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Le budget Barnier au prisme de la crise du capitalisme français
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Sous pression des marchés financiers, le budget 2025 sera d’une brutalité austéritaire sans précédent. Mais le problème du déficit n’est pas conjoncturel. Il est le résultat de la crise insoluble du néolibéralisme et du capitalisme français que les classes dominantes sont décidées à faire payer aux travailleurs.
Le 26 septembre, le rendement des obligations espagnoles passait en dessous de celui de la France, se stabilisant à 2,97% contre 2,90. En juin, après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, la dette française était déjà devenue plus coûteuse que celle du Portugal, qui s’endette à 2,72%. Dans le même temps, l’écart de taux entre les obligations françaises et allemandes atteint 80 points de base soit autant qu’au pic de la crise politique en juin. Autant de signaux qui montrent que, malgré la nomination de Barnier, la pression des marchés financiers, qui craignent l’instabilité politique du pays et ses impacts sur la résolution de la crise budgétaire, s’accentue sur la dette française.
Sous forte pression, le gouvernement Barnier a ainsi présenté un budget austéritaire historique, prévoyant des dizaines de milliards de coupes budgétaires, et prépare une cure de longue haleine, pour satisfaire les exigences du pacte de stabilité de l’Union Européenne, qui devrait s’appliquer jusqu’en 2031. Symptôme de l’épuisement du modèle néolibéral et de l’échec de la politique de l’offre, cette crise est loin d’être conjoncturelle : elle témoigne d’une aggravation de la crise du capitalisme français et de son déclin à l’échelle européenne et mondiale. Non content de s’être gavée d’argent public pendant plusieurs décennies, la bourgeoisie française cherche à retrouver la confiance des marchés en initiant une offensive budgétaire sans précédent, en faisant payer sa crise aux travailleurs et aux classes populaires.
Le spectre d’une attaque sur la dette
Si la France est très loin d’être dans la situation de la Grèce en 2008 et d’être menacée d’insolvabilité [1], la hausse des taux d’intérêts témoigne cependant de la perte de confiance des marchés quant à la qualité et à la crédibilité de la dette française, en raison de la stagnation économique du pays et du risque d’ingouvernabilité. Cette situation fait peser le risque à court comme à moyen terme d’une attaque sur la dette française [2], qui pourrait être de la même nature que celle qu’avait connu le gouvernement de Liz Truss au Royaume-Uni, dont le programme ultra-néolibéral avait été sanctionné par les marchés financiers. Après avoir proposé un « mini-budget », en septembre 2022 qui prévoyait des baisses d’impôts drastiques non financées et l’augmentation de 60 milliards des aides sur l’énergie, la menace d’un creusement du déficit avait abouti à la vente en masse d’obligations britanniques, augmentant les taux d’intérêts à un niveau insoutenable, jusqu’à que Truss démissionne au bout de quarante-quatre jours.
Sous surveillance des marchés, la France est pressée de rassurer les investisseurs afin d’éviter des attaque spéculatives dont l’hypothèse était évoquée cet été par certains analystes. Michel Barnier a répondu à la situation par un budget d’une brutalité historique, quel que soit le chiffrage choisi pour l’évaluer [3]. Ce projet de loi de finances d’une teneur inédite divise d’ores et déjà la classe politique. Alors que le macronisme tente de s’affirmer comme l’avant-garde du patronat en poussant un agenda encore plus austéritaire et en refusant toute hausse d’impôts. Mais derrière ces postures, Barnier, qui a reçu un soutien de principe du MEDEF, propose en quelque sorte un pacte à la bourgeoisie qu’elle semble prête à accepter, consciente de la situation périlleuse dans laquelle le macronisme l’a placée.
Si le patronat s’est gavé grâce à la politique de l’offre agressive du macronisme, il est lucide sur le fait qu’il ne peut améliorer sa situation si les marchés financiers lâchent la France. Alors que Barnier prévoit un programme austéritaire qui devrait durer jusqu’en 2031, cette contribution « provisoire » et « exceptionnelle », pour reprendre son discours de politique générale, a de quoi rassurer les grands capitalistes, comme le souligne Thomas Philippon dans Les Échos : « Les entreprises ont bien compris qu’elles contribuaient en partie pour leur intérêt propre. (…) Le Medef est d’ailleurs relativement ouvert aux annonces qui ont été faites. Mais ce consentement relatif vaut à deux conditions : que l’effort qui leur est demandé soit gagé sur des baisses de dépenses crédibles, et que cet effort reste ponctuel et ne se transforme pas en un effort pérenne, comme cela a souvent été le cas par le passé ».
