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Entre culture et politique. Le marxisme de Fredric Jameson (1934-2024)
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Fredric Jameson est décédé le 22 septembre 2024, à l’âge de 90 ans. Il laisse derrière lui un riche héritage intellectuel, malheureusement souvent méconnu en France. Son approche singulière des phénomènes culturels a notamment contribué à développer le marxisme anglophone dans la deuxième moitié du XXe siècle. À l’occasion de sa disparition, RP Dimanche s’est entretenu avec son éditeur Sebastian Budgen.
RP Dimanche : Fredric Jameson vient de mourir à l’âge 90 ans. Il a traversé une bonne partie du XXe siècle. Que faut-il retenir de sa trajectoire ?
Sebastien Budgen : Le parcours de Jameson est un parcours universitaire assez classique. Il est né dans le Cleveland, en 1934, dans une famille de classe moyenne. Il fait ses études au College Haverford, avant de partir pour l’Europe en 1954. Il y fait la découverte de la pensée continentale européenne et voyage beaucoup, à Aix-en-Provence, à Munich, à Berlin. A cette époque, l’existentialisme de Sartre agite les débats, mais c’est aussi le début du structuralisme. La première influence déterminante sur Jameson, la plus importante sans doute, c’est celle de Sartre.
Il fait sa thèse à l’université de Yale, en 1959, avec Erich Auerbach, critique littéraire et philologue allemand, sur le style de Sartre, qui donnera plus tard un livre important. Il enseigne à Harvard, de 1959 à 1967, avant de s’installer à l’université de Californie San Diego, de 1967 à 1976. C’est là qu’il fait la rencontre de Marcuse, qui joue un rôle important en le menant du côté du marxisme hégélien. À partir de 1985 et jusqu’à sa mort, il enseigne à l’université Duke, en Caroline du Nord, en tant que professeur de littérature et de romance studies.
Sa carrière universitaire est donc classique mais prestigieuse. Le reste est surtout marqué par ses grands livres. Le premier, en 1961, Sartre : the Origins of a Style. Le deuxième, Marxism and Form, 20th Century Dialectical Theories of Literature, est un livre sur les théories marxistes de la littérature, publié en 1971. Puis, The Prison-House of Language, A Critical Account of Structuralism and Russian Formalism, en 1972. Dans les années 1980, il publie ses deux ouvrages qui sont restés les plus connus : The Political Unconscious, Narrative as a Socially Symbolic Act (1981), et Postmodernism or the Cultural Logic of Late Capitalism (1989).
RPD : Quels étaient ses principaux centres d’intérêts théoriques ? Peut-on dire qu’il a surtout étudié les rapports entre culture et politique ?
SB : Jameson était un esprit très curieux, qui dévorait tout intellectuellement. En effet, il s’est surtout intéressé à la question des rapports entre culture, surtout la littérature, et politique, mais il avait un appétit énorme pour toutes les formes culturelles, surtout le cinéma, sur lequel il a beaucoup écrit, mais aussi l’architecture par exemple. Sa pratique des langues étrangères, sa disposition à voyager souvent, faisait qu’il s’intéressait aux formes culturelles de nombreux pays. Il discutait beaucoup les œuvres de pays non anglophones, notamment de pays du sud. Il se nourrissait de philosophie et bien sûr de marxisme, aussi bien ses hégéliens, l’école de Francfort, qu’Althusser et les structuralistes. Durant ses dernières années, il a exploré d’autres courants du marxisme : la théorie de la communisation par exemple.
RPD : Peux-tu revenir sur sa critique du postmodernisme ? En quoi est-elle originale ?
