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Contre les procédures-bâillon envers les délégués syndicaux : solidarité avec Siham Touazi

Lien publiée le 8 mai 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.marxiste.org/actualite-francaise/luttes-mouvement-syndical/3436-contre-les-procedures-baillon-envers-les-delegues-syndicaux-solidarite-avec-siham-touazi

Siham Touazi, infirmière depuis 22 ans et ex-déléguée CGT à l’EHPAD du Château de Neuville-sur-Oise, sera convoquée ce mardi 7 mai à midi au Tribunal de Justice de Pontoise.

Après avoir été à la tête d’une grève de 4 mois et demi en 2022, elle était partie de l’établissement le 14 mai 2022, signant une rupture conventionnelle contrainte et à minima. Accusée de diffamation par le groupe Epinomis, l’ex-direction de l’EHPAD privé, elle dénonce le caractère politique de ces mises en examen, qui visent à faire taire tous les salariés qui lèvent la tête contre la dégradation de leurs conditions de travail.


Bonjour Siham, peux-tu nous raconter les conditions de travail que vous aviez en tant que salariés à l’EHPAD du Château de Neuville avant la grève de 2022 ?

L’EHPAD du Château de Neuville où je travaillais est un EHPAD privé à but très lucratif géré par le groupe Epinomis, qui cible comme résidents les gens à haut revenu, en capacité de débourser entre 3 000 et 7 000 euros par mois. Le cadre est très luxueux, mais quand on y travaille on ne voit pas du tout ce luxe. On subissait un management toxique extrêmement brutal, on vivait une maltraitance institutionnelle qui se répercutait sur nos résidents. Les compteurs d’heures supplémentaires non rémunérées explosaient, les collègues pouvaient avoir jusqu’à 180 heures supplémentaires non payées et on ne pouvait pas non plus prendre des vacances, parce qu’il n’y avait personne pour nous remplacer. Dans cet EHPAD certains collègues ont un salaire autour du SMIC alors qu’on travaille sur des amplitudes horaires importantes. Nos blouses étaient trouées, on n’avait pas de prime pour les chaussures, on les achetait avec nos propres moyens. Pour faire des économies sur les dos des résidents, par exemple, les fruits étaient rationnés, mais je n’avais pas le droit de leur dire, pour défendre l’image du lieu.

Et comment as-tu réagi à cette situation ?

Ce sont des choses que j’ai dénoncées et c’est pour cela qu’on m’accuse de diffamation. En tant que délégué du personnel, j’ai demandé une étude RPS, qui évalue les risques psychosociaux au sein de l’établissement. A partir de ce moment, j’ai subi des représailles. En plus, ils ont appris que j’étais à la CGT et j’ai commencé à avoir des problèmes : on me surveillait, on menaçait les collègues qui m’adressaient la parole, on les incitait à signer des attestations concernant mon comportement… Même les stagiaires ont subi des pressions de ce type. Ils ont essayé de me mettre à pied à deux reprises, mais dans les deux cas l’inspection du travail est intervenue et j’ai pu continuer à travailler. Je suis une soignante. Je suis là pour prendre soin. Je voulais revenir au travail parce que je voulais continuer à militer pour améliorer les conditions de travail au sein de l’établissement et cela faisait peur à la direction.

Qu’est-ce qui vous a amenées à vous mettre en grève et quelles étaient vos revendications ?

Au-delà du manque des moyens et du management toxique qui nous faisait toujours travailler sous la menace d’être mises à pied par la direction si on osait dénoncer quoi que ce soit, une nouvelle attaque de la direction concernant la restructuration du planning a été la goutte de trop. Trois jours avant Noël, toutes les infirmières ont reçu un courrier recommandé leur indiquant que leur planning changerait à partir du 3 janvier. Une décision venant d’en haut et qui visait un changement bien structurel : nous faire travailler plus pour gagner moins. On voulait nous faire commencer à 7h pour terminer à 17h, en élargissant le temps des pauses repas (non rémunérées !) pour qu’on reste dans l’établissement. On nous faisait moins travailler le dimanche alors que le dimanche c’est un jour où on est mieux rémunérés, ce qui nous permet d’avoir un semblant de salaire décent.

