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Luttes urbaines à Marseille
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.zones-subversives.com/2024/08/luttes-urbaines-a-marseille.html
Le centre-ville populaire de Marseille subit les mutations du capitalisme et le clientélisme des pouvoirs publics. Les terrasses chics et la location touristique remplacent les logements réservés aux habitants et habitantes. Néanmoins, de la mobilisation de la Plaine à la lutte du quartier de Noailles, les résistances urbaines tentent de s'opposer aux mutations urbaines.
Le centre ancien et pauvre de Marseille subit une rénovation urbaine. Les appartements sont divisés et les prix des loyers doublent. En 2018, des immeubles de la rue d’Aubagne s’effondrent et les arrêtés de péril se multiplient. En 2024, les logements insalubres côtoient les appartements loués en Airbnb aux touristes anglo-saxons. L’effondrement des immeubles le 5 novembre 2018 pose des questions politiques. Le défaut d’entretien et l’absence de réhabilitation expliquent cette catastrophe.
L’effondrement découle de l’abandon des syndics, des propriétaires et des promoteurs mais aussi des pouvoirs publics et de la municipalité. Cet effondrement rend le mépris évident et terrifiant. Désormais, les immeubles fissurés côtoient les meublés loués en Airbnb. Malgré le changement politique à la mairie, le capitalisme néolibéral perdure. Ce contraste de classe alimente des luttes urbaines. Victor Collet se penche sur les résistances à Marseille dans le livre Du taudis au Airbnb.
Noailles en colère
L’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne apparaît comme une crise morale et politique. Huit personnes meurent sous les décombres. La mairie est responsable de l’abandon de ces logements et de sa population. De plus, certains élus de la majorité font partie des propriétaires de logements insalubres. Ils figurent parmi les « marchands de sommeil ». Après la catastrophe, les élus sont plus préoccupés pour sauver leur poste plutôt que d’offrir la moindre marque de sollicitude aux endeuillés.
La communication municipale vise à amoindrir, à nier ou à contourner l’ampleur des responsabilités. Le collectif du 5 novembre – Noailles en colère lance une immense marche blanche le 10 novembre 2018. Ce collectif pallie les défaillances de la mairie. Il assure le soutien psychologique aux victimes, l’entraide entre personnes délogées, l’aide juridique, le lien entre associations et collectifs de quartier. Une marche de nuit affronte les forces de l’ordre. Les violences policières déclenchent un début d’émeute.
Une nouvelle manifestation est lancée le 1er décembre. Une quinzaine de milliers de personnes convergent avec un cortège de Gilets jaunes devant la mairie. Les CRS font pleuvoir les gaz lacrymogènes sur l’esplanade. Ce qui déclenche une émeute. Le mobilier urbain et les grilles du marché de Noël s’accumulent sur la chaussée. Les sapins flambent. Des boutiques sont pillées. Un CRS tire sur Zineb Redouane venue à sa fenêtre pour fermer les volets. L'octogénaire décède dans la nuit. La manifestation du 8 décembre se heurte également à une répression brutale avec de nombreux blessés graves et des peines lourdes.
Cependant, le collectif du 5 novembre cesse d’organiser des manifestations pour négocier une charte du relogement avec la mairie. Les stratégies divergent. Les associations de gauche préparent les élections municipales tandis que les manifestants restent dans la rue et rejoignent les Gilets jaunes. Les militants gauchistes retournent dans leur quartier de la Plaine. « Les effondrements, ça a vraiment bousculé la population marseillaise. Et ça a poussé les militants mais aussi tout un tas de gens qui militaient pas forcément à vraiment secouer le système », témoigne Maria.
Assemblée de la Plaine
Dans le quartier alternatif de la Plaine, une lutte s’oppose à la rénovation urbaine. Un chantier de 20 millions d’euros doit accélérer la gentrification du quartier. Les terrasses branchées se sont déjà imposées. Le lien avec la lutte de Noailles se tisse. Certes, face au drame de l’effondrement d’immeubles, la mobilisation de la Plaine semble insignifiante. Néanmoins, les deux mouvements s’opposent à la politique urbaine de la mairie. Le slogan « Vingt millions pour détruire la Plaine, pas une thune pour sauver Noailles : à qui profite le crime ? » relie les deux luttes. La place publique et marchande prime sur le bâti et l’habitant.