Si le nouveau budget pourra sans doute satisfaire certains des objectifs du grand patronat, il n’égratigne même pas les causes profondes du creusement de la dette. La crise déficitaire que traverse la France n’est en effet pas conjoncturelle. Elle est la conséquence d’une crise profonde du capitalisme français, expression hexagonale des contradictions des politiques que la bourgeoisie a menées pour tenter de la résorber, à partir des années 70, au début de la période néolibérale.
L’épuisement du modèle néolibéral
Si la France se trouve actuellement en difficulté, la crise de la dette n’en est pas moins mondiale et exprime l’épuisement du modèle néolibéral. Après la crise des années 70-80, le néolibéralisme a permis de redresser de manière relative le taux de profit sans résoudre la stagnation de la productivité, grâce à une offensive tous azimuts contre les droits des travailleurs, rendue possible par la défaite des processus révolutionnaires des années 68-80, et à l’intégration de plus d’un milliard de nouveaux travailleurs dans l’économie mondiale, après la chute de l’URSS et l’entrée de la Chine dans la mondialisation.
Le régime d’accumulation néolibéral est marqué par plusieurs caractéristiques contradictoires qui lui sont propres. De manière générale, l’accumulation du capital repose sur l’augmentation de la productivité. Alors que pendant les Trente Glorieuses, le capital a prospéré en reconstruisant les forces productives détruites pendant la seconde guerre mondiale [4], le capitalisme néolibéral « a ceci de très particulier qu’il a réussi à rétablir le taux de profit en dépit d’un relatif épuisement des gains de productivité » [5] grâce à l’intensification de l’exploitation et aux politiques publiques pro-patronales, compensant l’absence de hausse qualitative de la productivité (plus-value relative) par un relèvement spectaculaire du taux d’exploitation (plus-value absolue) [6]. Pour prospérer dans cette conjoncture ralentie, la classe capitaliste s’est ainsi moins appuyée sur la vitalité de l’économie que sur « la redistribution dirigée politiquement des richesses vers le haut pour soutenir les principaux représentants d’une classe capitaliste dominante qui s’est partiellement transformée, en réponse à un processus de détérioration économique inexorable » [7], comme le souligne Robert Brenner.
En deuxième lieu, le décrochage de la productivité par rapport au profit a ouvert sur une nouvelle contradiction. Malgré les innombrables subventions, la productivité stagnante des entreprises les a progressivement rendues de moins en moins compétitives et rentables, décourageant la capitalisation des profits, les capitalistes préférant maximiser leurs revenus plutôt que d’investir. En un mot, le taux d’investissement, en berne, a décroché par rapport au taux de profit, [8] ouvrant sur cette situation paradoxale dans laquelle la croissance stagne tandis que les profits du grand patronat explosent.
Ces deux contradictions ont élargi le rôle de la dette dans l’économie. Si le système de crédit a toujours joué un rôle très important dans le fonctionnement du capitalisme [9], il est devenu un rouage essentiel du capitalisme néolibéral, sous l’impulsion de l’Etat. Pour maintenir les entreprises à flot, l’économie a été soutenue de manière croissante par l’afflux massif des aides de l’Etat, d’une part, et l’endettement privé, d’autre part. Multipliant les exemptions d’impôts, les exonérations de cotisations et les subventions au secteur privé, les dettes de l’Etat se sont creusées tandis que la part toujours croissante des dettes des entreprises a rendu le système financier, de plus en plus dérégulé, encore plus instable [10], forçant l’Etat à socialiser les pertes des banques en cas de crise économique, aggravant encore la dette publique. Mais ces rustines aggravent plus la situation de « l’économie réelle » qu’elles ne l’améliorent. L’accroissement de la dette privée mine à moyen terme encore davantage la rentabilité du capital, les intérêts de la dette alourdissant encore les coûts de production [11], exigeant encore plus d’aides de la part de l’Etat, aussitôt détournées de l’investissement pour finir dans la poche des actionnaires, créant un cercle vicieux.
