Le déclin industriel a été directement lié à une aggravation de divers indicateurs sociaux et économiques. Cet article examine comment les impacts de la désindustrialisation au Royaume-Uni se répercutent sur toutes les générations, constatant des effets significatifs sur la santé, la richesse et le niveau de vie de ceux qui ont grandi sous le déclin industriel. La capacité d’émigrer vers les régions les plus riches du pays n’est pas suffisante pour compenser ces effets négatifs.

Le déclin récent des emplois industriels dans les pays développés et émergents a été lié à la détérioration de la santé (Case et Deaton 2020, Case 2020), à la désintégration des liens familiaux (Autor et al. 2018) et à la formation d’une géographie du mécontentement politique (Autor et al. 2020, Rodríguez-Pose 2018, Rodríguez-Pose et al. 2024). Des endroits autrefois prospères sont aujourd’hui « laissés pour compte », avec des niveaux de vie, une éducation et une productivité relatifs moins bons (Moretti 2022, Overman et Xu 2022). Peu de pays du monde développé ont connu une augmentation aussi brutale des inégalités régionales que le Royaume-Uni, le pays où la désindustrialisation est la plus rapide du monde développé (Mcann 2019, Stansbury et al. 2023).

Dans cet article, nous montrons que la désindustrialisation a durablement affecté le niveau de vie au Royaume-Uni. Nos recherches récentes documentent les effets sur la santé, la richesse et le niveau de vie de ceux qui grandissent sous le déclin industriel. Ces effets persistent même si les gens migrent hors des régions touchées, et ils se transmettent de génération en génération (Brey et Rueda, 2024). Le déclin industriel n’affecte donc pas seulement ceux qui travaillent dans des industries menacées ; Leurs enfants et leurs petits-enfants sont aussi durablement moins bien lotis. De plus, l’existence de meilleures conditions économiques ailleurs n’atténue pas entièrement cet impact. La désindustrialisation menace donc directement l’égalité des chances pour les générations futures.

Nous nous concentrons sur l’effondrement de l’industrie charbonnière britannique, l’un des cas les plus frappants de déclin industriel du XXe siècle. Les historiens de l’économie ont beaucoup écrit sur l’importance du charbon britannique dans la révolution industrielle (par exemple, Pomeranz 2000, Allen 2009, Wrigley 2010, Fernihough et O’Rourke 2021). À la fin des années 1950, l’exploitation minière du charbon employait plus de 700 000 personnes. Ce nombre a diminué de moitié en l’espace d’une décennie, à la suite de la plus forte contraction de l’industrie après la Seconde Guerre mondiale (voir figure 1). Des vagues de fermetures de puits ont continué à submerger la production de charbon britannique jusqu’à sa quasi-disparition dans les années 1990. Aujourd’hui, les anciens bassins houillers se classent régulièrement parmi les zones les plus défavorisées du pays, une question d’intérêt public suffisante pour permettre la formation d’un groupe de recherche parlementaire multipartite travaillant sur des propositions politiques pour ces régions (All-Party Parliamentary Group on Coalfield Communities 2023).

Graphique 1 L’emploi dans les mines au Royaume-Uni au XXe siècle

Remarque : Voir Brey et Rueda (2024) pour plus de détails.

Notre article estime l’impact des fermetures de mines sur les personnes qui ont vécu ce choc économique dans leur enfance. Nous exploitons des données longitudinales qui suivent tous les enfants nés au cours d’une semaine de 1958 et de 1970 (UK Longitudinal Studies). Ces données nous permettent de suivre les gens tout au long de leur vie et de recueillir des informations sur leurs parents et leurs enfants. Nous les combinons avec des données produites et partagées par la Northern Mine Research Society, qui fournit des informations sur toutes les mines de charbon qui ont été exploitées au Royaume-Uni. Nous pouvons ainsi comparer les résultats, à chaque étape de la vie, entre les comtés et les cohortes, en fonction de leur exposition aux fermetures de mines et sous réserve d’un riche ensemble de contrôles. Nous veillons à ce que nos conclusions ne soient pas motivées par des facteurs de confusion non observés des fermetures de puits et du niveau de vie de diverses manières. En particulier, nous vérifions qu’avant le choc, les enfants sont comparables : à la naissance, il n’y a pas de relation entre les résultats de santé et les conditions socio-économiques en fonction de l’exposition ultérieure au choc. De plus, à l’aide d’effets fixes, nous tenons compte des déterminants du niveau de vie qui sont spécifiques à chaque comté et à chaque cohorte. Enfin, nous utilisons une variable instrumentale qui exploite le fait que les fosses plus anciennes ont été fermées en premier.

