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Pouvoir ouvrier dans la Vénétie
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http://www.zones-subversives.com/2024/06/pouvoir-ouvrier-dans-la-venetie.html
Le mouvement opéraïste demeure un des courants les plus pertinent de l'histoire ouvrière. Dans l'Italie des années 1960, les enquêtes ouvrières permettent de comprendre les mutations du monde du travail. Surtout, les opéraïstes observent les nouvelles formes de résistances ouvrières. Ils accompagnent les grèves et les luttes sociales qui éclatent dans les usines. Les assemblées autonomes permettent de diffuser des pratiques d'auto-organisation et d'action directe.
L’Italie des années 1970 reste associée aux « années de plomb » et à la violence politique. Le bouillonnement culturel, social et politique de cette période est gommé. Le mouvement opéraïste est un courant théorique et politique qui s’appuie sur les analyses de Karl Marx pour observer les évolutions des usines et du capitalisme italien. La revue Quaderni Rossi est fondée en 1960 par le socialiste Raniero Panzieri. Elle insiste sur la centralité de l’usine et s’appuie sur l’enquête ouvrière pour élaborer sa théorie. La revue Classe operaia se tourne davantage vers l’intervention pratique. La question de l’organisation, des formes de lutte et de la stratégie devient centrale. Les opéraïstes remettent en cause les partis et les syndicats en raison de leur réformisme et de leur éloignement de la classe ouvrière. Les instruments politiques existants apparaissent comme obsolètes et doivent être réinventés.
Les opéraïstes développent des pratiques nouvelles qui influencent la gauche syndicale mais surtout le mouvement autonome et les luttes sociales des années 1970. Le concept de « pouvoir ouvrier » est forgé par le groupe français Socialisme ou Barbarie qui s’inscrit dans la filiation du conseillisme pour insister sur l’auto-organisation des prolétaires. Les travailleurs doivent eux-mêmes organiser la production. Le pouvoir ouvrier s’oppose au pouvoir capitaliste mais aussi aux organes de représentation des travailleurs comme les partis et les syndicats. Les opéraïstes considèrent le pouvoir ouvrier comme « l’organisation autonome de la classe ouvrière ». Marie Thirion se penche sur les opéraïstes en Vénétie dans le livre Organiser le pouvoir ouvrier.
L’économie de la Vénétie repose sur le secteur de la pétrochimie et sur la zone industrielle de Porto Marghera. Les salariés sont jeunes et les syndicats négocient avec le patronat sans informer la base. Cependant, l’opéraïsme émerge dans la ville de Padoue. Antonio Negri dirige la fédération socialiste locale qui se situe à l’aile gauche du PSI. Ses militants discutent de Marx, de Lénine, des luttes génoises et milanaises mais aussi des faiblesses du mouvement ouvrier italien.
Durant l’été 1960, des jeunes génois s’opposent à l’organisation d’un congrès du MSI, le parti néo-fasciste. Le gouvernement décide de réprimer la protestation. Les manifestations et les grèves se multiplient dans différentes régions et provoquent la chute du gouvernement. Peu de temps après, les électromécaniciens milanais lancent une grève. Les luttes débordent des usines à travers des cortèges qui envahissent les villes. La Vénétie participe au mouvement contre le gouvernement, notamment les étudiants et les métallurgistes.
Émergence de l’opéraïsme
Le PCI amorce un tournant en 1956. Le stalinisme est remis en cause. Les communistes décident également de se tourner vers les classes moyennes. La contestation émerge aussi dans l’aile gauche du PSI. Raniero Panzieri et Romano Alquati, fondateurs de l’opéraïsme, se rapprochent de Bruno Trentin et des syndicalistes de la CGIL. Ils insistent sur l’enquête ouvrière et sur la centralité de l’usine. Comme Marx, ils considèrent l’entreprise comme le terrain d’affrontement par excellence. L’usine demeure un lieu de conflit où s’opposent la domination du capital et l'insubordination ouvrière. La fédération socialiste de Padoue se rapproche du groupe de Quaderni Rossi.
Ses militants modifient la ligne éditoriale du journal socialiste local. Il Progresso Veneto lance une série d’enquêtes syndicales et politiques. Les rédacteurs sillonnent la région pour rencontrer des militants ouvriers. Ils évoquent les transformations économiques locales, les potentialités de lutte ainsi que les forces et les faiblesses du mouvement ouvrier. Cependant, les partis et les syndicats semblent coupés de leur base. Les opéraïstes se rendent directement dans les usines en lutte. Dans les usines de la Riviera, les syndicats sont peu présents. Les travailleurs s’organisent de manière autonome et développent de nouvelles pratiques de lutte, notamment le blocage des routes. Les opéraïstes lancent ensuite des enquêtes vers la zone industrielle de Porto Marghera.
