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Stop au sadisme électoral : la proportionnelle maintenant !
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Depuis un mois, les législatives ont semé un climat de stupéfaction dans le pays, par la volonté d’un seul homme qui a espéré conforter son pouvoir en minant le processus électoral. Il a perdu, dissout dans son propre hubris, mais cet épisode a montré une fois de plus que nos institutions étaient en bout de course. Sans attendre le grand soir démocratique, il est urgent de prendre quelques mesures simples pour revitaliser notre vie politique : mettre en place la proportionnelle, empêcher l’instabilité gouvernementale, réduire la durée des mandats, améliorer le mode de scrutin de la présidentielle, etc. On vous explique tout !
1- Le scrutin majoritaire, antidémocratique et inefficace
2- L'impérieux besoin d'un mode de scrutin proportionnel
3- Un mode de fonctionnement plus démocratique
4- Mais la proportionnelle ne suffit pas...
2024 restera dans les annales comme une année noire pour qui aime la Démocratie : une dissolution brutale, des délais volontairement trop courts pour bâtir des programmes et sélectionner des candidats, une impossibilité de s’inscrire sur les listes électorales, des millions de procurations, des violentes injonctions à voter pour des candidats que l’on déteste et dont on refuse le programme, etc.
Cela n’est plus admissible au XXIe siècle. Et pourtant, encore une fois, le problème central des institutions a été escamoté, au bénéfice de diversions contingentes telles que les commentaires de paroles de rap, de pancartes débiles en manifestations, et autres dissidences dans les tambouilles des partis.
Cependant, il convient de rappeler une évidence qui peut valoir l’excommunication médiatique : nous ne sommes évidemment pas en Démocratie, mais dans un système que l’on devrait nommer « Représentatie », où nous désignons des représentants qui votent les lois comme bon leur semble (y compris l’inverse des promesses), sans rendre de comptes, sans pouvoir être contredits et encore moins démis. Bref, les représentants décident et pas le peuple. Pour creuser ce sujet, nous vous renvoyons vers notre chronique vidéo dédiée.
Pour sortir de ce régime, il faudrait donc dans l’idéal convoquer une Assemblée Constituante. Toutefois, étant donné la faible probabilité de réalisation de cette hypothèse, il y a quelques propositions de réformes de nos institutions, simples et facilement compréhensibles, qui pourraient avoir des effets importants sur notre vie politique et que nous pourrions tous diffuser et revendiquer.
Le scrutin majoritaire est antidémocratique et désormais inefficace
Les lois sont votées par l’Assemblée nationale, qui a le dernier mot en cas de désaccord avec le Sénat, seconde chambre parlementaire. Depuis 1958 et à l’exception de 1986-1987, le mode de scrutin est majoritaire à deux tours : pour simplifier, dans ce système, le député est celui qui obtient la majorité des voix au second tour, entre les deux députés arrivés en tête au premier tour.
Cela pose un énorme problème démocratique. Le principe théorique de la Représentatie est de désigner des représentants, dont la majorité votera la loi. Mais en théorie, pour que ce système ne soit pas une pure oligarchie, il faudrait que ces 50 % de députés représentent bien 50 % de la population. Et ce n’est pas le cas avec un mode de scrutin majoritaire. Ou plutôt, ce n’est plus le cas ; ce système pouvait se défendre (difficilement quand même) quand la vie politique ne comprenait que deux grands partis, ou deux blocs de partis (gauche/droite). Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui dans notre système désormais composé de 3 blocs qui se combattent.
Certains spécialistes défendaient jusqu’à présent le scrutin majoritaire en reconnaissant son problème de représentativité démocratique, mais en mettant en avant son « efficacité » pour trouver une majorité et gouverner le pays. Mais on voit que cet « avantage » est désormais révolu.
On objectera cependant qu’une pseudo « efficacité » ne peut être une raison pour piétiner un principe fondamental : le droit à être représenté correctement. Prenons l’Assemblée de 2017 : 26 000 électeurs En Marche au 1er tour suffisaient pour faire élire un député, mais il fallait 52 000 électeurs pour La France insoumise et 200 000 pour le Front National. Ce n’est pas acceptable.
Quand on parle de ce sujet « d’efficacité », arrive comme un repoussoir et dans un réflexe pavlovien la fameuse « IVe République » et son cortège d’instabilité gouvernementale. Certes, la IVe République (souvent décriée, mais qui a quand réussi à reconstruire la France en 1946) n’est pas un modèle parfait.
Mais s’il est utile de comprendre ses problèmes institutionnels pour ne pas les reproduire, il n’est pas honnête de mettre ce repoussoir en avant dans un débat sur la proportionnelle, car il occulte une évidence : la proportionnelle est en vigueur dans la vaste majorité des pays européens (23 sur 27 membres de l’UE) depuis des décennies, sans drame politique apparent.
