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Enquête sur les "penseurs" qui ont façonné le programme économique du Rassemblement national

Lien publiée le 18 juin 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Enquête sur les « penseurs » qui ont façonné le programme économique du Rassemblement national | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

Au RN, l’économie n’est pas confiée à des économistes, mais à des technocrates et des hommes d’affaires. En découle une orientation ultralibérale et pro-business, mal cachée par un vernis social qui s’effrite.

Qui sont les économistes du Rassemblement national ? La question paraît sans objet tant la doctrine économique du parti d’extrême droite fluctue en fonction des électorats à séduire. Elle s’avère un jour interventionniste, et le lendemain ultralibérale. Contre la réforme des retraites lors des campagnes électorales mais pour la baisse des « charges » face au Medef, la ligne, si l’on s’en tient aux affichages programmatiques et aux déclarations, est difficile à suivre. Il y a peut-être une bonne raison à ces incohérences : il n’y a pas d’économistes au RN.

Ceux qui pensent le programme économique du Rassemblement national sont plutôt des « technocrates » et des hommes d’affaires que des universitaires. Marine Le Pen aime se vanter dans la presse de ses relations avec des hauts fonctionnaires anonymes qui l’abreuvent de notes et qui gageraient du sérieux de ses propositions.

Au premier plan, les « Horaces », un groupe pseudo-secret d’hommes d’âge avancé, anciens polytechniciens ou énarques, dirigé par André Rougé, eurodéputé RN, qui la conseille depuis 2015. On y trouve des profils comme Philippe Baccou, retraité de la Cour des comptes, ou encore Hervé Fabre-Aubrespy, haut fonctionnaire, ancien du cabinet Pasqua.

Ces derniers, canal historique du FN, sont – sans surprise – bien plus obsédés par l’immigration que par les inégalités ou l’équilibre des comptes publics. Ils sont, pourrait-on dire, une émanation du « Club de l’Horloge », ce think tank d’extrême droite fondé dans les années 1970 par Jean-Yves Le Gallou et le néonazi Henry de Lesquen, qui se réclame du « national-libéralisme » (sic). Philippe Baccou en était un membre éminent et avait signé dans les années 1980 un livre dont le titre donne quelques indices sur le fond de sa pensée : Le grand tabou. L’économie et le mirage égalitaire. Vive les inégalités !

Vernis de respectabilité et de sérieux

On compte aussi, parmi les « Horaces » spécialisés en économie, le dénommé Alain Lefebvre, journaliste, coauteur du livret thématique sur l’économie dans le programme de 2022 et directeur de la publication de la revue d’extrême droite Eléments, qualifiée par Libé de « laboratoire d’idées au racialisme euphémisé ». Alain Lefebvre est un historique de la « Nouvelle Droite », un courant de pensée néofasciste fondé dans les années 1970 autour du GRECE, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne.

Au second plan, derrière ces caciques, toujours « techno » mais plus jeune, se cache un certain Renaud Labaye, « l’ombre de Marine à l’assemblée ». Ce discret catho-tradi de 39 ans, qui coanime en décembre 2021 le chiffrage – totalement fantaisiste comme nous le démontrions ici en 2022 – du programme présidentiel présenté par Marine Le Pen, coordonne depuis 2022 le groupe de 89 députés à l’Assemblée. Saint-Cyrien, passé par Bercy, « Labaye [est] ce que le RN a de mieux en rayon, souffle alors au Parisien un responsable du parti. Il a contribué à enfermer Marine dans une montagne de données et de chiffres », lit-on encore.

Et à lui donner un vernis de respectabilité, en virant du programme de 2017 les propositions trop farfelues : plus question, par exemple, de sortir de l’euro ou de taxer les importations. Renaud Labaye aime l’entreprise et souhaite alléger les impôts de production, supprimer la cotisation foncière des entreprises, exonérer les employeurs de cotisations patronales jusqu’à 3 fois le Smic. Une pluie de cadeaux pour le patronat et la disparition programmée de la Sécurité Sociale.

Pour financer toutes ces mesures, ou encore la baisse de la TVA sur l’énergie – qui profiterait là encore en priorité aux entreprises et aux plus aisés, qui payent le plus cet impôt direct – Renaud Labaye n’oublie pas les basiques de l’extrême droite : suppression des allocations familiales aux étrangers, durcissement des conditions d’accès au RSA ou aux APL. Peu importe si ces mesures sont inconstitutionnelles ou si les gains escomptés seraient très loin de compenser les pertes de recettes occasionnées par les largesses octroyées aux entreprises et aux ménages.

Dans Libération, l’historien spécialiste des années 1930 Johan Chapoutot résume : « Après une petite embardée souverainiste et sociale, avec Philippot, Marine Le Pen est revenue aux fondamentaux de l’extrême droite – pro-business, antisociale et anti-écologiste. »

Ainsi, dès sa première interview post-Européennes, dans la matinale de RTL, Jordan Bardella enterrait-il déjà la mesure sociale phare de sa campagne, l’abrogation de la dernière réforme des retraites et le départ à 60 ans pour les carrières longues : « Nous verrons », lance-t-il à Yves Calvi, « il faudra faire des choix, économiquement, je suis responsable ». Pour entretenir une semaine plus tard la confusion et annoncer une suppression de la réforme « à partir de l’automne ».