Constatation 1 : Les personnes exposées à la fermeture des puits pendant l’enfance sont en moins bonne santé tout au long de leur vie

Les personnes qui grandissent dans des comtés où le ratio de fermetures de puits par rapport à la population est plus élevé sont nettement plus petites. La taille, un indicateur bien établi de la santé globale et des conditions de vie, est corrélée aux résultats économiques à l’âge adulte (p. ex. Hatton, 2014). Les écarts de taille sont les plus marqués dans la petite enfance ; malgré un certain rattrapage, une différence significative persiste à l’âge adulte (voir la figure 2). Cet écart chez les adultes – 4 % d’un score z, soit 0,3 cm – est substantiel, comparable à l’impact estimé de la limite inférieure de la famine irlandaise sur la taille des survivants (Blum et al. 2022).

Graphique 2 Effet des fermetures de puits par rapport à la population sur la hauteur au cours de la vie

Remarque : Les coefficients sont normalisés.

De plus, les personnes exposées à des fermetures de fosses dans l’enfance ont des IMC qui penchent davantage vers les catégories extrêmes, l’effet sur les catégories de surpoids commençant de l’adolescence au milieu de la trentaine et celui sur les catégories d’insuffisance pondérale commençant plus tard dans la vie (voir figure 3). Une analyse plus poussée révèle que l’impact sur l’insuffisance pondérale est plus fort chez les femmes, tandis que celui sur l’insuffisance pondérale est légèrement plus prononcé chez les hommes.

Enfin, nous observons également de moins bons indicateurs de santé physique générale dans l’enfance et une incidence plus élevée de divers problèmes de santé à l’âge adulte, tels que le diabète, les maux de dos et le cancer. Nous observons également une détérioration de la santé mentale autodéclarée à l’âge adulte, y compris une probabilité nettement plus élevée d’états dépressifs (voir la figure 4).

Graphique 3 Effet de l’exposition à la fermeture d’un puits par rapport à la population sur les catégories d’IMC extrêmes au cours de la vie

Remarque : Les coefficients sont normalisés.

Graphique 4 Effet de l’exposition à la fermeture de la fosse par rapport à la population sur la déclaration d’états de dépression au cours de la vie

Constatation 2 : Les fermetures de puits sont associées à de moins bonnes conditions de vie chez l’enfant

Qu’est-ce qui peut expliquer l’impact durable de la fermeture des fosses sur la santé ? La figure 5 montre que les fermetures de mines sont corrélées à des conditions de vie plus défavorisées au milieu de l’enfance (10 ans) : les parents sont plus susceptibles d’avoir de moins bons résultats en matière d’emploi, d’avoir pris des semaines d’arrêt de travail pour cause de maladie et de recevoir des prestations ; les enfants reçoivent moins de ressources de la famille, comme en témoignent les dépenses de loisirs et une plus grande propension à recevoir des repas scolaires gratuits ; Enfin, leurs conditions de logement se détériorent selon divers indicateurs. En somme, les enfants touchés connaissent des difficultés économiques dans l’enfance, ce qui peut expliquer une détérioration de leur santé au cours de leur vie.

Graphique 5 Effet de l’exposition à la fermeture de la fosse par rapport à la population sur le milieu de vie des enfants

Constatation 3 : Les personnes exposées aux fermetures de puits pendant l’enfance accumulent moins de richesse, car les adultes et leurs enfants sont en moins bonne santé

Quelle est la persistance de cet effet ? Cela affecte-t-il les conditions économiques à l’âge adulte ? Est-ce que cela se transmet à la prochaine génération ? La figure 6 montre que l’impact économique se répercute tout au long de l’âge adulte, les répondants étant moins susceptibles d’être propriétaires et plus susceptibles de recevoir des prestations, les femmes ayant également tendance à gagner moins (panneau de gauche). De plus, lorsqu’ils ont des enfants, leurs fils et leurs filles ont un départ plus difficile dans la vie : les parents les ont beaucoup plus tôt (adolescence), et les bébés sont plus susceptibles de naître tard et d’avoir eu un problème de santé à la naissance (panneau latéral droit, résultat « Trouble »).

Il est intéressant de noter que l’exposition à des fermetures de fosses dans l’enfance est associée à une meilleure éducation, notamment pour les hommes. Ce résultat concorde avec les résultats antérieurs montrant que les industries manufacturières et minières augmentent le coût d’opportunité de l’éducation, en particulier pour les hommes (Black et coll., 2005, Esposito et Abramson, 2021, Franck et Galor, 2021). Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pourquoi, malgré un niveau d’éducation masculin plus élevé, l’exposition au choc façonne toujours la richesse. Les canaux explicatifs potentiels sont l’impact direct de la santé, de l’héritage et de l’appariement assortatif sur le marché du mariage.