L’anomalie en Europe, ce n’est pas la proportionnelle, c’est le scrutin majoritaire antidémocratique. Et si on poussait à l’extrême le raisonnement, alors le système idéal en termes « d’efficacité » devrait être la dictature… Absurde...
En réalité, ce système majoritaire est une des grandes causes de l’échec politique dans lequel la France s’est enfermée. Car ce scrutin a pour effet, par nature, de donner une majorité à une minorité. Et au fil des années, le duopole PS/UMP a perdu de plus en plus de poids, et donc la « minorité devenue majoritaire » a représenté de moins en moins d’électeurs.
Ainsi, en 2012, la coalition menée par le PS a obtenu 40 % des suffrages exprimés (représentant 23 % des inscrits). En 2017, LREM a obtenu 32 % des suffrages (15 % des inscrits) et en 2022, LREM a obtenu 26 % des suffrages (12 % des inscrits).
La « majorité » de l’Assemblée ne représente donc plus qu’une part de plus en plus infime de la population. Cela démontre que, non seulement, la politique majoritaire est de moins en moins soutenue, mais surtout qu’elle est même probablement de plus en plus « mauvaise », de plus en plus inefficace, sans quoi elle trouverait plus de soutiens. Le scrutin majoritaire agit donc comme une assurance qui empêche l’élimination naturelle de politiques rejetées par une vaste majorité de la population.
La conséquence logique est une désaffection de plus en plus marquée des électeurs, qui trouvent logiquement de moins en moins d’intérêt à aller voter.
Le sursaut de 2024 est lié à la possibilité d’une victoire du RN, et à l’euphorie d’une possible éviction d’Emmanuel Macron, mais on ne peut se réjouir d’une mobilisation d’électeurs désabusés qui vont aux urnes simplement pour éviter une politique qu’ils jugent encore plus mauvaise que la précédente.
L’impérieux besoin d’un mode de scrutin proportionnel
Dans ces conditions, un mode de scrutin proportionnel apparaît comme une nécessité démocratique. Ce scrutin permet en effet de répartir les députés au prorata exact des votes exprimés au premier (et unique) tour de scrutin. L’avantage de ce mode est aussi qu’il permet à l’électeur de voter au seul tour de scrutin comme bon lui semble, pour le parti qu’il préfère, sans réfléchir à une stratégie particulière. Comme pour les élections européennes par exemple. Pas de second tour, cela signifie qu’il n’est jamais nécessaire de voter pour un candidat que l’on déteste, dans le but d’éviter l’élection d’un candidat qu’on exècre. Aucun « barrage » à faire, car un parti ne peut pas avoir de majorité s'il n’obtient pas une majorité des votes. Fini les castors !
Il n’y a vraiment qu’en France qu’on trouve « normal » qu’un parti qui obtient 32 % des voix puisse avoir la majorité des sièges au Parlement, et où on torture des électeurs en demandant à un LFI de voter pour un LR ou réciproquement.
Parlons efficacité. Ce n’est en fait plus vraiment un argument, car la tripartition française a détruit la capacité du scrutin majoritaire à créer une majorité stable. D’ailleurs, le scrutin majoritaire de 2024 a abouti à une Assemblée nationale assez proche de celle qui aurait été obtenue par un scrutin proportionnel. On a donc un scrutin majoritaire, avec ses inconvénients, mais sans ses avantages ; autant passer au scrutin proportionnel, pour disposer de ses nombreux avantages.
Il y a plusieurs types de scrutins proportionnels. On pense en premier lieu au scrutin de liste, comme aux Européennes où, par exemple, chaque parti propose une liste de 577 noms, et où on répartit les sièges sur cette base. Étant donné que la France est grande, on pourrait prévoir une liste par région ou par département, avec moins de noms, mais ce mécanisme avantage les grands partis et fausse de plus en plus la proportionnalité du scrutin. Par ailleurs, la façon de répartir les restes de sièges (on ne peut pas attribuer « 87,34 députés » à un parti) ou le fait de prévoir un seuil minimal pour être représenté (1 %, 3 %, 5 %…) peut aussi déformer la proportionnalité.
Comme on l’a vu, le scrutin de liste est le modèle de la vaste majorité des pays européens. Il a l’avantage de permettre, via le choix du parti, de proposer à des experts ou des personnalités de devenir « facilement » député, sans avoir à s’implanter localement à l’autre bout de la France. On reproche à ce système de donner aux partis un rôle écrasant dans la sélection des candidats ; mais peut-on vraiment défendre aujourd’hui que cela ne soit pas aussi le cas du scrutin majoritaire ?