En France, les premières exemptions fiscales ont été adoptées dans les années 90 mais elles ont connu une montée en puissance significative depuis le mandat de Nicolas Sarkozy et atteint leur vitesse de croisière sous Hollande et Macron. En additionnant les exemptions fiscales, les exonérations de cotisations et les subventions de l’Etat, les chercheurs de l’IRES constatent que la part des aides aux entreprises dans le PIB est passée de 2,44% en 1979 à 6,44% en 2019, soit 30% du budget de l’Etat. Entre 2003 et 2013, l’Etat a donné entre 50 et 90 milliards par an aux entreprises [12]. Depuis 2014, les entreprises perçoivent en moyenne plus de 100 milliards par an et, depuis la politique de l’offre agressive du macronisme, de 130 à 150 milliards [13]. Au total, depuis 1979 et 2019, le volume total des aides est colossal : 2 686 milliards en euros constants. Pour financer ces cadeaux sans contrepartie, les gouvernements ont massivement recouru à l’endettement public en premier lieu [14] et, dans une moindre mesure, à la réduction des dépenses publiques et à la hausse de la fiscalité sur les ménages. En sept ans, la dette publique s’est ainsi creusée de 1000 milliards, pour atteindre 112% du PIB (contre 96,3% en 2016).
À long terme, comme le soulignaient les chercheurs de l’IRES en 2022, la politique de l’offre a été un désastre monumental : « les baisses de prélèvements obligatoires sur les entreprises, qui se révèlent être en pratique non pas des baisses du coût du travail mais des sortes de “béquilles du capital” soutenant le taux de marge et la rentabilité du capital dans un environnement dépressionnaire, créent une sorte d’accoutumance, de mise sous oxygène des entreprises, décourageant l’investissement en rendant moins pressant un renouvellement des équipements productifs susceptibles d’améliorer la productivité du travail » [15]. Cette situation crée une spirale vicieuse : « Les aides découragent les entreprises à investir et à innover. Elles voient donc leur compétitivité se réduire et la balance commerciale se dégrade, ce qui motive les décideurs politiques à baisser le coût du travail en multipliant les aides, et donc à renforcer ce double cercle vicieux qui renforce la dépendance aux aides » [16]. Non seulement, la politique de l’offre n’a pas enrayé le déclin du capitalisme français, mais elle l’a accéléré tout en permettant au patronat de compenser au moins relativement la baisse du taux de profit. Cette politique, qui a toujours nécessité plus d’aides pour produire de moins en moins d’effets, n’a eu cesse de creuser la dette publique et de masquer les contradictions structurelles du capitalisme français.
Le déclin du capitalisme français et la guerre contre le mouvement ouvrier
Le capitalisme français, comme l’explique Bruno Amable, est marqué, depuis les années 80, par une double crise de la compétitivité et de la productivité, qui s’explique notamment par l’évolution de la base industrielle française : « La désindustrialisation a été plus prononcée en France que dans d’autres pays européens ou développés, et la spécialisation de ce pays s’est tournée de plus en plus vers le secteur des services. […] Le déclin de l’industrie manufacturière française a touché plus que les autres les secteurs caractérisés par un contenu technologique intermédiaire (par exemple, l’automobile), avec pour conséquence un rétrécissement de la base industrielle et une accélération d’une tendance déjà observable dans les années 1980 : la polarisation de la base industrielle ayant un faible contenu technologique (agroalimentaire, métallurgie, etc.) et les secteurs high-tech comme l’aérospatial, dans lesquels l’influence de la politique industrielle de l’Etat a été maintenue, en particulier en raisons des liens avec la Défense » [17]. La stagnation du niveau technologique des industries manufacturières, en raison d’un reflux de l’investissement, les a rendues de moins en moins compétitives par rapport à leurs concurrents européens ou mondiaux et a creusé le déficit commercial. Une tendance renforcée, en second lieu, par la polarisation des industries de pointe sur la production militaire qui produisent de moins en moins de moyens de production utilisables par l’industrie civile, dont la base a été rognée et qui doit se fournir de plus en plus à l’étranger, provoquant une hausse supplémentaire des coûts de production [18].