Après avoir vu cette imposition de la direction, on a alerté l’ARS, l’inspection du travail, la médecine du travail. On a alerté tout le monde avant de se mettre en grève, mais à un moment donné on n’avait pas d’autre choix : avec dix autres collègues, on s’est mis en grève le 3 janvier à 7h du matin. On pensait que la grève allait durer trois jours, j’avais dit aux filles : « ne vous inquiétez pas au bout de trois jours sera plié. » J’avais tout organisé de manière à ce qu’en trois jours on ait le maximum de couverture médiatique, pour qu’on puisse rentrer dans une négociation très rapidement, mais je me trompais. Nous demandions tout simplement de respecter nos droits, de prendre des vacances et de pouvoir travailler dans des conditions dignes. Nous refusions d’accepter le nouveau planning. Je savais que pour les augmentations salariales de 300€ ça aurait été très difficile, mais je voyais des possibilités de dialogue pour les autres revendications.

Peux-tu revenir sur le comportement de la direction pendant le bras de fer ?

La direction ne voulait pas nous recevoir et quand on l’a rencontrée on a entendu des choses du type : « vous devriez vous estimer heureux d’avoir un travail » ou encore « si cela ne vous va pas, vous n’avez qu’à partir ». Ils voulaient montrer à tout le monde qu’eux étaient les plus forts. Toutes les autres directions des cliniques autour du Château de Neuville regardaient de très près la situation, inquiètes. Elles se demandaient : « Quand est-ce qu’ils vont lâcher ? Ils donnent le mauvais exemple à nos salariés ». C’était aussi la période des revalorisations salariales du Ségur de la Santé et dans les autres établissements les directions ont trouvé tout de suite des négociations pour ne pas se retrouver comme dans notre cas, avec un conflit qui ne voulait pas s’arrêter. Il n’y a pas eu un jour sans que la direction n’ait essayé de délégitimer les grévistes, de nous salir, en mettant contre nous tous les autres employés et résidents. Ils ont fait des pressions sur les autres salariés, ils ont essayé de montrer que la grève était juste l’affaire de dix personnes. Ils ont essayé de briser toute chaîne de solidarité entre nous.

Comment tout cela s’est terminé ?

La lutte était à un point mort. Nous continuions notre piquet de grève grâce à la solidarité des camarades de la CGT, des caisses de grève qui remontaient depuis différents endroits de la France et grâce au soutien de certains résidents. Mais les collègues étaient épuisées et au final le Préfet, mandaté par Emmanuel Macron, a pris en charge la médiation de notre lutte avec la direction, qui a abouti à une rupture conventionnelle à minima. La direction a essayé de nous faire signer un document nous obligeant à ne jamais saisir des voies légales contre elle. Heureusement, nous avons refusé de signer ce document et nous avons réussi à obtenir une rupture conventionnelle sans cette obligation.

Notre grève a débuté quinze jours avant la sortie du livre Les fossoyeurs de Victor Castanet sur les conditions des EHPAD et des cliniques privées. Ce livre faisait sortir toutes les difficultés que nous rencontrions et que nous croyions juste en rapport avec cet EHPAD. En fait non, c’était un système. Même si cette grève n’a pas été une victoire, elle a permis de faire une vraie pression sur l’ancienne direction, car notre mobilisation a attiré beaucoup d’attention médiatique (y compris celle du Président de la République). Toute cette attention a fait très mal à la bonne image de l’établissement et le groupe Epinomis l'a ensuite vendu à un autre groupe, Teneris. Les salariés qui sont restés ont obtenu de meilleures conditions de travail, que nous avons demandé pendant notre mobilisation. En ce sens, c’est une réussite. Par contre, de mon côté, je n’ai même pas eu le temps de souffler. Pendant que j’étais au chômage et que je cherchais un nouveau travail, j’ai reçu la notification de quatre mises en examen. 

