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    Pourquoi la bulle de l’intelligence artificielle est condamnée à exploser

    Lien publiée le 21 septembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Pourquoi la bulle de l’intelligence artificielle est condamnée à exploser (lvsl.fr)

    Depuis le lancement de ChatGPT il y a bientôt deux ans, les grandes entreprises de la Silicon Valley ne jurent plus que par l’intelligence artificielle. Pendant un an et demi, leurs promesses d’une nouvelle révolution technologique grâce à l’IA ont séduit les investisseurs, qui ont parié énormément d’argent sur ces outils. Mais la bulle spéculative est condamnée à exploser, un premier avertissement ayant eu lieu sur les marchés financiers en août. Dès les prochaines années, les quantités de données et de ressources physiques nécessaires à l’IA risquent en effet de manquer. [1]

    Début août, les sept plus grandes entreprises technologiques américaines ont perdu une valeur combinée de 800 milliards de dollars, les investisseurs ayant liquidé leurs actions dans un mouvement de panique soudain face à l’imminence d’une récession aux États-Unis et à la prise de conscience progressive que la « révolution de l’IA » tant attendue avait été spectaculairement surestimée. Ce marasme boursier est venu couronner 18 mois extraordinaires qui ont suivi le lancement, en décembre 2022, du modèle génératif de langage ChatGTP appartenant à la société Open AI, dont la capacité à produire des écrits et des conversations semblables à ceux d’un être humain a surpris le monde entier. Malgré un rebond partiel des valorisations en bourse depuis août, le sentiment de malaise qui s’installe, à savoir que l’IA ne sera pas à la hauteur de l’extraordinaire battage médiatique qu’elle a suscité, ne s’est pas dissipé pour autant. Goldman Sachs et la banque ING ont ainsi récemment publié des rapports mettant en garde contre les coûts excessifs et les avantages limités de l’IA.

    Cet engouement de la financer pour l’IA avait fini par atteindre des sommets caricaturaux. De vaines spéculations sur une éventuelle « conscience » des machines et la perspective imminente d’un superordinateur tout-puissant – ce que l’on appelle l’intelligence artificielle générale – ont été incessamment alimentées par des prophètes de l’IA tels que Sam Altman, PDG d’OpenAI. Cela a bien sûr contribué à faire grimper les valorisations de sa propre entreprise et bien d’autres dans le domaine de la technologie à des niveaux extraordinaires. Le concepteur de puces Nvidia, dont les semi-conducteurs et cartes graphiques ont été réorientés des jeux vidéo vers les applications d’intelligence artificielle, est ainsi brièvement devenu, en juin dernier, l’entreprise la plus valorisée au monde, ses puces essentielles au processus d’« entraînement » des modèles d’intelligence artificielle à partir d’énormes quantités de données étant en pénurie face à la demande.

    Aujourd’hui, 5,35 milliards de personnes sont en ligne, soit plus que les 4,18 milliards qui ont accès à des toilettes à domicile.

    Pour comprendre pourquoi l’IA est une bulle, il est essentiel de comprendre qu’elle n’est qu’une extension de technologies déjà existantes et très familières. Depuis deux décennies, le modèle économique de base du secteur technologique repose sur la collecte et le traitement d’énormes quantités de données produites par les utilisateurs, ce qui permet d’obtenir des informations précieuses sur le comportement des consommateurs, qui sont vendues aux professionnels du secteur publicitaire. Avec l’arrivée des smartphones à la fin des années 2000, toute une infrastructure technologique s’est rapidement mise en place pour permettre la collecte impitoyable, minute par minute, des données des utilisateurs. Aujourd’hui, 5,35 milliards de personnes sont en ligne, soit plus que les 4,18 milliards qui ont accès à des toilettes à domicile.