Dans le même temps, l’implémentation des politiques néolibérales dans le pays s’est heurtée à la forte résistance du mouvement ouvrier français, donnant naissance à un capitalisme « où le néolibéralisme n’a pas eu le même effet de “rouleau compresseur” qu’ailleurs, mais où se sont mis en place des systèmes de compensations sociales et où les réformes ont été moins franches » [19]. Après la victoire de la droite aux élections législatives de 1986, Chirac avait en effet proposé un programme néolibéral agressif, envisageant la privatisation complète du système des retraites. La résistance du monde du travail a contraint le gouvernement à abandonner des réformes tandis que la droite a été défaite aux présidentielles de 1988. Repris en 1993, le programme néolibéral de 1986 a à nouveau été confronté à de grandes mobilisations en 1994, aboutissant au retrait du contrat d’insertion professionnelle, et en 1995. Par la suite, malgré des victoires importantes de la bourgeoisie contre les retraites (2003, 2010, 2023), la réforme du marché du travail (2008, 2016) et la réforme néolibérale des universités (2007 et 2009), l’intensité des mobilisations suscitées va freiner les ambitions des classes dominantes, aboutissant même à une défaite cuisante sur le CPE en 2006. L’arrivée du macronisme au pouvoir signe une tentative d’accélérer les réformes, tout en suscitant chaque année des mobilisations de plus en plus importantes, ralliant des secteurs très divers de la classe ouvrière et des classes populaires.
Face à cette crise structurelle, la bourgeoisie française, confrontée à l’intensification de la concurrence internationale après la restauration capitaliste et la chute du mur de Berlin, a adopté une forme « combinée » de néolibéralisme. Alors que l’Allemagne ou l’Angleterre ont significativement réduit la part salariale en démantelant les droits des travailleurs, la force du mouvement ouvrier français a limité la marge de manœuvre des gouvernants pour détruire un système social plus avancé. Pour compenser cette difficulté - renforcée à partir des années 2000 par l’offensive contre les salaires de l’Allemagne pour réduire ses coûts et à partir des années 2010 par les politiques de modération salariale dans les pays du Sud de l’Europe et l’émergence des « BRICS » - les classes dominantes ont fait le choix de soutenir les entreprises par des aides massives, afin de réduire « les coûts ». Mais en France comme dans de nombreux pays impérialistes, ces méthodes poursuivies de façon agressive par Macron n’ont pas suffi à résoudre la situation économique. Les aides de l’Etat n’ont pas été capitalisées, finissant dans les poches des actionnaires, la productivité continue de stagner tandis que la compétitivité des entreprises s’effondre. Malgré la situation de « crise », le CAC 40 enchaîne ainsi année après année les records de dividendes. D’autre part, la dette privée continue de croître. En 2003, la dette des entreprises représentait environ 78% du PIB. En 2022, elle se stabilisait autour de 97,6%. Après une légère décrue en 2023, l’incertitude économique pourrait la voir à nouveau augmenter.
La fragilité des économies avancées a, d’autre part, attisé la concurrence entre les États, aiguisant les rivalités géopolitiques pour le contrôle de certaines ressources ou de certains marchés, cruciaux pour la stabilité de leurs économies déclinantes, sapant encore davantage la stabilité du système. Le « nouveau désordre mondial » [20] et les chocs macroéconomiques de la crise de 2008, de l’épidémie de COVID-19 et de la guerre en Ukraine ont provoqué un renchérissement des prix de l’énergie et des matières premières qui a ainsi encore fragilisé la crise de rentabilité du système néolibéral. Dans une logique circulaire et vicieuse, l’Etat a dû compenser les effets de ces chocs, creusant encore davantage la dette publique, financée par des politiques austéritaires brutales. Dans le cas de la France, ce désordre se produit sur fond de recul de son influence internationale, particulièrement marqué dans son ancien pré-carré néocolonial en Afrique de l’Ouest.
D’autre part, l’intensification des rivalités internationales suscite un mouvement de militarisation relativement peu coordonnée en Europe. Alors que le néolibéralisme professe la modération budgétaire, il est tendanciellement confronté, du fait du désordre international qu’il provoque, à la nécessité de se réarmer, après des décennies de coupes dans le budget de la défense [21]. Dans ce contexte, le financement des armées draine une partie toujours plus importante du budget de l’Etat. Après une loi de programmation militaire record, le projet de loi de finance 2025 poursuit sur la même lancée, prévoyant une augmentation de 3,3 milliards du budget des armées par rapport à l’année dernière, portant l’enveloppe total à 50,5 milliards d’euros (+16% pour les équipements, +27% pour les munitions, + 13% pour la DGSE, + 12% pour les infrastructures, +15% pour le programme spatial, +12,5% pour les drones et la robotique militaire). Ces chiffres n’incluent pas les subventions au secteur militaro-industriel qui bénéficie également de la politique de l’offre. Dans le cadre de la crise de la dette, l’augmentation des ressources militaires se paye par une diminution d’autant plus importante des dépenses dans les services publics.
