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    Houria Bouteldja: Garder la tête froide, rester stratège, définir des objectifs à courts, moyens et longs termes, gagner en rapport de force, viser 2027

    Lien publiée le 16 juin 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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    Garder la tête froide, rester stratège, définir des objectifs à courts, moyens et longs termes, gagner en rapport de force, viser 2027

    Hollande vient d’être investi par le Nouveau Front Populaire, le mot « terroriste » a été cédé pour qualifier l’acte du 7 octobre. Et c’est la panique.

    Il va pourtant falloir que, tous, nous apprenions à maitriser nos émotions et à devenir des serpents froids.

    Le Nouveau Front Populaire est une alliance de circonstances. Elle ne tiendra pas tant les contradictions sont profondes entre une aile droite atlantiste, libérale, européiste et islamophobe et une aile gauche pro-palestinienne, plutôt anti-guerre, antiraciste et écologique. Ceux qui s’étonnent des coups fourrés du PS se condamnent à tomber de leur lit pour l’éternité car il ne faut RIEN attendre du PS. Le retour en grâce de Hollande est tout sauf anodin, il est même très inquiétant. Il faut néanmoins être pragmatiques. Il est normal que le PS qui était moribond en 2022 exploite la situation à son maximum, ce qui fait de Faure un grand stratège, beaucoup moins benêt qu’on ne le croit car il est, depuis la NUPES, le maître d’œuvre de la résurrection du parti du non regretté Mitterrand. 

    Malgré ce rapport de force que le PS (grâce d’abord à la NUPES, puis à Glucksman, assisté des Verts et du PC) a réussi à développer, la FI (grâce à sa pugnacité et à un programme antilibéral et antiraciste, endossant les revendications populaires) a réussi dans le cadre de l’alliance à sauver l’honneur sur les principaux points qui constituent sa tentative de rupture.

    1/ Les termes du programme :

    Il ne s’agit pas là d’un programme de rupture, loin de là, mais il en prend la direction. La FI a donc réussi à gauchiser l’alliance sur le plan :

    • des libertés politiques et démocratiques (abrogation du 49/3) ; de la constitution d’une 6ème république ;
    • des urgences sociales (blocage des prix, hausse du SMIC, plan de sauvetage de l’hôpital public) ;
    • de l’enseignement : abolition de parcours sup ;
    • de l’ordre et de la sécurité : dissolution de la Brav-M, interdiction du LBD ;
    • des droits des femmes ;
    • des droits des migrants et des sans-papiers ;
    • de l’écologie ;
    • de l’Europe : refus des contraintes austéritaires du pacte budgétaire, pacte européen pour le climat et l’urgence sociale, réforme de la PAC, fin des traités de libre-échange, protectionnisme écologique & social, taxation des superprofits au niveau européen.

    En matière d’antiracisme, elle maintient ses acquis puisque la lutte contre l’islamophobie y est défendue au même titre que la lutte contre l’antisémitisme.

    Sur le plan international, le programme exige l’abandon de la réforme de Macron pour la Kanaky « dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa à la recherche d’un véritable processus d’émancipation et de décolonisation ».

    Enfin, sur la Palestine, l’essentiel, malgré les apparences, est préservé. Certes, les opérations du 7 octobre sont qualifiées de « massacres terroristes », mais pas le Hamas, ce qui est un point d’appui très important pour l’avenir car cela empêche de céder à la théorie de la guerre des civilisations chère à Huntington…

    Aussi, le reste de l’accord, sans être satisfaisant d’un point de vue décolonial, est correct compte-tenu des profondes dissensions : « Agir pour la libération des prisonniers palestiniens et les otages du Hamas ; soutenir la CPI dans les poursuites contre Netanyahou et les dirigeants du Hamas ; reconnaissance immédiate de l’État de Palestine ; embargo sur les livraisons d’armes à Israël ; demander la suspension de l’accord d’association UE-Israël ».

    Pour moi, la concession majeure n’est pas tant sur la qualification des actes du Hamas pour les raisons dites plus haut, mais sur l’envoi d’armes à l’Ukraine ; ce qui est une position belliciste (celle de Glucskman), qui de surcroît donne à Poutine toutes les raisons de poursuivre sa guerre au lieu de lui trouver une issue négociée et diplomatique.

    2/ Sur les méthodes

    La FI a exclu des députés sortants. Je me refuse à parler de purge. Je préfère la formule de « stratégie post législatives ». Car il s’agit de députés de l’aile droite et ultra-laïcarde de la FI, celle qui est prête à prendre langue avec les ennemis (dont Hollande ?) et faire dissidence contre le courant mélenchoniste qui, lui, ne conçoit la rupture qu’en réalisant l’alliance des beaufs et des barbares, c’est à dire sans sacrifier l’antiracisme, la lutte contre l’islamophobie et la Palestine ; alors que les « dissidents » sont prêts à la brader dès lors qu’ils seront élus. Il faut être naïf pour croire que les autres forces politiques de l’alliance ne pensent pas en ces termes. Il faut donc comprendre les raisons de ce choix pour le moyen et long terme; mais d’ici trois semaines, les médias vont s’en donner à cœur joie et utiliser cette dissidence pour fragiliser l’union. Ainsi, dans cette perspective, virer Garrido et Corbière, proche de Cyril Hanouna, lui-même proche de Bolloré qui mise sur l’extrême droite me semble tout à fait justifié. En revanche, la FI a peut-être fait des erreurs d’appréciation. Ils auraient dû virer Quatennens plus tôt, et garder Simonet (malgré son laïcardisme) qui est l’exclusion de trop, d’autant qu’elle est très ancrée dans le 20ème et qu’elle est appréciée des habitants. Il serait dommageable de ne pas revenir sur cette décision.