En 1962, les dockers de Venise lancent un Comité des travailleurs du port, une organisation autonome des syndicats. Les métallurgistes lancent également un comité et d’autres surgissent dans diverses usines. Ces instruments d’agitation ouvrière permettent d’établir un lien entre les différents établissements. Ils permettent de construire l’unité de classe à la base, en dehors des appareils syndicaux. Les opéraïstes favorisent l’éclosion de ces comités. Dans la région de Vénétie, un véritable lien se noue avec les travailleurs et les opéraïstes refusent de s’enfermer dans l’abstraction théorique.
Les clivages au sein du PSI se cristallisent autour des révoltes de la Piazza Statuto en 1962. Les ouvriers de Turin se réunissent devant le siège du syndicat des métallurgistes qui négocie les conventions collectives. Des affrontements avec les forces de l’ordre éclatent. Ces émeutiers ne sont pas des ouvriers spécialisés et qualifiés. Ce sont des jeunes venus des régions rurales du sud de l'Italie. Ces ouvriers peu qualifiés et interchangeables critiquent un travail pénible et répétitif. Ils sont peu politisés et ne se reconnaissent pas dans les partis et les syndicats de la gauche. Les opéraïstes les baptisent « ouvriers-masse » et en font un sujet révolutionnaire. Au contraire, le PCI et le PSI dénoncent des « provocateurs » et des « casseurs ».
Des luttes spontanées, décidées par la base ouvrière elle-même, éclatent à la Vetrocoke au printemps 1963. Le sabotage collectif et les grèves sauvages incontrôlables témoignent du refus de la discipline imposée par le patron et les syndicats. Ces pratiques de lutte permettent l’émergence d’une organisation autonome et d’un pouvoir ouvrier dans l’usine. Le groupe de Negri s’éloigne du PSI pour lancer l’organisation Potere operaio. Un clivage émerge également au sein de la revue Quaderni rossi après les émeutes de piazzo Statuto. Panzieri se replie sur l’observation sociologique. Au contraire, un autre groupe se tourne vers l’intervention politique. Romano Alquati à Turin et Mario Tronti à Rome se coordonnent avec le groupe vénète pour lancer la revue Classe operaia. Cette initiative doit permettre de passer de la théorie à la pratique, de l’analyse à l’intervention politique.
Nouvelles formes de luttes
En février 1963, une grève massive éclate dans différentes usines du groupe Edison. Les ouvriers et les employés se réunissent pour revendiquer une amélioration des conditions de travail mais aussi une égalité des salaires. La grève permet aux salariés d’affirmer leur dignité et de revendiquer une forme de pouvoir. Des assemblées émergent spontanément. Les opéraïstes sont fascinés par cette lutte. La grève dans l’industrie chimique permet d’interrompre le cycle continu de production. Les travailleurs de la chimie prennent conscience de leur pouvoir. Ils incarnent une classe ouvrière nouvelle qui montre la voie à suivre. Les opéraïstes lancent alors des enquêtes ouvrières dans les usines Edison.
Une grève massive éclate à la FIRMA. Les usines sont occupées. Cependant, les syndicats ne cessent de temporiser. Ce sont des assemblées de base qui décident des actions et des perspectives de lutte. Mais le PCI et les syndicats ne tentent pas de généraliser la grève dans d’autres usines. La revue Classe operaia reste traversée par des débats. Le groupe de Rome favorise l’entrisme au sein du PCI. Tronti estime que les opéraïstes doivent infléchir la ligne du puissant parti ouvrier. Au contraire, Negri insiste sur une politique autonome du prolétariat. Néanmoins, dans la Vénétie, le groupe des opéraïstes comprend également des militants syndicaux.
Le groupe de Marghera encourage les travailleurs à agir avant tout au sein de leurs organisations syndicales, mais également à lutter de manière autonome. Ils doivent favoriser la généralisation du conflit et l’unité des travailleurs. Les prolétaires de Marghera s’appuient encore sur les institutions du mouvement ouvrier pour rendre leurs luttes plus incisives. Néanmoins, les organisations politiques et syndicales se sentent menacées par les opéraïstes qui portent des revendications plus offensives et ancrées dans les conditions de travail des ouvriers.
En 1967, Potere operaio diffuse des tracts devant les usines de manière plus dense. Les opéraïstes insistent sur l’autonomie ouvrière comme capacité des travailleurs à décider eux-mêmes le calendrier, les formes et les objectifs des luttes. Des revendications communes doivent réunir les travailleurs de différentes catégories, usines ou secteurs industriels. Le salaire, les horaires et les congés concernent l’ensemble de la classe ouvrière.