Se manageant sans cesse des portes de sortie, Renaud Labaye, en seconde lame, prépare les esprits à une série de renoncements sur les quelques promesses sociales contenues dans le programme en cas d’entrée à Matignon : « Peut-être qu’en arrivant au pouvoir, on va se rendre compte que la situation financière est encore plus catastrophique, ce qui pourra réduire nos marges de manœuvre », prévient-il dans Le Monde.

Orientation néolibérale

En vérité, les promesses sociales du Rassemblement national n’engagent que ceux qui les croient. Puisque les économistes sont absents, le chiffrage aléatoire et les propositions fluctuantes, mieux vaut s’en tenir aux votes à l’Assemblée nationale depuis deux ans des députés RN pour se faire une idée claire du projet économique qu’ils et elles soutiennent ou soutiendraient une fois au pouvoir. Sans surprise, les 89 députés RN coordonnés par la tête pensante Labaye s’opposent systématiquement aux mesures sociales proposées par la gauche, et votent bien souvent en chœur avec la macronie.

Selon un décompte de Datapolitics, le RN a voté 42 % des projets de loi déposés par la majorité présidentielle, dont une bonne part de textes socio-économiques, comme la « loi pouvoir d’achat » ou la « loi immigration », tout en s’opposant au retour de l’ISF ou à l’augmentation du Smic à 1 500 euros nets proposés par la gauche.

Si la ligne qualifiée de « sociale-souverainiste » survit en façade, avec les deux députés Tanguy et Jacobelli, venus de chez Dupont-Aignan, et dont le premier est parfois présenté comme le « monsieur économie » adepte du « patriotisme économique », tout dans les votes et amendements du groupe indique une orientation classiquement néolibérale et favorable aux entreprises.

Une orientation manifeste qui se retrouve également dans la vision des services publics du parti d’extrême droite. Dans les cénacles qui conseillent Marine Le Pen sur l’économie, on trouve l’administration « obèse », on propose de baisser de 40 milliards d’euros les « prélèvements obligatoires », tout en prétendant en vitrine restaurer la qualité des services publics comme l’hôpital, l’éducation, la justice. Une contradiction évidente relevée par Lucie Castets, porte-parole du collectif Nos Service Publics, dans une chronique pour Alternatives Economiques : « En matière de fiscalité, le RN porte des propositions qui conduiraient à totalement assécher les services publics ».

En les privant d’agents et d’argents, et en excluant de l’accès à ceux-ci une part importante de la population sur la base de la « préférence nationale ». Ce qui accentuerait, selon la porte-parole du collectif, une tendance déjà observée de recours croissant au privé pour combler les lacunes du public dé-financé.

Une vision que l’on retrouvait déjà exprimée sans ambiguïté dans le manifeste du parti en 2022 : « Dans le domaine économique, le rôle de l’Etat est avant tout de créer un environnement favorable au développement des entreprises », y disait Marine Le Pen. Une « véritable profession de foi néolibérale », relevait justement le journaliste de Mediapart Romaric Godin, qui consiste contrairement au libéralisme classique à mettre l’Etat au service du marché, non plus à limiter ses interventions.

Rassurer le patronat français

Si la doctrine économique du RN peut se permettre d’être si fluctuante et contradictoire, de la Marine Le Pen de 2017 qui voulait faire « obstacle à la finance » à Jordan Bardella qui se déclare ouvertement « pro-business », c’est évidemment car l’économie n’est pas le moteur de l’extrême droite. Selon un sondage de l’IFOP, les trois premiers items motivant le vote RN sont, dans l’ordre : la lutte contre l’immigration clandestine, la lutte contre la délinquance, la lutte contre le terrorisme.

L’économie n’arrive qu’en 4e position avec « le relèvement des salaires », que le parti avait donc refusé de voter en 2023, joignant ses voix aux députés LR et Renaissance. Les têtes pensantes du RN en économie le savent bien. Ils savent aussi le besoin de se « notabiliser » et d’apparaître crédible aux yeux des milieux d’affaires.

Une mission toute faite pour Renaud Labaye, qui organise depuis des mois des rencontres entre Marine Le Pen et le patronat français : « Il faut les rassurer sur les caricatures qui sont faites de nous. L’argument que Marine Le Pen serait comparable à Mélenchon sur l’économie a un peu imprégné le monde économique », explique-t-il au Monde. La stratégie semble porter ses fruits, à en croire la percée du RN chez les cadres aux Européennes, devenu premier parti des CSP+.

Tant sur la généalogie intellectuelle de ses penseurs en économie que sur les votes concrets de son groupe à l’Assemblée nationale, il apparaît évident que derrière la vitrine du « patriotisme économique » se trouve en fait une autre variante du néolibéralisme autoritaire. Option xénophobie.