    3/ Juger en fonction des objectifs et les classer par ordre de priorité

    • Le premier et le plus crucial des objectifs est d’empêcher une victoire de l’extrême-droite et/ou de réduire au maximum son influence qui sera déjà trop importante à l’Assemblée nationale. L’avènement du fascisme est un danger imminent et son refoulement une tâche prioritaire. Le minorer est une faillite morale en soi.  Aussi, cet objectif, même s’il nous a toujours été servi pour « voter utile », doit rester ferme. Il doit d’autant plus le rester que, comme je l’ai dit plus haut, l’alternative aussi imparfaite soit-elle est en cours de construction.
    • Le deuxième objectif : déjouer le plan de Macron qui rêvait d’une énième confrontation entre l’aile libérale/autoritaire et l’extrême droite. L’alliance des « gauches » (oui, avec Hollande l’impérialiste) rend caduque le plan cynique de Macron. Il ne fait aucun doute que Macron et Hollande font partie du même camp, tout comme il ne fait aucun doute qu’ils peuvent avoir des intérêts conjoncturels différents. Il faut entrer dans cette brèche et voir ce qu’on en fait après les élections. L’échec du plan de Macron, qui misait sur une division de la gauche, même s’il se réalise avec nos ennemis, est une victoire. Ils auront toute la vie pour divorcer sachant que l’union a très peu de chances de survivre, et que, sûrement, faut-il espérer la séparation la plus rapide.
    • Mais il y a un troisième objectif : permettre à la FI de se maintenir au sein du parlementarisme français où, nous l’avons vu, elle a fait le taf. Certes, des concessions ont été faites sur le programme. Nous avons toutefois expérimenté la FI à l’Assemblée pendant plusieurs mois, et elle a passé de nombreux tests haut la main. Elle est arrivée là où elle est grâce à la NUPES (donc déjà grâce à une alliance avec le PS), en gardant sa ligne sans jamais se déshonorer quand elle siégeait. Nul ne sait par avance si cette attitude sera respectée de nouveau ; mais la trahison n’ayant pas encore eu lieu, nous devons risquer la confiance et la réitérer aussi longtemps que le pacte est respecté. La FI sait mieux que quiconque aujourd’hui ce que lui couterait en particulier une trahison des quartiers. L’investiture du symbole fort qu’est Amal Bentounsi est un gage qu’il faut savoir apprécier à sa juste valeur.

    4/ On aura la FI qu’on mérite

    Je le répète : la FI est à l’image du mouvement social qui est certes bouillonnant en France (ce que nos voisins européens nous envient) mais qui reste dispersé et surtout n’est pas engagé dans une rupture radicale avec le pouvoir, notamment sur la question du Frexit et de la guerre. Il continue de constituer une société civile et politique organiquement liée à l’État racial bourgeois et ne fait que défendre ses acquis sociaux. Seule une minorité est claire sur la rupture. Par exemple, le point le plus décisif de la période est l’absence de mouvement anti-guerre (hormis sur la Palestine, mais de manière conjoncturelle puisqu’un génocide a lieu et que la mobilisation a davantage un ressort émotif que clairement politique). De nombreux chefs d’États européens préparent leurs états-majors à une troisième guerre mondiale, dont les centres névralgiques sont l’Ukraine, la mer de Chine et la Palestine ; sans que l’opinion publique européenne ne s’en émeuve plus que ça. Or, la guerre, avec les fascismes, sont les dangers les plus imminents de la période. On ne pourra donc pas reprocher à la FI de céder sur ce plan-là si la mobilisation populaire n’est pas au rendez-vous. Les forces syndicales, associatives et politiques doivent dans un avenir proche assumer leur tâche de mobilisation pour la paix comme une tâche vitale et absolument prioritaire. Il en va de même pour toutes les autres questions.

    Nous devons marcher sur nos deux jambes :

    • une représentation parlementaire qui soit la plus nombreuse possible. Il faut donc que la FI obtienne le maximum de sièges. C’est ainsi qu’elle gagnera en indépendance vis-à-vis du PS ;
    • une mobilisation de rue, selon les modalités de chaque secteur en lutte, à commencer par l’antiracisme. Mais aussi l’écologie, le féminisme, la défense des travailleurs et des sans-papiers, et bien sûr l’anti-impérialisme. La rue doit se penser de manière stratégique. Chaque secteur doit venir renforcer l’autre. Il faut réaliser l’unité dans la séparation.

    5/ Avoir le souffle long et garder la tête froide

    Tout progrès dans la radicalisation à gauche et de l’antiracisme provoquera la panique de l’État profond et des marchés financiers. La création du Nouveau Front Populaire (alors que nous savons qu’il ne porte pas un véritable programme de rupture) a déjà produit ses effets sur la bourse. Le pôle bourgeois n’hésitera pas à faire le choix du fascisme, comme il n’hésitera pas à pilonner toutes les politiques sociales et économiques, même d’une gauche molle ; cela en utilisant simplement le levier des taux d’intérêts à la hausse. Nous avons donc devant nous soit l’option fasciste, soit l’option de la déstabilisation, si un rééquilibrage antilibéral et antiraciste devait avoir lieu. Nous sommes collectivement pris dans une spirale infernale, inquiétante et lourde de menaces. Ce qui ne signifie pas que tout est perdu. Pour traverser les tempêtes, il faudra garder la tête froide et marcher groupés. Et ce au moins jusqu’aux prochaines présidentielles.

    C’est pourquoi il faut soutenir, temporairement, le Nouveau Front Populaire.

    Houria Bouteldja