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    Raniero Panzieri : la révolution, maintenant

    Lien publiée le 4 août 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Raniero Panzieri : la révolution, maintenant (socialter.fr)

    L’intellectuel italien Raniero Panzieri (1921-1964) a initié le courant de l’opéraïsme qui, mettant au centre la spontanéité ouvrière et rompant avec le culte de la technique, prône une démocratie directe réalisée par le bas.

    Toute idéologie se calcifie. Le temps métamorphose le réel qui la fonde, jusqu’à rendre obsolètes les bases de cette infrastructure de pensée. Le marxisme n’y a pas échappé : le capitalisme contemporain de Karl Marx n’est pas celui de la mondialisation. « Ce n’est pas l’analyse mais les solutions politiques de Marx qui ont vieilli. » Ces mots datent de 1964, et leur auteur s’appelle Raniero Panzieri. Car le capitalisme a muté, mais le marxisme aussi : tout au long de la seconde moitié du XXe siècle a eu lieu une réflexion critique dont l’Italie a été un berceau et cet intellectuel un pionnier. À la différence de figures majeures comme celles de Mario Tronti et Toni Negri, toujours en vie, Raniero Panzieri a peu vécu. Seulement 43 ans, c’est-à-dire le temps d’initier, avec les Quaderni Rossi, « Cahiers rouges », un courant majeur de la gauche italienne et européenne du dernier demi-siècle : l’opéraïsme.

    Né en Rome en 1921, Panzieri est mort subitement d’une embolie cérébrale en 1964, à Turin. Entre les deux, sa vie fut marquée par deux moments capitaux. La Sicile, d’abord, où ce docteur en droit qui a débuté sa carrière comme universitaire va, en 1950, prendre la tête d’un mouvement paysan d’occupation des terres. Cette expérience sera son « point d’Archimède », dira-t-il : dans ces années où l’enfer soviétique se dévoile au monde, Panzieri se met en quête d’un renouvellement du socialisme en vue d’une réelle « révolution démocratique ». S’engage alors une décennie décisive, ponctuée par l’autre date capitale qu’est la création, en 1961, des Quaderni Rossi, revue emblématique du marxisme autonomiste bientôt rejointe par Mario Tronti ou Toni Negri. Panzieri collabore également avec sa femme pour la traduction d’œuvres de Marx et Engels, dont le livre II du Capital, et devient membre du comité central du Parti socialiste italien (PSI), occupant plusieurs postes de direction culturelle et de propagande.

    Loin d’être un simple apparatchik, Panzieri est d’abord un intellectuel, c’est-à-dire un homme public, et c’est à travers ses conférences données qu’il « stimule une branche de marxistes critiques », relate Giovanni Scirocco dans le Dizionario biografico degli Italiani. C’est en 1958, avec ses « Sept thèses sur la question du contrôle ouvrier », coécrites avec Lucio Libertini dans la revue Mondoperaio, que l’opéraïsme (soit, littéralement, l’ouvriérisme) commence à prendre forme : à travers ce texte, ils « esquissent une stratégie qui place la classe ouvrière au centre (plus que le parti lui-même) et prennent les premiers soviets, le mouvement turinois des conseils d’usine, les conseils ouvriers polonais et yougoslaves comme modèles pour la construction d’une démocratie socialiste par le bas ». C’est dans les Quaderni Rossi que va s’épanouir cette ouverture théorique, qui est aussi tournée vers le réel. Les intellectuels gravitant autour de la revue de Raniero Panzieri, qui s’installe à Turin en 1959 où il rejoint l’éditeur Einaudi (jusqu’à son licenciement au motif d’avoir utilisé la maison pour son combat idéologique), participent à la grève générale des métallurgistes en s’engageant auprès des ouvriers de Fiat.

    « Les progrès de la technologie constituent donc le mode d’existence même du capital ; ils sont son mouvement d’expansion lui-même. »

    Ainsi se forme par la pensée et l’action le courant pluriel qu’est l’opéraïsme, lequel désigne précisément « la spontanéité révolutionnaire des fractions des classes dominées qui ne sont pas (encore) organisées », décrypte le sociologue Razmig Keucheyan. « L’opéraïsme considère l’usine comme le “centre de gravité” de la lutte des classes. L’affrontement des ouvriers avec les patrons est censé s’effectuer sur le lieu même du travail, sans la médiation de syndicats ou de partis. L’opéraïsme est un courant antisyndicaliste et spontanéiste » qui « soutient que la subjectivité de la classe ouvrière doit être complétée ou fécondée par le Parti », précise ce spécialiste du marxisme dans Hémisphère gauche (Zones, 2013). Car les opéraïstes considèrent que « la subjectivité brute des travailleurs renferme la “vérité” de la lutte des classes ».

    Marxisme « chaud »

    « La vérité de la théorie est l’engagement », écrit Raniero Panzieri dans une lettre reprise dans son seul ouvrage disponible en français qu’est le recueil Le Marxisme comme expérience (Eterotopia, 2021). Cet engagement au cœur de la subjectivité ouvrière, Panzieri va le faire vivre en réhabilitant une discipline initialement pratiquée par Marx, mais que le XXe siècle a délaissé comme une science bourgeoise : la sociologie. « Je voudrais très brièvement rappeler que le marxisme, celui du Marx de la maturité, est à l’origine une socio­logie », écrit Panzieri dans le numéro 5 des Quaderni Rossi. Il propose précisément d’utiliser les « méthodes sociologiques à des fins politiques » en prônant l’enquête militante auprès des ouvriers : « Il faut que l’enquête se fasse en partie “à chaud”, c’est-à-dire dans une situation particulièrement conflictuelle, à partir de laquelle il faut étudier […] comment le système de valeurs que l’ouvrier exprime en temps normal se transforme. »

    L’objectif est ainsi de « vérifier dans quelle mesure les ouvriers sont conscients de revendiquer une société fondée sur l’égalité par rapport à une société fondée sur l’inégalité ». Car le capitalisme travaille les subjectivités, et pas seulement les conditions matérielles. Qui, elles, connaissent des mutations que ne peut saisir le marxisme orthodoxe : « L’idée que le développement des forces productives serait en soi porteur de progrès, et conduirait peu à peu de lui-même à l’éclosion du socialisme, est battue en brèche par Panzieri. Ceci inscrit l’opéraïsme de la première période au sein de ce qu’Ernst Bloch appelait les “courants chauds” du marxisme, c’est-à-dire ceux dans lesquels prévaut une dimension “romantique” anti­techniciste », souligne Razmig Keucheyan. Cette nouvelle approche critique de la technique est en particulier formulée dans un article important de Panzieri où il souligne que « l’utilisation des machines sur une grande échelle marque le passage de l’ère de la manufacture à celle de la grande industrie ».

    Les machines sont au cœur de l’évolution du capitalisme, et même son cœur : « Les progrès de la technologie constituent donc le mode d’existence même du capital ; ils sont son mouvement d’expansion lui-même. » C’est donc un néo-marxisme débarrassé de toute illusion sur la technique qui se fait jour. « Il n’y a pas lieu d’affirmer qu’un progrès technique et économique continuera par-delà le saut révolutionnaire : l’action ouvrière met en question les fondements du système, sous tous ses aspects », écrit Panzieri. Selon qui il existe une voie, ici et maintenant, pour stopper l’exploitation massive du capitalisme technologique : « Le contrôle ouvrier est considéré ici comme un moyen d’accélérer la lutte de classe générale » car « c’est un moyen politique qui permettra, sans trop attendre, des ruptures révolutionnaires ». Le grand soir commence cet après-midi.