Alors que les institutions européennes ont gonflé la masse monétaire comme jamais pour faire face aux crises de 2008 et du COVID-19 et que les États européens sont assis sur des montagnes de dettes, la France est dans une position de faiblesse par rapport aux autres pays européens. Face à cette situation, le budget austéritaire de Michel Barnier vise à envoyer un signal aux marchés et à l’UE, et à maintenir le statut de la France en tant que puissance européenne de premier plan en résorbant le déficit par une nouvelle offensive. Pour cela, il entend pousser encore plus loin le démantèlement des services publics et de la sécurité sociale. Des mesures qui ne s’accompagnent pour le moment d’aucune réforme structurelle du fait de la fragilité du gouvernement, mais qui prépare néanmoins les offensives à venir : débat sur l’allongement de la durée de cotisation et l’augmentation de l’âge de départ à la retraite ; réforme structurelle du service public ; privatisation des entreprises nationales, du système de santé et des retraites, etc. Si les contours des prochaines réformes sont encore flous, le projet de la bourgeoisie française implique nécessairement pour elle de redoubler d’offensive contre les acquis du mouvement ouvrier, dont la résistance a entravé et freiné la mise en place des politiques néolibérales.
Nous ne payerons pas leur crise
Pour permettre au patronat de continuer à bénéficier des aides massives de l’Etat et restaurer la confiance des marchés, Barnier se propose ainsi de résoudre la crise du néolibéralisme par les armes du néolibéralisme. Alors que la crise de l’économie française ne cesse de s’aggraver, le gouvernement entend élever encore le taux d’exploitation de la force de travail et profiter de la crise du déficit pour démanteler le système social avancé de la France dont les classes dominantes n’ont pas réussi à se débarrasser depuis 50 ans.
Face à cette offensive d’ampleur et alors que la bourgeoisie française cherche une nouvelle fois à faire payer sa crise aux travailleurs, les vouant par milliers au chômage et à la pauvreté, le mouvement ouvrier doit s’organiser. Le patronat ne manquera en effet pas d’utiliser la situation pour expliquer que la hausse des impôts les met au bord de la « faillite », que c’est à cause des travailleurs que la rentabilité est en berne, que les cadences doivent accélérer, qu’ils ne peuvent pas garder tous leurs employés, etc. Alors que les conditions de travail ne cessent de se dégrader et que le patronat n’entretient plus l’outil de production, le mouvement ouvrier doit démasquer leurs mensonges. Le patronat sait très bien ce qu’il reçoit de l’Etat et les impôts qu’il paye mais les travailleurs ne le savent pas ! Qu’ils ouvrent leurs livres de compte, pour que les travailleurs voient où est l’argent, où vont toutes ces subventions publiques, comment ils les utilisent. Les travailleurs n’ont pas à payer leur crise : si les patrons agitent des plans de licenciement, alors qu’ils se sont gavés d’argent public, il faudra lutter pour les exproprier sans indemnités et placer les usines sous contrôle ouvrier.
Quant à la dette, qui fait trembler la classe politique, ce n’est certainement pas les travailleurs et les classes populaires qui doivent la payer. La bourgeoisie est la seule responsable du déficit publique, qui d’années en années se creuse, tant à cause de leurs politiques que du système capitaliste qui socialise les pertes et privatise les profits. C’est le système tout entier qui est responsable. Si les grandes banques françaises sont aujourd’hui dans le viseur des marchés financiers, il ne faut pas oublier que ce sont les milliards d’argent magique qui ont sauvé les grandes banques pendant la crise de 2008 qui ont creusé la dette publique.
Face à cette crise, il faudra lutter contre le moindre centime de baisse dans le budget des écoles et des hôpitaux, dans les allocations chômages et les aides sociales alors que la population a de plus en plus de mal à vivre. L’argent est là, il dort dans les coffres des banques et dans les poches des actionnaires. Compte tenu de la rente parasitaire engrangée par le système financier, seule la revendication de l’expropriation et de la nationalisation des grandes banques privées, des fonds d’investissements, des grands groupes d’assurance sous contrôle des travailleurs et de la population, peut sérieusement remettre en question le système capitaliste pourrissant.
Alors que le gouvernement se radicalise et que la bourgeoisie conduit le pays à la ruine, il faut riposter en se dotant d’un programme qui articule les revendications économiques avec les revendications politiques, en cherchant à se saisir des brèches qui existent du fait de la crise politique. C’est en luttant, par les méthodes de la lutte de classe, que nous écarterons ces nouvelles offensives austéritaires et autoritaires et que nous redonnerons au mouvement ouvrier et aux classes populaires confiance en leurs propres forces.