    Cette agrégation ahurissante de données humaines constitue une partie de la matière première de l’IA. Associée à des processeurs spécialisés, du type de ceux fournis par Nvidia, la quantité de données est aujourd’hui si importante que de nouvelles applications jusqu’alors irréalisables peuvent être développées – la plus frappante étant la création de logiciels informatiques apparemment capables de tenir une conversation. À nos yeux humains, les résultats peuvent paraître presque magiques : l’ordinateur intelligent pouvant converser avec un humain est un vieux rêve de science-fiction. Dans le même temps, d’incroyables créations artistiques sont à la portée de quelques clics. Il n’est donc pas surprenant que l’IA ait suscité un engouement aussi extraordinaire. Mais elle reste, fondamentalement, une extension de l’industrie de l’extraction de données dans laquelle nous nous sommes tous empêtrés au cours des deux dernières décennies.

    Selon le Wall Street Journal, l’IA sera à court de données provenant de l’ensemble de l’internet et produites par l’ensemble de l’humanité dès 2026.

    Le volume de données extraites est désormais tel que des résultats relevant de la science-fiction semblent aujourd’hui possibles. Mais parce qu’il s’agit d’une industrie extractive, et parce qu’elle doit fonctionner à une échelle aussi vaste, il y a des limites strictes à ce que les technologies actuelles de l’IA peuvent faire. C’est ainsi que la valorisation boursière des entreprises technologiques dépasse largement la réalité économique, créant les conditions d’une bulle spéculative classique. 

    Le premier obstacle est l’épuisement de la matière première que constituent les données humaines. Selon un calcul publié dans le Wall Street Journal, l’IA sera à court de données provenant de l’ensemble de l’internet et produites par l’ensemble de l’humanité dès 2026. Les entreprises spécialisées dans l’IA ont donc pris l’habitude d’utiliser des données générées par l’IA pour essayer d’entraîner leurs machines ! Mais cela produit ce qu’un récent article universitaire a appelé « l’effondrement du modèle » : L’IA cesse de fonctionner lorsqu’elle doit se nourrir d’elle-même. Et plus l’internet sera inondé de « déchets d’IA », moins l’IA sera utile. Un scénario qui met en doute la survie même de l’IA selon le spécialiste Corey Doctorow.

    À l’autre extrémité de la machine d’extraction de données se trouve l’infrastructure matérielle nécessaire pour faire fonctionner ses algorithmes. Cependant, plus les ordinateurs qui exécutent les logiciels sont alimentés en données, plus ils deviennent gourmands en ressources. Les centres de données se multiplient dans le monde entier pour répondre à la demande : Microsoft ouvre actuellement un nouveau datacenter quelque part sur la planète tous les trois jours. Or, ces datacenters exigent d’énormes ressources. Ainsi, un centre de données moyen de Google consomme autant d’électricité que 80.000 ménages. En Pennsylvanie, un complexe de serveurs d’Amazon dispose ainsi d’une centrale nucléaire dédiée à son alimentation en électricité. Pour maintenir au frais ces serveurs bourdonnants, il faut d’énormes volumes d’eau : un nouveau centre de données à grande échelle consomme en général la même quantité d’eau par jour que 40.000 personnes. Il n’est donc pas étonnant que, du Chili à l’Irlande, les protestations contre ces monstres commencent à se multiplier. En Grande-Bretagne, les plans d’expansion rapide de l’IA récemment annoncés par le gouvernement travailliste risquent de se heurter de plein fouet à des réserves d’eau déjà très sollicitées.

    Il existe donc des limites strictes à ce que cette génération d’IA est susceptible d’apporter et cela signifie que la bulle éclatera de nouveau : la réalité ne peut pas être à la hauteur du battage médiatique. Avant qu’elle ne s’effondre, certaines applications réellement utiles dans le domaine médical, par exemple, seront supplantées par la production de « déchets » à but lucratif et, plus inquiétant encore, par l’extension rapide des technologies de l’IA à des fins militaires, comme le tristement célèbre système israélien « Lavender », utilisé pour générer des milliers de cibles pour les forces de défense israéliennes dans la bande de Gaza.

    Alors que le changement climatique s’aggrave et que les contraintes en matière de ressources se font sentir partout dans le monde, il est plus que temps de nous poser de sérieuses questions plus difficiles sur l’engagement extraordinaire que nous prenons en faveur de technologies de plus en plus axées sur le profit et la guerre.

    [1] Article de notre partenaire Novara Media, traduit par Alexandra Knez.