L’opéraïsme se diffuse également en Émilie-Romagne, notamment auprès de la jeunesse étudiante de Bologne. La valorisation de la spontanéité de la classe ouvrière permet de critiquer les structures sociales à partir de la production et des conditions de travail. La jeunesse rejette le stalinisme de PCI pour embrasser une démarche plus libertaire. Les étudiants remettent en cause l’autorité des professeurs et la sélection sociale.
En 1968, de nouvelles formes de lutte éclatent dans les usines vénètes. Les ouvriers s’opposent à la rationalisation tayloriste. Ils remettent en cause la hiérarchie et l’organisation du travail. Des grèves avec occupations d’usines se propagent. Les ouvriers sont également soutenus par le mouvement étudiant. Les jeunes générations ouvrières, sans spécialisation ni qualification, construisent dans les luttes une identité collective.
La lutte au Petrolchimico apparaît comme un tournant majeur. Le mouvement atteint une visibilité nationale à travers la perturbation du trafic routier et ferroviaire pendant les vacances d’été. Ensuite, cette mobilisation oppose les syndicats aux assemblées ouvrières qui déterminent les objectifs et les formes de lutte. Les organisations représentatives sont affaiblies dans leur fonction de médiation et de négociation. Ensuite, les étudiants participent à l’organisation des piquets de grève, à l’animation des cortèges, à la distribution de tracts. Cette présence étudiante reste mal perçue par les syndicats qui prétendent encadrer la lutte, mais elle est encouragée par Potere operaio.
Essor et effondrement de l’opéraïsme
Les Comités unitaires de base (CUB) apparaissent dans des usines à Milan. Ces structures alternatives sont impulsées par des militants syndicaux qui veulent élargir la lutte. Les CUB refusent la séparation entre le politique et l’économique pour affirmer un pouvoir ouvrier. Les CUB visent également à relier les luttes entre les différentes usines, entre les différentes catégories et secteurs ouvriers, entre travailleurs et étudiants.
« L’automne chaud » de 1969 incarne une explosion liée à la montée de la conflictualité sociale. La négociation des conventions collectives est fortement contestée dans un contexte d’augmentation de la productivité et de stagnation des salaires. Les syndicats parviennent à renouveler leurs revendications et leur répertoire d’action. Ils sortent renforcés de ce cycle de lutte. Au contraire, les CUB tendent à se marginaliser. L’attentat de la Piazza Fontana amorce la stratégie de la tension. Une bombe explose à l’initiative d’un groupuscule néofasciste. Mais l’État accuse les anarchistes et réprime les différents groupes d’extrême gauche comme Potere operaio.
Ensuite, Negri amorce une stratégie léniniste. Les opéraïstes ne cessent d’adapter leurs organisations aux diverses formes de lutte. Au contraire, Negri insiste sur la centralité de l’État. Dans un contexte de reflux des luttes, Potere operaio s’éloigne de sa base ouvrière et du Comité de Porto Marghera. Ensuite, de nouvelles organisations d’extrême-gauche émergent comme Lotta continua. Potere operaio s’éloigne de sa base ouvrière et se marginalise. Le Comité de Porto Marghera devient pleinement autonome. Il se détache de Potere operaio et raille les théories abstraites de Negri. Le Comité insiste sur des pratiques concrètes adaptées à la situation et sur un ancrage dans la réalité de classe. Il aspire à fédérer les différents comités de base.
Durant l’été 1970 éclate un mouvement des travailleurs sous-traitants de Porto Marghera qui revendiquent l’égalité salariale. Grèves perlées pour perturber la production, cortèges dans les usines et blocages des routes rythment cette lutte pendant 3 mois. Le 3 août, les sous-traitants décident de bloquer les usines. Ils affrontent la police. Ils dressent des barricades avec des habitants du quartier populaire proche de la zone industrielle et avec les ouvriers des autres usines. Negri estiment que ces mobilisations permettent une recomposition de classe. Elles réunissent les travailleurs des grandes et petites usines de la zone.
Potere operaio estime que la période devient insurrectionnelle. Piperno, comme Negri et Scalzone, considèrent qu’une organisation centralisée doit conduire l’affrontement avec l’État. Au contraire, Sergio Bologna estime que le conflit demeure ancré dans les usines. Il semble donc indispensable de construire des organismes de base. Cependant, la position de Bologna reste minoritaire. Potere operaio entend devenir le parti de l’insurrection.
