai 68 raconté par ceux qui l’ont vécu... (1), publié sur le site de SUD RENAULT Guyancourt, le 12 juin 2018

    Jean-Pierre Guéguen, Mai 68 raconté par ceux qui l’ont vécu... (2), publié sur le site de SUD RENAULT Guyancourt, le 13 juin 2018

    Hervé Nathan, Billancourt 68, douloureux retour sur images. Il y a 30 ans, des ouvriers CGT entamaient une grève chez Renault. Retrouvailles samedi, publié sur le site du journal Libération le 18 mai 1998

    Jean-Marc B, 16 mai 68: Billancourt et tout Renault basculent, publié sur Le Club de Mediapart le 15 mai 2018

    Laure Pitti, Renault, la « forteresse ouvrière » à l'épreuve de la guerre d'Algérie, publié dans Vingtième Siècle. Revue d'histoire n° 83 en 2004