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    "Barnier : le programme de la droite" par Henri Sterdyniak

    Lien publiée le 21 septembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://blogs.mediapart.fr/les-economistes-atterres/blog/210924/barnier-le-programme-de-la-droite

    Henri Sterdyniak, des économistes atterrés, analyse ce que sera la politique économique de Barnier comme premier ministre : la poursuite d'une politique en faveur des plus riches, des entreprises au détriment des salariés et des plus précaires et qui ne peut engager la transition écologique.

    En juin 2024, nous avions analysé les programmes des partis politiques du RN, d’Ensemble, du NFP en oubliant celui des Républicains  (LR, par la suite) tant il nous semblait peu probable que ceux-ci reviennent au pouvoir. En fait, bien que ceux-ci ne représentent que 8 % des députés, c’est l’un des leurs qu’Emmanuel Macron a nommé premier ministre, Michel Barnier, qui aura la responsabilité de nommer, puis de conduire le gouvernement, qui pourrait comporter beaucoup de LR. Analyser leur programme devient donc nécessaire. Nous nous appuierons sur le Pacte législatif qu’ils ont publié en Juillet 2024 et aussi sur leur programme pour les élections législatives.

    De la démocratie

    Ainsi, gouvernerait un parti qui n’a que 8 % des députés, qui a été désavoué aux dernières élections européennes (7,2% des voix) et législatives (6,6 % des voix), un parti qui a refusé de participer au Front républicain contre le RN. C’est la triste conséquence de la montée du RN qui a fait glisser à droite le point médian de l’Assemblée nationale. En même temps, si ce glissement est net en matière d’immigration et de sécurité, il n’est pas si avéré en matière sociale où le RN fait illusion pour attirer les votes des classes populaires, en particulier en prônant l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 ou la baisse de la TVA (mais sans autre financement que les gains illusoires de la suppression des aides aux immigrés). Ainsi, Michel Barnier peut-il espérer gouverner avec les députés de l’ex-majorité et de la droite (respectivement 29 et 8 % des députés) et l’abstention du RN (25 % des députés), en se calant sur le programme du RN en matière d’immigration et de sécurité. En apparence, il sera soutenu par une majorité de députés, la démocratie sera respectée. En réalité, les électeurs du RN n’ont pas voté pour le retour au pouvoir de la droite classique.

    La gauche n’a que 34 % des sièges à l’AN ; ce n’est pas suffisant pour engager une rupture économique et sociale ; rien ne sera possible pour elle tant qu’elle n’aura pas repris au RN une partie des classes populaires.

    La nomination de Barnier marque la poursuite du glissement accéléré depuis en 2014 ; l’axe principal de la politique économique est ouvertement le néolibéralisme, le soutien aux entreprises et aux plus riches, ceci au détriment des droits des salariés et de la protection sociale. De ce point de vue, Barnier est Macron-compatible.  Mais ce programme se heurte à la réalité : il ne permet pas la forte croissance qui était son objectif, il induit donc un fort déficit public. Il provoque un rejet des classes populaires (qui malheureusement se tournent, en grande partie, vers le RN).

    La social-démocratie qui veut concilier le soutien aux entreprises et le développement de l’État social est moribonde, tant sur le plan économique que sur le plan politique, de sorte que ce n’est pas Bernard Cazeneuve qui a été nommé premier ministre, puisqu’il aurait dû, quand même, marquer une certaine inflexion par rapport au néolibéralisme de Macron, inflexion que Macron a refusée, qu’il s’agisse de mettre en cause la réforme des retraites ou d’augmenter les salaires. La gauche a choisi la stratégie de « Tout le programme » qui impliquait une rupture nette avec la néoliberalisme, refusant la stratégie d’accommodement de la social-démocratie, qui s’est discréditée sous François Hollande.

    De la situation économique

    En 2023, la France a eu un déficit public de 5,5 % du PIB, soit 3,8 % de déficit primaire (c’est-à-dire hors charges d’intérêt). Ce déficit s’aggraverait à 5,6 % en 2024.  Par ailleurs, la France devrait avoir un solde extérieur en quasi-équilibre en 2024[1].