Comment analyses-tu cette plainte contre toi ? Notamment dans le contexte général en France de représailles contre les travailleurs qui se mobilisent.

Le but est de nous faire taire et surtout de faire peur aux camarades. Il y a beaucoup de gens maintenant qui ont peur de se syndiquer. C’est parce que j’étais à la CGT, que j’étais syndiquée et que j’ai mené une lutte qu’ils veulent me détruire. Je continue à être une militante, mais professionnellement ça m’a détruit. J’ai presque 50 ans et je n’ai pas retrouvé de travail. Tout ça, je le dois à mon ancien employeur.

Quelle stratégie faudrait-il adopter selon toi face à la répression des syndicalistes ?

Là, les patrons peuvent faire ce qu’ils veulent au niveau du droit du travail. Les Comités Sociaux et Économiques, la loi Macron, la loi El Khomri, toutes ces modifications du Code du travail ont fait que le rapport de force s’est totalement déséquilibré à l’intérieur des entreprises et des établissements publics. Ils n’en ont rien à foutre. Là on m’attaque avec l’un des plus grands cabinets d’avocats parisiens, mais ça ne coûte rien à mon employeur vu que ces frais d’avocat sont défiscalisés sur leurs profits. C’est transparent : le rapport de force est inégal. Pour qu’on puisse être plus fort, il faudrait qu’on soit plus nombreux à s’organiser.

Dans notre programme nous luttons pour un système de santé 100 % public, ce qui passe par l’expropriation des groupes privés : le secteur pharmaceutique, les laboratoires d’analyse, les cliniques privées, les mutuelles privées... et leur nationalisation sous le contrôle des soignants, des chercheurs, des salariés eux-mêmes. Qu’en penses-tu de ces revendications ?

Le soin doit être nationalisé dans son ensemble. On ne peut pas monétiser le soin, du grand âge à la petite enfance. Les dégâts du privé dans ce secteur on les a vus à la fois dans les EHPAD et à la fois dans les crèches privées. Même le grand public en a conscience.

A Révolution on dit justement qu’il faut élargir les luttes à tous les secteurs, qui sont tous touchés d’une façon ou d’une autre par les dégâts du capitalisme, est-ce que tu es d’accord avec cette perspective ?

Oui. Notre lutte était uniquement défensive. Mais quand on défend, on n’a pas le temps de réfléchir à des actions à mener contre cette politique libérale qui nous détruit, parce qu’on passe notre temps à défendre des militants. Les 6 derniers mois, j’ai passé mon temps à faire des mobilisations devant des commissariats parce que telle secrétaire était convoquée ou tel militant était convoqué… Mais ce n’est pas ça notre travail. Le travail de syndicaliste, c’est engager des mobilisations à l’intérieur des entreprises et essayer de faire en sorte que ça se passe mieux pour les salariés et les ouvriers. Lors du procès du 7 mai, il va y avoir un rassemblement en solidarité, mais quand on est là, on est pas ailleurs ! On nous use. Même chose si on veut défendre des revendications comme la fin du génocide en Palestine : on risque d’être convoqué pour apologie au terrorisme…

Pourtant la direction de la CGT ne se lance pas dans une lutte plus globale contre le gouvernement, contre la répression, contre le génocide en Palestine…

Les syndicalistes – je ne parle pas des militants de base, mais des directions des organes de la CGT – craignent l’assimilation du mouvement pro-palestinien avec l’antisémitisme. Cette crainte les empêche de mener des actions d’envergure donc on reste sur des actions à minima. Et c’est vrai que quand j’ai vu émerger la mobilisation des étudiants à Sciences Po, j’ai dit « bordel, ça fait plaisir ». Ça fait plaisir parce que là c’est une jeunesse qui est consciente et elle nous montre que ce n’est pas possible de continuer comme ça.