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ESAT : l’exploitation brutale des travailleurs handicapés
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
1500 « Etablissements et services d’accompagnement par le travail » (ESAT) couvrent le territoire français et font travailler près de 120 000 personnes. Ces structures ne sont pas des entreprises mais des « centres médico-sociaux », qui font de la sous-traitance pour des collectivités ou des entreprises privées. Créées dans les années 1950 par des associations, ces structures avaient pour but d’offrir un travail et une qualification à des travailleurs handicapés, et ainsi de « favoriser leur intégration ». Mais elles se sont très rapidement transformées en un système d’exploitation intensive au profit des entreprises qui font appel à elles.
Protection minimale, exploitation maximale
Le premier élément à souligner est que les travailleurs d’un ESAT ne sont officiellement pas des salariés, mais des « usagers » d’un centre médico-social. Cela signifie qu’ils ne sont pas couverts par le Code du travail. Ils ne bénéficient donc pas des mêmes droits et de la même protection sociale que les autres travailleurs.
Ils n’ont pas le droit au salaire minimum : leur rémunération doit légalement représenter entre 55 % et 110 % du SMIC, mais elle tourne le plus souvent autour des 750 euros mensuels pour un temps plein. Ce salaire très faible est censé être complété par l’Allocation aux adultes handicapés (AAH), mais celle-ci est parfois réduite, voire purement et simplement supprimée, lorsque la personne qui en bénéficie est employée dans un ESAT.
Les travailleurs des ESAT n’ont le droit ni aux allocations de licenciement, ni aux allocations de chômage, pas plus qu’ils n’ont le droit de faire appel aux prud’hommes ou à l’inspection du travail. Leur pension de retraite est très souvent dérisoire, car elle est calculée sur la base de leurs faibles rémunérations.
Officiellement, les ESAT doivent fournir un travail adapté à chaque handicap, mais les exigences sont en réalité souvent les mêmes que dans n’importe quelle entreprise du secteur concerné. Les tâches confiées aux travailleurs handicapés sont la plupart du temps ingrates et répétitives, mais très rentables pour les patrons qui font appel aux ESAT.
Les ESAT fournissent de la force de travail à des entreprises « normales », particulièrement dans le secteur automobile, le maraîchage, la menuiserie, le nettoyage, la restauration et les espaces verts. Pour trouver des contrats, ces structures sont en concurrence entre elles, mais aussi avec les entreprises des secteurs concernés. Elles sont soumises aux lois du marché et donc à un impératif de productivité. Cela signifie que, trop souvent, un encadrement humiliant et infantilisant soumet les travailleurs à des cadences « infernales », sans regard pour leur handicap.
L’objectif officiel des ESAT est d’aider à l’intégration des travailleurs handicapés, dont une bonne partie devrait donc logiquement n’y faire que passer, avant d’aller travailler dans une entreprise « classique ». Mais le départ d’un travailleur d’ESAT est conditionné à l’approbation de l’équipe encadrante, que la logique de productivité et de rentabilité pousse à garder les meilleurs éléments, qui pourraient travailler ailleurs, et à se débarrasser des moins productifs. Sans surprise, seuls 0,5 à 2 % des « usagers » quittent donc un jour leur structure pour rejoindre le marché de l’emploi conventionnel.
Seule la lutte paie
Tout cela est encouragé par l’Etat français qui finance ces établissements en versant pour chaque travailleur une « aide au poste » équivalente à plus de 50 % du SMIC. France Travail contribue aussi à ce scandale, car, contrairement à son prédécesseur Pôle Emploi, la nouvelle agence peut demander à accéder à la liste des allocataires de l’AAH pour pouvoir orienter vers des ESAT les demandeurs d’emplois handicapés. Il n’est ainsi pas rare que les travailleurs licenciés pour inaptitude (par exemple à la suite d’un accident du travail) soient forcés d’intégrer un ESAT. Un certain nombre des travailleurs d’ESAT pourraient pourtant travailler dans une entreprise classique et sont donc contraints d’intégrer ces structures qui tendent à les couper du monde du travail.
Pour les entreprises qui font appel à eux, les ESAT représentent une force de travail captive, exploitable à volonté et dont l’emploi est même subventionné par l’Etat. Nombre d’associations de défense des droits des handicapés critiquent ce système hypocrite qui, sous couvert de lutte contre la discrimination, organise une exploitation impitoyable. C’est ce qu’elles appellent le « business du handicap ».
Ces dernières années, des enquêtes de journalistes et des mobilisations associatives ont permis d’améliorer légèrement la situation des travailleurs des ESAT. Depuis janvier 2024, ils ont notamment obtenu le droit de faire grève et de se syndiquer. Mais leur situation reste globalement la même.
Dans les années qui ont suivi mai 68, les CAT (les ancêtres des ESAT) avaient connu de nombreuses luttes. En 1977, à Besançon, un CAT avait même été occupé par ses travailleurs grévistes. Ce n’est qu’en renouant avec ces traditions de lutte et en se liant au mouvement ouvrier que les travailleurs des ESAT pourront réellement améliorer leurs conditions de vie et de travail, et en finir avec l’exploitation du handicap par le capitalisme.