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L’unité est un combat. Éditorial de la revue Contretemps-web

Lien publiée le 12 juin 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.contretemps.eu/unite-combat-antifascisme-alternative/

Lors de la soirée électorale, la surprise n’est pas venue des résultats, du moins en France. L’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale a éclipsé en partie les dynamiques sorties des urnes de ces élections européennes. Dans une situation difficile pour la gauche de transformation sociale, cette annonce peut ajouter à la démoralisation, mais aussi à la colère, et sonner une alarme salutaire. Le temps n’est pas à se lamenter mais à nous organiser. Proposons quelques pistes d’analyse pour mieux reprendre l’initiative.

Prévisible, mais gigantesque, la première donnée du scrutin est bien évidemment l’abstention : la participation s’élève à peine à plus de 51% des inscrit‧es (en France comme dans l’UE en moyenne). Se gargariser d’un taux très légèrement supérieur à celui de 2019 conduirait à omettre une coordonnée centrale de la situation : la moitié de la population en droit de voter – en particulier parmi les jeunes et les classes populaires – a choisi de ne pas le faire. C’est là une dimension durable de la crise politique et un défi central pour les forces de gauche.

Autre donnée largement annoncée à l’avance, le score du Rassemblement National constitue tout de même un événement majeur. Le RN recueille plus de 31% des suffrages exprimés, soit 7,76 millions de voix (contre 23% et 5,2 millions en 2019). L’extrême-droite rassemble au total plus de 9 millions de voix, avec notamment l’apport de la liste de Marion Maréchal-Le Pen et Eric Zemmour (5,5%, 1,3 million). C’est considérable et, malgré une participation faible, non loin du nombre de suffrages obtenus lors du premier tour de la présidentielle de 2022.

De son côté le camp présidentiel enregistre un net recul : 14,6% et 3,6 millions de voix (22% et 5 millions en 2019). Les Républicains (LR) connaissent un tassement juste en-dessous de 1,8 million de voix (7,2%). Si on compare avec les élections de 2022 l’écart est bien évidemment encore plus grand. Pour autant, la Macronie figure bien en 2e position comme en 2019.

La gauche est dans une dynamique à peu près inverse de la droite au pouvoir, avec une relative progression générale (par rapport aux européennes de 2019 et même aux législatives de 2022, mais pas la présidentielle) et des dynamiques assez différentes selon les listes. Ce qui ressort au premier regard est le résultat de la liste du Parti Socialiste conduite par Raphaël Glucksmann, talonnant la liste macroniste avec 13,8% et 3,4 millions de voix. Cependant dans le même temps la liste arrivée 3e en 2019 (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) s’effondre, et si l’on compte ensemble le score de ces deux composantes qui constituaient l’aile droite de la NUPES, sa hausse par rapport à 2019 est modérée (+300000 voix), et trois fois moindre que celle de la France Insoumise (LFI).

En effet la liste de Manon Aubry totalise cette fois près de 2,5 millions de voix et approche des 10% (soit 1 million de voix de plus qu’en 2019). La campagne Glucksman, grâce à sa surexposition médiatique en rapport inverse de la diabolisation de LFI par les forces dominantes, politiquement et médiatiquement, grâce également au vote utile pour la liste de gauche la mieux placée, a maintenu, voire fait revenir (pour cette fois au moins) une partie de l’électorat de gauche dans le giron du social-libéralisme auquel on doit d’avoir propulsé au pouvoir… Emmanuel Macron. Dans un tel contexte, le score de LFI, même s’il révèle des difficultés, confirme malgré tout des points forts.

Dans une situation électorale peu favorable pour son camp, qu’espère Emmanuel Macron avec son coup de poker de dimanche soir ? Le plan A : en espérant une division à gauche, mettre à nouveau l’électorat au pied du mur, c’est à dire face à la (fausse) alternative macronisme / lepénisme, en espérant que ce chantage fonctionne une fois encore en sa faveur dans de nombreuses circonscriptions. Pour continuer à exister, la Macronie doit continuer à effriter ses concurrents sur ses deux flancs (LR et centre gauche) avec cette fois des promesses de désistements en faveur de candidat‧es PS ou LR en cas de triangulaires avec le RN.

Si le pari était gagné, ce serait un sérieux revers pour le RN qui apparaîtrait au moins temporairement comme désavoué dans ses ambitions d’accès au pouvoir gouvernemental. Sans pour autant remettre en cause le statut de première opposition acquis par le RN, sur lequel Macron compte bien continuer à jouer. Le pouvoir macronien n’a cessé de porter des coups toujours plus durs à la gauche et au mouvement social, pour mieux servir les riches et le capital. Son ultime manœuvre s’inscrit dans le prolongement d’une violente politique anti-LFI, et par extension anti-NUPES, brutale à l’égard des mouvements sociaux et liberticide, une politique qui a atteint son paroxysme au cours de la période qui  a succédé au 7 octobre et pendant la campagne de ces élections européennes.

Au vu des rapports de forces électoraux, Macron et ses conseillers ont nécessairement envisagé sérieusement le plan B que constituerait la victoire triomphante du RN, c’est-à-dire l’obtention d’une majorité absolue (Le Monde rapporte que les projections des sondeurs sur lesquelles s’est fondée la décision de dissoudre en font une réelle possibilité). Dans cette hypothèse, Macron espère sans doute que quelques années de cohabitation avec un gouvernement d’extrême-droite donneraient à son camp l’occasion de se rétablir, notamment en vue de la présidentielle de 2027.