SB : Dans les années 1980, une grande dispute éclate entre marxistes et défenseurs de ce qu’on appelle maintenant le « postmodernisme », ou le poststructuralisme, le postmarxisme, etc. Dans le monde anglophone, ce débat a donné lieu à de nombreuses interventions, souvent intéressantes mais très virulentes. Les livres d’Alex Callinicos Against Postmodernism, ou de Terry Eagleton, The illusions of postmodernism, assument par exemple une tonalité très polémique. Jameson adressait lui aussi des critiques au postmodernisme, mais il les formulait d’une autre manière. Il pensait qu’il fallait penser le postmodernisme comme l’expression culturelle et intellectuelle d’une phase du capitalisme, le capitalisme tardif. Pour lui, ce n’était pas suffisant de le dénoncer ou de déconstruire intellectuellement le paradigme postmoderne, il ne fallait pas seulement montrer en quoi ces critiques du marxisme étaient fallacieuses, l’enjeu était plutôt de comprendre d’où ça venait et qu’est-ce que ça exprimait par rapport à la culture, à l’époque, à la phase spécifique, disons, du capitalisme américain, et du capitalisme en général. C’est une approche critique, mais plus subtile.
RPD : Quel était son rapport avec le marxisme ?
SB : Jameson était un marxiste affiché, ce qui n’était pas évident dans les années 1950-1960 aux Etats-Unis, surtout dans le monde universitaire. C’est lui qui a rendu possible l’étude de la littérature et de la culture d’un point de vue explicitement marxiste. Son rôle a été déterminant : c’est grâce à lui et à son œuvre qu’une école de critique marxiste de la culture bourgeoise et populaire s’est développée dans le monde anglophone. Il a mené ce combat avec d’autres, Stuart Hall, Terry Eagleton notamment, mais Jameson était sans doute le plus connu et le plus prolifique, et a contribué à en faire un champ légitime. C’est grâce à lui que beaucoup de jeunes étudiants ont découvert que quelque chose s’appelait le marxisme, et que ce dernier était un champ très riche de débats, de discussions, de dispute.
Par ailleurs, même si Jameson avait sa propre vision marxiste des choses, très influencée par les hégéliens, par Lukacs, il est toujours resté l’inverse d’un marxiste sectaire. Il n’essayait pas de créer une chapelle autour de lui ou d’exclure des gens qui n’auraient pas la « bonne » lecture du marxisme. Il avait au contraire une conception très généreuse du champ marxiste, alors même que le marxisme existait à peine aux États-Unis dans les années 1950-1960. Finalement c’est un peu paradoxal mais il a réussi à créer et à légitimer un champ marxiste fort dans le champ académique, dans un contexte où politiquement le marxisme existait à peine.
RPD : En France, quel rôle joue Jameson dans le marxisme et les pensées critiques ? Tu as des références à conseiller à nos lecteurs ?
SB : Malheureusement, jusqu’aujourd’hui, Jameson n’a pas vraiment percé dans le monde intellectuel français. Il n’est pas le seul, on peut penser à Terry Eagleton, Alex Callinicos, Giovanni Arrighi ou Perry Anderson. Il y a plusieurs raisons à ça. La première, c’est que l’œuvre de Jameson est difficilement classifiable. Il a écrit de nombreuses critiques littéraires, il s’intéressait à l’architecture, au cinéma, à la philosophie, etc. et il ne rentre pas dans les cases de l’université française. Une autre raison tient au contexte dans lequel il écrit. Quand son œuvre se développe, à la fin des années 1970 et au cours des années 1980-1990, le marxisme est en plein recul en France. A ce moment il y a très peu de marxistes français qui sont capables d’aborder une œuvre aussi foisonnante et aussi riche. Daniel Bensaïd, par exemple, a lu Jameson mais il n’a jamais écrit de choses substantielles à son sujet.
Plus récemment, on trouve néanmoins des auteurs qui lui ont consacré des articles et qui jouent un rôle de « passeurs » vers le monde intellectuel français. Je pense par exemple à Stathis Kouvélakis, qui a écrit plusieurs textes importants sur Jameson, notamment, à Nicolas Vieillescazes, son traducteur et éditeur français, mais également à Thierry Labica ou à Vincent Chanson. Beaucoup de ces textes vont être republiés sur la revue Contretemps dans les prochaines semaines.
Lire Jameson en français
« L’utopie comme méthode », Contretemps web, 2016
L’inconscient politique, Paris, Questions théoriques, 2012
La totalité comme complot, Paris, Prairies ordinaires, 2007
Archéologies du futur, Paris, Prairies ordinaires, 2021
Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme, Paris, Gallimard, 2011