    Selon les nouvelles règles budgétaires européennes, basées sur l’hypothèse que le taux d’intérêt sera à l’avenir proche du taux de croissance, la France doit se donner un objectif d’un excédent budgétaire primaire de 1 % dans 7 ans, afin d’engager la baisse de son ratio de dette. Cela suppose un effort de 4,8 % du PIB (140 milliards), donc de 20 milliards par an pendant 7 ans (0,7 % du PIB). Cette exigence oublie que cet effort aura un impact dépressif sur l’activité, d’autant plus s’il se faisait par baisse des dépenses sociales et des ressources des services publics. En toute rigueur, avec une croissance a priori poussive (1 % l’an) et un effort budgétaire de 0,7 point de PIB, la croissance ex post doit être nulle.  La France aurait dû envoyer à Bruxelles, le vendredi 13 septembre un plan fiscalo-structurel présentant cette stratégie, avec une description précise des mesures envisagées. Barnier est confronté à une tâche impossible. Il est aisé de comprendre que les partis censés soutenir cette politique soient réticents.

    La stratégie alternative consisterait à chercher des mesures réduisant le déficit public, donc ponctionnant les agents les plus riches (ménages et entreprises) à fort taux d’épargne pour financer des dépenses à fort impact sur la demande (investissements directs, prestations aux plus pauvres). Cette stratégie serait d’autant plus facile à mettre en œuvre que la BCE soutiendrait l’activité en poursuivant la baisse de son taux directeur. Par ailleurs, la France devrait faire valoir à Bruxelles que son déficit public correspond en quasi-totalité à l’épargne d’agents français, qu’il ne crée pas de surchauffe économique ou d’inflation, que, suivant Draghi, l’UE a besoin d’une forte hausse de l’investissement, incompatible avec la réduction des déficits budgétaires ; elle chercherait des alliés en Europe sur ces bases. Cette stratégie n’est pas d’actualité aujourd’hui.

    Le Pacte législatif

    Le 20 juillet, les Républicains ont proposé un Pacte législatif d’urgence. Celui-ci prétend « Revaloriser le travail, restaurer l’autorité ». Revaloriser le travail est maintenant un thème récurrent de la droite, mais il s’agit de réduire les prestations d’assistance et les prestations chômage, pas d’augmenter les salaires ou de donner plus de droits aux salariés.

    La Pacte comporte trois lignes rouges :

    -Arrêter la dégradation des comptes publics. LR évoquent les 25 milliards d’économies de leur programme législatif (en fait 11,4 milliards en net (voir annexe) qui sont loin des 140 milliards requis). Ils proposent d’adopter la règle d’or qui s’applique déjà aux collectivités locales (le déficit ne doit correspondre qu’aux investissements nets), en oubliant le rôle régulateur que doivent jouer les finances publiques.

    -Pas de hausses d’impôt. Mais, ce sont les baisses d’impôt (76 milliards depuis 2017 qui expliquent le creusement actuel du déficit. Et la baisse des dépenses demande plus de délais et pèse souvent sur les ménages les plus pauvres.

    - Aucune baisse des retraites. Les retraites doivent être indexées sur l’inflation. Les LR refusent la proposition que l’on entend beaucoup parmi les économistes libéraux : réduire le déficit en désindexant les retraites et les autres prestations. Notons que cette mesure remettrait en cause la fiabilité du système de retraite publique, qui ne doit pas être considéré comme un moyen d’ajustement des finances publiques.

    Le Pacte comporte trois axes.

    L’Axe 1 mélange insécurité et immigration.  Ce qui ne peut que plaire au RN.