Graphique 6 Effet de l’exposition à la fermeture des puits par rapport à la population des conditions économiques à l’âge adulte et aux enfants des répondants

Constatation 4 : La migration est une stratégie d’atténuation imparfaite

À la suite de chocs économiques locaux, la migration vers les opportunités est une stratégie d’adaptation naturelle. Dans notre cas, c’est l’option privilégiée par le gouvernement et la raison invoquée pour écarter tout soutien ciblé supplémentaire. Les études longitudinales permettent de suivre les déménageurs. Nous observons trois faits principaux concernant la migration (voir la section 5.4 dans Brey et Rueda 2024). Premièrement, les fermetures de fosses n’ont pas déclenché de mobilité plus tard dans la vie. Au contraire, la probabilité de migrer diminue. Bien que les incitations à l’émigration aient été accrues, les ressources pour le faire ont diminué, un effet semble dominer. Deuxièmement, les migrations n’étaient pas accessibles à tous. Ceux qui ont émigré sont nés dans des familles dont les mères et les pères étaient plus instruits ou qui avaient moins de liens locaux (parents plus jeunes de familles monoparentales). Enfin, l’impact du choc est atténué mais ne s’inverse pas complètement après la migration. Dans l’ensemble, nos résultats suggèrent que la migration n’était pas une solution parfaite. L’accès à ce service a été inégalement réparti et ceux qui ont migré en subissent encore les effets négatifs.

Leçons

Nos recherches montrent que la désindustrialisation peut affecter durablement le niveau de vie, et que les effets se répercutent sur plusieurs générations. Ces résultats sont saillants dans les débats politiques actuels sur les niveaux croissants d’inégalité et de pauvreté dans les pays développés (par exemple, Institute for Fiscal Studies, 2024). Ils soulignent qu’en l’absence de tout soutien supplémentaire, les personnes nées dans des endroits que les industries ont laissés derrière elles portent des cicatrices sanitaires et économiques qui sont transmises à la génération suivante. Ces conséquences à long terme ne sont pas résolues par l’accès à de meilleures opportunités. Peu de gens bougent, et ceux qui le font gardent une cicatrice.

Références

Groupe parlementaire multipartite sur les communautés houillères (2023), « Prochaines étapes du nivellement des anciens bassins houillers ».

Allen, RC (2009), La révolution anglaise dans une perspective mondiale, Cambridge University Press.

Autor, D, D Dorn et G Hanson (2019), « Quand le travail disparaît : le déclin de l’industrie manufacturière et la baisse de la valeur marchande des jeunes hommes », American Economic Review : Insights 1(2) : 161-178.

Autor, D, D Dorn, G Hanson et K Majlesi (2020), « Importer la polarisation politique ? Les conséquences électorales de l’exposition croissante au commerce », American Economic Review 110(10) : 3139-3183.

Black, D, T McKinnish et S Sanders (2005), « L’impact économique du boom et de la récession du charbon », The Economic Journal 115 (503) : 449-476.

Blum, M, C L Colvin et E McLaughlin (2022), « Cicatrices et sélection dans la grande famine irlandaise », medRxiv.

Brey, B et V Rueda (2024), « La mort du roi du charbon et les cicatrices de la désindustrialisation », document de travail du CEPR 19082.

Case, A (2020), « Morts de désespoir », VoxEU.org, 17 février.

Case, A et A Deaton (2020), Morts de désespoir et l’avenir du capitalisme, Princeton University Press.

Esposito, E et S F Abramson, « La malédiction du charbon européen », Journal of Economic Growth 26 (1) : 77-112.

Fernihough, A et K Hjortshøj O’Rourke (2021), « Le charbon et la révolution industrielle européenne », The Economic Journal 131 (635) : 1135-1149.

Franck, R et O Galor (2021), « Fleurs du mal ? Industrialisation et développement à long terme », Journal of Monetary Economics 117 : 108-128.

Hatton, T (2014), « Coquelicots courts : l’apogée des militaires de la Première Guerre mondiale », VoxEU.org, 9 mai.

McCann, P (2018), « Perceptions de l’inégalité régionale et géographie du mécontentement : perspectives du Royaume-Uni », Études régionales 54(2) : 256-267.

Moretti, E (2022), « Politiques basées sur le lieu et inégalités géographiques», dans The Deaton Review, Institute for Fiscal Studies.

Overman, H et X Xu (2022), « Disparités spatiales sur les marchés du travail », dans The Deaton Review, Institute for Fiscal Studies.

Pomeranz, K (2000), La grande divergence, Princeton University Press.

Rodríguez-Pose, A (2018), « La revanche des lieux qui n’ont pas d’importance », VoxEU.org, 6 février.

Rodríguez-Pose, A, L Dijkstra et H Poelman (2024), « La géographie du mécontentement de l’UE et le piège du développement régional », VoxEU.org, 1er mai.

Stansbury, A, D Turner et E Balls, « Comment s’attaquer aux inégalités régionales au Royaume-Uni : Focus sur les STEM, le transport et l’innovation », VoxEU.org, 6 mars.

Wrigley, E A (2010), L’énergie et la révolution industrielle anglaise, Cambridge University Press.