A contrario, ce scrutin brise le lien entre un député et un territoire donné : le citoyen n’a plus « son député ». C’est la raison pour laquelle nous privilégions le mode de scrutin en vigueur en Allemagne depuis 1957, qu’on qualifie souvent à tort de « mixte », alors qu’il est intégralement proportionnel. Il cumule en effet plusieurs qualités, et n’est en réalité pas si complexe.
Voici comment on pourrait l’adapter en France. Imaginons qu’on décide d’élire 600 députés, pour arrondir. On regroupe les 577 circonscriptions actuelles pour arriver à 200 circonscriptions de 350 000 habitants. Chaque parti présente des candidats dans chaque circonscription, exactement comme aujourd’hui. Le jour des élections, à un seul tour, on vote 2 fois. Dans une urne, on choisit un bulletin avec le nom d’un des candidats de sa circonscription (scrutin uninominal), exactement comme aujourd’hui. Dans une seconde urne, on dépose un bulletin pour un parti, qui contient 577 candidats (scrutin de liste).
Le soir des élections, on élit un député, le candidat arrivé en tête dans chaque circonscription. C’est d’ailleurs le mode de scrutin anglais pour l’intégralité des députés. On a donc 200 députés élus, mais avec une énorme déformation des votes, et pratiquement aucun élu des petits partis. Voici comment ce système pourrait marcher sur la base du 1er tour des élections 2024, où les partis auraient obtenu 34 % pour le RN, 29 % pour le Nouveau Front populaire, 23 % pour Ensemble, 10 % pour LR et 4 % pour les autres.
Quand on regarde quel parti est arrivé en tête dans chaque circonscription en 2024, on aurait eu environ 50 % de députés RN (soit 100 élus), 30 % de NFP (60), 15 % d’Ensemble (30) et 5 % de LR (10).
Chaque circonscription a donc bien « son » député, mais le résultat final n’est pas proportionnel du tout. On n’a cependant élu que 200 députés sur les 600 à ce stade. On répartit alors les 400 députés restants à la proportionnelle à partir des listes de 577 de chaque parti. Mais on ne les répartit pas comme on ferait dans un scrutin proportionnel, car on arriverait alors à une assemblée non proportionnelle, puisque les 200 élus au scrutin uninominal sont « déformés ». L’Italie a d’ailleurs un scrutin mixte de ce type depuis quelques années.
Tout l’attrait du mode de scrutin allemand est qu’on répartit les 400 députés restants de façon à ce que chaque parti ait, AU FINAL, le nombre de députés exact qu’il aurait eu avec une répartition entièrement proportionnelle sur liste. Par exemple, si le RN a obtenu 34 % des bulletins au scrutin de liste, il doit donc avoir 204 députés au final (34 % x 600 sièges).
On a vu qu’il en a obtenu 100 par le scrutin uninominal, les 104 premiers de sa liste de 577 candidats sont donc élus. Avec ses 23 %, Ensemble a droit à 138 élus (23 % x 600). Comme il en a obtenu 30 au scrutin uninominal, les 108 premiers de sa liste sont élus. C'est plus que ceux du RN, mais cela compense la déformation du scrutin uninominal.
Ce système, qui n’est pas si complexe en réalité, permet donc bien d’arriver à une assemblée entièrement proportionnelle, et il a l’avantage de pouvoir disposer de 200 députés rattachés à un territoire qu’ils représentent. Sans être parfait, il cumule les avantages des deux systèmes.
Là encore, des variantes sont possibles, comme la possibilité de rayer certains noms de la liste de 577, pour désavantager certains candidats, avoir un vote préférentiel, ou disposer de plusieurs bulletins pour le vote uninominal.
La situation actuelle est donc une bonne occasion de mettre fin à une des anomalies démocratiques de la France. Précisons qu’il s’agit d’un problème de principe, et qu’il dure donc depuis des années. La plupart des responsables politiques s’accommodaient fort bien depuis des décennies de ce système majoritaire qui donnait une majorité à une minorité dont ils faisaient partie. Il est donc piquant de les voir changer brutalement d’avis et défendre désormais la proportionnelle, au moment où une autre minorité risque d’avoir la majorité, ce qu’ils refusent. Mais au moins, quelque chose de bon pourra sans doute sortir de ces malhonnêtetés intellectuelles.
Castaner opposé à la proportionnelle car il ne veut pas «faire rentrer 100 députés RN au Parlement» https://t.co/rTpi6Ya5jH pic.twitter.com/cbjuWYZpZC
— Libération (@libe) January 19, 2021