    • Augmenter les peines, les faire appliquer réellement, instaurer des peines planchers, construire des prisons, assurer une présomption de légitime défense aux forces de l'ordre, supprimer les prestations familiales aux familles des condamnés mineurs, lutter contre le trafic de drogues. Par contre, la police de proximité et la nécessaire refonte des modes d’intervention de la police sont oubliées. Certes, le sentiment d’insécurité est exacerbé par les médias Bolloré, mais la lutte contre le trafic de drogues est effectivement un impératif.
    • Transformer l’AME en AMU, ne verser les aides sociales qu’après une certaine durée de présence en France, mettre en place des quotas migratoires, durcir les conditions du regroupement familial, reprendre les dispositions de la loi Immigration refusée par le Conseil constitutionnel en passant si nécessaire par un referendum. Barnier mettra-t-il en œuvre cette partie du programme directement inspiré par le RN, contraire à la Constitution et (comment dire ?) ignoble ?
    • Faire respecter la laïcité, lutter contre le communautarisme. Malheureusement, la laïcité semble être devenue une valeur de droite. Notons cependant que le Pacte ne dit rien sur le développement des écoles privés prétendues catholiques, qui permettent en fait la ségrégation scolaire, ni sur le Concordat.

    L’Axe 2 prétend favoriser la production en France plutôt que les importations polluantes

    • Poursuivre la baisse des impôts de production et taxer les importations polluantes. Jusqu’à présent, la baisse des impôts de production n’a guère permis de relancer l’industrie. Et l’OMC ne permet de taxer les importations polluantes que si les pollutions en France sont taxées au même niveau.
    • Créer un moratoire sur les normes ; mettre en place une écologie de projet, plutôt que de normes. Il s’agit en fait de renoncer aux ambitions écologiques pour satisfaire le patronat.
    • Revenir sur l’interdiction de louer les logements mal isolés.
    • Baisser les impôts sur les successions pour les chefs d’entreprises. Ceux-ci ne sont déjà taxés au maximum qu’à 11,25 % grâce au Pacte Dutreil.
    • Investir dans le nucléaire. Relancer le ferroviaire Oui, bien sûr.
    • Supprimer la hausse de la taxe carbone. Augmenter le prix des émissions de gaz à effet de serre est une composante indispensable de la lutte contre le changement climatique. Les recettes de la taxe doivent être utiliser à compenser les ménages les plus pauvres.

    S’y ajoute un axe dit d’encouragement au travail : 

    -Élargir la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires, de l’intéressement, de la participation et l’actionnariat salarié. Ce serait inciter les entreprises à multiplier les rémunérations extra-salariales au détriment de la Sécurité sociale, et donc des prestations sociales.

    -  faciliter les donations parents / enfants. Le contre-budget LR prévoyait une forte baisse des droits de successions (annulés jusqu’à 1 million d’héritage). 60% du patrimoine provient déjà de l’héritage, qui est un dispositif injuste, une des causes essentielles des inégalités sociales. 

    - Réformer l’assurance chômage. Faut-il redire que l’assurance-chômage doit être gérée par les partenaires sociaux ?  Par ailleurs, l’Unedic est actuellement en large excédent.

    - Instaurer une aide sociale unique plafonnée à 70 % du SMIC. C’est une mesure mal pensée qui nuirait aux familles pauvres (voir l’encadré)  

    Une aide sociale unique ?

    LR veut plafonner les aides reçues par un ménage à 70 % du SMIC.  En fait, fin 2023, un salarié au SMIC a un salaire net de 1383 euros, reçoit 228 euros de prime d’activité, soit un revenu mensuel de 1611 euros.  Un célibataire au RSA reçoit 829 euros (51 % du revenu du smicard, 60% du Smic net, 38% du revenu médian par unité de consommation qui est de 2178 euros). Il n’est pas concerné par la mesure LR.

    Un couple avec 3 enfants dont un seul des conjoints travaille, reçoit un total de prestations de 1500 euros, soit un revenu de 2883 euros, mais 1201 euros par unité de consommation ; il est plus pauvre que le célibataire au SMIC, même si ses prestations sont de 108 % du SMIC.

    Un couple au RSA avec 3 enfants reçoit 2070 euros de prestations, soit 862 euros par unité de consommation. Son revenu est de 72 % du couple avec 1 SMIC. Faut-il le réduire à 70 % du Smic, soit 968 euros (-53 %) ? Son revenu par UC est actuellement de 40 % du revenu médian ; il serait à 18,5 % de ce revenu.

    La mesure serait donc catastrophique pour les familles pauvres. La coupler avec la hausse du plafond du QF est particulièrement déplaisant.