L’assemblée de la Plaine est créée en 2012 contre la vidéosurveillance. Elle se veut ouverte et indépendante, en dehors des réseaux clientélistes et des relais de la mairie. L’année internationale de la Culture provoque une vague d’expulsions entre 2013 et 2015. Le chantier de la Plaine débute, encadré par un important dispositif policier. De nombreux arbres sont abattus. Une manifestation festive réunit une importante partie de la population du quartier. Les soutiens vont du Parti socialiste aux activistes de la gauche radicale. Les milliers de manifestants parviennent à obtenir la suspension du chantier.
Cependant, la mairie parvient à imposer ses projets. Un mur est construit pour « pacifier » le quartier. L’Assemblée de la Plaine remarque que la mairie reprend le vocabulaire de la guerre d’Algérie. Cependant, les divisions permettent de fracturer cette opposition massive. Les petits commerçants redoutent des dégradations et ne participent plus à ce mouvement. Le drame de Noailles déplace la lutte vers ce quartier. Des militantes de la Plaine participent aux assemblées de Noailles. Cependant, ces réunions sont investies par des politiciens et des syndicalistes davantage que par la population du quartier.
Les militantes de la Plaine se tournent alors vers un soutien pratique à la lutte de Noailles à travers des collages pour élargir l’audience du mouvement. L’assemblée de la Plaine s’oppose au chantier mais ne se préoccupe pas du problème du logement. Ce groupe propose peu d’actions et de solutions concrètes face aux évacuations dans le quartier de la Plaine. La sécurité des habitants n’est pas une priorité. Des squats militants s’auto-expulsent et appellent même à « reconstruire autrement » selon le mot d’ordre des institutions. Le traumatisme de 2018 impose un sentiment d’impuissance.
Reflux des luttes
L’effondrement des immeubles permet de déclencher une guerre contre les pauvres. Les arrêtés de péril se multiplient et des habitants sont délogés. Un an plus tard, 300 immeubles et 3000 personnes sont évacués. Alors que les effondrements ont permis de rassembler et de renforcer la solidarité, les délogements divisent. Ils dispersent géographiquement, socialement et émotionnellement. Certaines évacuations expéditives sans procédure ressemblent à des expulsions déguisées. Mais la peur de l’effondrement favorise ces évacuations de la population.
Après le reflux de la dynamique de lutte, c’est l’expertise qui l’emporte. Des revendications sont élaborées pour une politique urbaine alternative. Le Manifeste pour une Marseille vivante et populaire ouvre la voie vers l’alternance municipale. La dérive institutionnelle prime désormais sur les luttes sociales. Le mouvement de la rue d’Aubagne est désormais éclaté. « L’écartèlement des factions qui le composaient atteint vite son paroxysme : entre celles qui regardent l’hypothèse d’un changement municipal ou politique, comme l’aboutissement des luttes de novembre, et celles qui restent rivées sur les rapports de force dans la rue ou leur indépendance, sans autre stratégie que la destitution », observe Victor Collet. Le texte « Au nom de qui parle le collectif du 5-novembre ? » dénonce la récupération électoraliste de la lutte de la rue d’Aubagne.
Le Printemps marseillais, union électorale de la gauche, remporte les élections. La liste se veut ouverte et citoyenne. Mais c’est Benoît Payan, dirigeant du Parti socialiste, qui devient maire. Surtout, l’alternance politique ne provoque pas de grands changements. Pour rénover les services et leurs pratiques, la nouvelle mairie fait appel aux anciennes directions. La réorganisation est confiée à l’ancienne directrice des affaires juridiques de la ville sous Gaudin. Ensuite, la multiplication des arrêtés de péril attire les convoitises des spéculateurs immobiliers. Les évacuations permettent au capitalisme de plateforme de racheter les bâtiments. Avec Airbnb, des multipropriétaires développent la très lucrative location touristique.