En 1973 s’amorce la crise économique et la montée de l’inflation. Les dirigeants des usines mettent en œuvre suspensions et licenciements. La violence d’extrême-droite se développe. Negri estime que, face à cette violence du patronat, l’organisation doit également répondre par la violence. Piperno aspire même à se détacher de l’autonomie ouvrière. Selon lui, les mobilisations ne viennent plus des usines. L’ennemi n’est plus le patron mais l’État. Il souhaite donc bâtir un parti centralisé et militarisé. Mais Potere operaio se démarque du groupe armé minoritaire comme les Brigades rouges. Au contraire, il tente de diffuser une illégalité de masse à travers des occupations de logements, le refus de payer les loyers et les transports.
Autonomie ouvrière
Marie Thirion propose un livre incontournable sur la démarche sociale et politique du mouvement opéraïste. L’historienne montre que les clivages politiques et intellectuels qui traversent ce courant restent ancrés dans des pratiques de lutte. Marie Thirion décide de se focaliser sur l’étude d’une implantation locale pour observer au plus près les pratiques opéraïstes. Ce courant majeur du mouvement ouvrier italien ne se réduit pas aux spéculations conceptuelles de ces dirigeants. L’opéraïsme reste ancré dans les usines et dans la lutte des classes. Le livre de Marie Thirion permet de montrer que l’opéraïsme ne constitue pas une idéologie figée mais repose surtout sur des pratiques de lutte.
Les revues s’appuient sur des enquêtes ouvrières. Les opéraïstes s’attachent d’abord à comprendre les mutations du capitalisme à partir du quotidien des ouvriers et de l’organisation du travail dans les entreprises. Mais ce sont les luttes sociales qui modifient leur approche. Les révoltes spontanées permettent le surgissement d’un prolétariat jeune et non qualifié. Surtout, de nouvelles pratiques de lutte sortent de l’encadrement syndical. Les grèves ne visent pas à déboucher vers des négociations avec la direction de l’usine. Ce sont des assemblées qui permettent aux ouvriers de décider eux-mêmes des actions, des objectifs et des perspectives de la lutte.
La diffusion de ces pratiques de lutte débouche vers d’importants mouvements sociaux. En Italie, Mai 68 n’a pas duré que quelques mois. Les historiens évoquent un « Mai rampant » rythmé par des explosions sociales en 1968 et en 1969. Les pratiques de lutte ne se limitent pas à des grèves avec occupation d’usines encadrées par les syndicats. La révolte ouvrière déborde des usines avec des blocages de routes, des autoréductions et des occupations de logements vides. La jeunesse ouvrière et étudiante converge pleinement vers une remise en cause de toutes les formes d’autorité. La hiérarchie de l’usine et la bureaucratie syndicale sont remises en cause.
Mais Marie Thirion évoque également l’effondrement de ce puissant mouvement ouvrier. L’historienne pointe bien le clivage entre les dirigeants de Potere operaio et la base ouvrière de Porto Marghera. Les théoriciens comme Negri et Piperno veulent construire un parti marxiste-léniniste centralisé et militarisé. Le Comité de Porto Marghera s’attache à se coordonner avec les autres organisations ouvrières de base. Ce courant reste attaché à la lutte des classes et au renversement du capitalisme à partir des grèves dans les entreprises. Au contraire, les groupuscules gauchistes se détachent de leurs bases ouvrières pour devenir des organisations paramilitaires. Leur stratégie d’affrontement avec l’État est brisée par la répression. Les gauchistes se marginalisent et le puissant mouvement autonome s’effondre progressivement.
L’expérience opéraïste reste particulièrement précieuse. Ces pratiques peuvent être actualisées pour intervenir dans la lutte des classes au XXIe siècle. L’enquête ouvrière permet d’observer les mutations du capitalisme à partir de la réalité du monde du travail. Le gauchisme postmoderne qui domine le milieu militant contemporain ne cesse de délaisser la lutte des classes et les conflits sociaux dans les entreprises. Le capitalisme repose pourtant sur les lieux de travail. Seule une multiplication des grèves et des occupations des lieux de production peuvent permettre un renversement du capitalisme.
Surtout, les opéraïstes s’appuient sur les nouvelles pratiques de lutte. Dans le capitalisme du XXIe siècle, les jeunes prolétaires sont parfois diplômés mais se cantonnent souvent à des postes peu qualifiés. Ils et elles comprennent facilement les mécanismes d’exploitation mais sombrent dans la résignation. Pourtant, observer les résistances au travail peut dessiner des perspectives pour les luttes à venir. L’auto-organisation des prolétaires et l’action directe restent des pratiques à renouveler et à diffuser.
Source : Marie Thirion, Organiser le pouvoir ouvrier. Le laboratoire opéraïste de la Vénétie (1960-1973), Agone, 2024
Extrait publié sur le site des éditions Agone
Extrait publié sur le site des éditions Agone
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