    Le contre-budget présenté par LR comportait aussi :

    • La hausse de 5 à 10 % des salaires jusqu’à 3 SMIC financée par la baisse des cotisations salariales Mais comment financer les retraites ? La mesure a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel car il faut maintenir un financement des retraites par des cotisations contributives.
    • De forte réduction d’impôt pour les bailleurs privés. Faut-il créer de nouvelles niches fiscales qui incitent à des placements immobiliers à rentabiliser, donc à des loyers chers, quand est nécessaire un effort massif de construction de logements sociaux ?

    L’Axe 3 prétend renforcer les services publics de proximité et promouvoir les libertés locales

    • Réformer l’hôpital, faire confiance à la médecine de ville, développer les maisons et centres de santé privés. Débureaucratiser la santé. Mais il n’est pas question, au contraire de donner plus de moyens aux hôpitaux, de créer des maisons de santé publiques. Le projet oublie que ce sont les défaillances de la médecine privée qui sont responsables des déserts médicaux, de l’afflux aux urgences, des dépassements d’honoraires.
    • Recentrer l’école sur les savoirs fondamentaux, promouvoir le mérite, favoriser l’autonomie des établissements. Certes, le mérite doit être récompensé, mais c’est tous les élèves qu’il faut promouvoir en cherchant à compenser les écarts initiaux dus au capital culturel des parents. Faut-il renforcer la disparité entre établissements scolaires ? Renforcer la laïcité à l’école. Oui, certes, mais aussi en luttant contre l’enseignement catholique privé.
    • Supprimer les agences inutiles. Reste à les définir. Par contre, on ne peut qu’approuver la proposition reprise à la gauche de réduire (voire supprimer le recours aux cabinets de conseil privés).
    • Donner plus de pouvoir aux maires en matière d’urbanisme, réformer la loi SRU et la loi ZAN. Ce serait favoriser le clientélisme et l’entre-soi ; la réforme de la loi SRU permettrait aux communes riches de ne pas construire de logements sociaux ; celle de la loi ZAN de poursuivre l’artificialisation des terres.

    Pour conclure, le programme des LR était un programme de droite classique, oublieux des contraintes écologiques, favorables au patronat et aux riches ; il se heurte de plus aux contraintes budgétaires qu’il se refuse à mettre en cause ; il a été refusé par les électeurs. Un gouvernement Barnier avec une forte présence de LR serait un scandale démocratique, mais aussi un regrettable retour en arrière.

    Annexe : le chiffrage du programme des LR pour la première année selon leur contre budget.

    • Baisse des taxes sur les carburants : coût 5 Mds€ (une mesure anti-écologique)
    • Baisse des droits de successions : coût 2 Mds€ (renforce les inégalités sociales)
    • Baisse de la CVAE : coût 1Mds€
    • Baisse des cotisations employeurs : coût 1 Mds€ (un coût sous-évalué)
    • Hausse du plafond du QF : coût 1,8 Mds€ (pour les familles riches)
    • AF universelles dès le 1er enfant : coût 1,4 Mds€
    • Élargir les PTZ : coût 1 Mds€
    • Réformer les prestations chômage : gain 6 Mds€ (mais l’Unédic est déjà en excédent)
    • Allocation de solidarité unique : gain 2,7 Mds€ (au détriment des familles pauvres)
    • Réforme de l’AME et de l’hébergement des immigrés : Gain 1,5 Mds€
    • Baisse des aides au développement : 2, 5 Mds€.
    • Lutte contre la fraude sociale = 2 Mds€ (et la fraude fiscale ?)
    • Recentrage du CIR : 2 Mds€
    • Taxation du transport maritime : 3 Mds€ (chiche...)
    • Économie sur le fonctionnement de l’État : 4 Mds€
    • Contrôle des arrêts de travail, augmentation des délais de carence : 0,7 Mds€
    • Renégociation de la convention fiscale avec le Qatar : 2 Mds (c’est toutes les conventions fiscales qu’il faudrait revoir).

    Total : 11,4 Mds€

    [1] Son besoin de financement ne devrait pas passer 0,6% du PIB.