Luttes pour le logement et restructuration urbaine
Le livre de Victor Collet permet de retracer l’histoire récente des luttes urbaines à Marseille. Il décrit bien divers phénomènes qui s’entrechoquent. Victor Collet évoque évidemment le capitalisme particulièrement féroce dans le secteur de l’immobilier. Il se penche également sur l’impuissance et la collaboration des mairies de droite ou de gauche. Mais le livre de Victor Collet permet également d’analyser les clivages qui traversent ces luttes urbaines. Différentes fractions du prolétariat peuvent s’allier dans des manifestations communes. Mais les pratiques sociales et culturelles creusent des divergences.
La gauche semble bien incarnée par le milieu militant de la Plaine. Cette mouvance cible la « gentrification » et défend avant tout un mode de vie pas forcément bourgeois mais clairement bohème. Néanmoins, les bars alternatifs et le milieu de la fête de gauche peuvent aussi servir de marchepied de la gentrification. Ces espaces sociaux restent colonisés par la gauche avec sa composition de travailleurs de l’éducation et du socio-culturel. Les prix des établissements augmentent, mais c’est avant tout l’ambiance décontractée qui doit être préservée.
Cette gauche culturelle dominée par la classe moyenne semble éloignée des préoccupations concrètes des classes populaires. Les pratiques sociales dans la lutte de Noailles ne relèvent pas de l’alternitivo-festif, mais avant tout de la solidarité concrète. La question du logement devient centrale. Les militants de gauche préfèrent se focaliser sur l’urbanisme et sur la préservation de ses rituels festifs. Certes, cet enjeu demeure important. Mais il tend à effacer la question du logement. Ce qui ne permet pas de mener une lutte contre les expulsions et contre les augmentations de loyers.
La pratique de l’occupation ou de l’auto-réduction s’est développée au Portugal et en Italie dans un contexte d’intensification des luttes sociales. Désormais, le squat alimente la marginalité alternativo-festive mais ne permet pas toujours d’impulser des luttes pour le logement. Pourtant, la lutte de Noailles mais aussi les luttes dans les quartiers populaires permettent de s’opposer aux projets de Plan local d’urbanisme. Ces luttes permettent également de tisser des solidarités pour sortir de l’isolement du locataire face à son bailleur. Ces luttes locales peuvent même ouvrir des perspectives de transformation sociale.
Source : Victor Collet, Du taudis au Airbnb. Petite histoire des luttes urbaines à Marseille (2018-2023), Agone, 2023
Extraits publiés sur le site du journal CQFD
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Luttes de l'immigration à Nanterre
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Pour aller plus loin :
Vidéo : Rencontre avec Victor Collet, diffusé par Bibliothèques de Marseille le 25 mai 2024
Radio : Du taudis au Airbnb : petite histoire des luttes urbaines à Marseille (2018-2023), diffusée sur Actualité des luttes le 10 juin 2024
Victor Collet, « Vis ma (vraie) vie de Marseillais∙e » : du taudis au Airbnb, paru dans lundimatin#425, le 23 avril 2024
Emma Zucchi, À la ville, à la mort, publié dans le journal Ventilo le 12 juin 2024
« Du taudis au Airbnb », publié sur le blog Langue sauce piquante le 25 avril 2024
Maya Mihindou, Marseille : histoires d’un 5 novembre, publié sur le site de la revue Ballast le 5 novembre 2020
Camille François & Kevin Vacher & François Valegeas, Marseille : les batailles du centre-ville, publié sur le site Métropolitiques le 29 novembre 2021
Vincent Geisser, Marseille, la fin d’un système politique ?, publié sur le site Métropolitiques le 15 mars 2021
Articles sur Marseille publiés sur le site Métropolitiques
Articles sur Marseille publiés sur le site lundimatin
Articles de Victor Collet publiés dans le portail Cairn
Articles de Victor Collet publiés sur le site de la revue Contretemps