C’est l’une des premières sources de démoralisation ou/et de colère et de révolte face à son geste : Macron vient de franchir un nouveau seuil dans son jeu avec le feu du néofascisme. S’il parvenait au gouvernement, le bloc lepéniste disposerait de nombreux leviers pour mener une politique violente et ravageuse. Tout en demeurant au service des riches, cette politique donnerait toute licence aux secteurs les plus brutaux de la police (BAC et BRAV-M notamment), mettrait plus que jamais l’Etat au service d’un déchaînement islamophobe, raciste, patriarcal, et d’une politique de destruction de toutes les formes de solidarité et de l’environnement, en brisant les contre-pouvoirs (dans la société civile ou au sein de l’État).

Un danger d’autant plus grand que le RN pourrait bien alors constituer une option séduisante pour une durée plus longue (comme on l’observe avec l’extrême-droite dans d’autres pays), pour des classes dirigeantes en mal d’hégémonie. En prenant possession des moyens du pouvoir d’Etat, il pourrait mener une politique clientéliste et raciste à destination des classes populaires, réactivant et approfondissant les divisions pour renforcer la domination capitaliste. L’hypothèse d’un résultat électoral intermédiaire d’où pourrait surgir une majorité hybride entre la droite (LR) et l’extrême droite, terrible parachèvement de la longue normalisation du RN et de l’extrémisation de la droite traditionnelle, n’est pas plus rassurante.

Pour nous, il y a donc urgence.

Pour repartir à l’offensive et conjurer la catastrophe, il nous faut aussi connaître les points d’appui dont nous pouvons disposer dans la situation. Comme on l’a souligné, la campagne courageuse et radicale menée par LFI dans une grande adversité n’a pas subi la défaite cuisante espérée par ses adversaires (contrairement à deux campagnes ayant incarné la division de la NUPES : celles du PCF et d’EELV). C’est remarquable non seulement au vu de la politique maccarthyste anti-LFI, qui s’est accentuée dans cette campagne, mais aussi des résultats plus faibles obtenus par notre camp politique dans d’autres pays d’Europe (à l’exception de la Finlande, de la Belgique et de la Suède).

Au regard de l’abstention beaucoup plus forte aux européennes qu’aux présidentielles, personne ne peut croire aujourd’hui que le score de la liste Glucksmann change foncièrement la donne dans les rapports de forces au sein de la gauche, ce qui pousse manifestement le PS à négocier un accord pour les législatives. La dynamique électorale de la gauche de lutte a été limitée notamment par la défaite sociale de 2023 sur les retraites, qui continue de peser sur la situation, au profit du parti du désespoir, c’est-à-dire, comme toujours, de l’extrême-droite. Mais si les résultats indiquent que notre camp n’a pas perdu toutes ses forces, c’est aussi justement parce que nous sommes battu‧es l’année dernière et que nous pouvons nous mobiliser à nouveau.

Aujourd’hui cette mobilisation est d’abord celle du combat pour l’unité d’une gauche de transformation sociale, pour éviter les désastres électoraux annoncés. Mais quelle unité, comment, et pour quoi faire ?

Le temps manquerait pour arriver à un accord sur un programme très détaillé… Peut-être est-ce tant mieux, car une liste limitée mais offensive de propositions suffirait à donner à cette unité un contenu fort et mobilisateur dans la rue et dans les urnes. L’histoire en donne bien des exemples, du « pain, paix, terre » au cours de la Révolution russe au « pain, paix, liberté » du Front populaire en France en 1936.

Cette unité ne doit pas se ramener à une coalition de partis. Nous avons tou‧te·s un rôle à jouer dans la bataille à mener pour le meilleur accord possible à gauche, dans cette campagne législative qui s’ouvre et au-delà. Cette bataille n’est pas seulement électorale, elle ne saurait se conclure par la simple reconstitution d’un cartel d’organisations par en haut. Si cette campagne doit renforcer notre camp social et politique, elle devra reposer sur une dynamique militante. Dans le mouvement syndical et associatif, des initiatives sont déjà en train de se concrétiser, dans ce sens. Il faut les amplifier et les multiplier pour aller vers un grand front social et politique sur un programme de rupture : rupture avec les politiques néolibérales mais aussi avec les politiques racistes et productivistes.

L’unité est un combat. La division laisserait derrière elle un champ de ruines (bien au-delà du plan électoral) autour d’un nouveau face-à-face entre partisan‧es de Macron et de Le Pen. L’unité n’aurait pas de sens sans reposer sur un projet politique porteur de changement radical. Des mesures fortes qui reflètent les aspirations des classes populaires, des exploité‧es et des opprimé‧es, et qui les appelle à la mobilisation sans laquelle rien ne sera possible. Dans la situation actuelle, c’est difficile, mais sous la pression collective, ce scénario est possible. Combattons pour résoudre cette équation et reconstruire une gauche de masse sur des bases radicales.

À ce stade, la situation reste ouverte et particulièrement incertaine. Elle est très périlleuse : que Macron remporte son pari ou, pire, que le RN accède au gouvernement, nous allons au-devant de désastres. Les accords annoncés hier entre les partis de gauche mais aussi entre les syndicats donnent l’espoir que chacun prenne ses responsabilités, mais on voit également la droite du PS regroupée derrière Glucksmann tenter de saborder l’union, appuyé par une bonne partie des éditocrates. L’urgence est donc de garantir que la volonté affirmée de candidatures uniques se concrétise, autour d’une base politique de rupture avec le macronisme. Une autre voie est encore possible, et nous devons mener ce combat.