[1] Pour l’heure, les obligations françaises continuent à se vendre sans difficulté y compris en juin au moment de la dissolution de l’Assemblée. La prime de risque est cependant beaucoup plus importante.
[2] Pour rembourser leur dette principale, les Etats contractent d’autres emprunts auprès d’investisseurs privés grâce à l’émission d’obligations. L’acheteur d’une obligation perçoit, en contrepartie de l’argent qu’il prête, des intérêts à taux fixe. Lorsque la confiance dans la capacité de remboursement d’un Etat diminue, les investisseurs se détournent de ses titres et ne les achètent plus. Conformément à la loi de l’offre et de la demande, le prix de l’obligation baisse, ce qui fait augmenter son rendement : parce que le taux d’intérêt est fixe, un investisseur perçoit alors les mêmes intérêts tout en achetant son action moins chère. Pour attirer les investisseurs inquiets du de la situation, l’Etat est alors contraint d’augmenter le taux d’intérêt de l’obligation. Il s’endette alors à un prix plus élevé qu’auparavant tandis que la dette s’alourdit encore davantage. Lors d’une attaque sur la dette, les investisseurs vendent massivement les obligations, faisant grimper les rendements, et élevant violemment les taux d’intérêts, jusqu’à rendre la dette insoutenable.
[3] Lors du discours de politique générale, Barnier a indiqué que le gouvernement devait trouver 60 milliards d’euros, ventilés en 40 milliards de coupes budgétaires et 20 milliards de hausse des impôts. Dans une note envoyée au Haut Conseil des Finances Public, le gouvernement estime à la baisse le manque à gagner : 39 milliards d’euros, répartis en 15 milliards de coupes et 24 milliards de recettes fiscales supplémentaires. Tandis que le premier chiffrage part de l’effort budgétaire nécessaire pour ramener à 5% le déficit estimé à 7% en 2025, selon un raisonnement « tendanciel », le second part du budget de l’année dernière, selon une logique « structurelle ». À destination des marchés financiers, Barnier est en effet plus prompt à présenter un « budget choc » en mettant en avant des réformes « structurelles » afin de montrer que la France a pris la mesure de la situation, tout en proposant en interne un plan plus réaliste, qui accorde plus de poids à la hausse de la fiscalité, dont les effets sont plus immédiats et prévisibles.
[4] Juan Chingo, « La fin des “vents arrières favorables” de la mondialisation néolibérale », RPDimanche, 22 octobre 2022.
[5] Michel Husson, « Le néolibéralisme, stade suprême ? », Actuel Marx, 30 mai 2012, n° 51, no 1, pp. 86 101.
[6] Marx distingue à cet égard deux manières pour le capitaliste de faire des profits : la plus-value absolue et la plus-value relative. La première se fonde sur l’allongement de la durée de la journée de travail et sur l’intensification de son rythme. La seconde sur l’amélioration technologique des outils de production. Avec le régime néolibéral, le capital semble s’appuyer toujours davantage sur la première aux dépens de la seconde. Voir Karl Marx, Le capital : critique de l’économie politique, Paris, les Éditions sociales, 2016, pp. 489-498.
[7] Robert Brenner, « Escalating Plunder », New Left Review, n°123, p. 22
[8] Michel Husson, Un pur capitalisme, Lausanne [Paris], Éd. Page deux, 2008, pp. 18-20.
[9] Sur ce point, voir l’ouvrage classique de Rudolf Hilferding, Le capital financier.
[10] Paul Mattick Jr., Le retour de l’inflation : monnaie et capital au XXIe siècle, Toulouse, Smolny, 2024, pp. 124-125.
[11] Comme l’explique à nouveau Michael Roberts, si l’on calcule le taux de rentabilité déjà faible des entreprises en incluant le poids de la dette privée, celui s’effondre (Michael Roberts, The long depression : how it happened, why it happened, and what happens next, Chicago, Illinois, Haymarket Books, 2016, pp. 99-100).
[12] IRES, Un capitalisme sous perfusion : Mesure, théories et effets macroéconomiques, Université de Lille, 2022, pp. 46-51.
[13] On peut rappeler quelques jalons de la politique du macronisme. En 2018, Macron supprimait l’ISF, créant, au bout de quatre ans, un manque à gagner de 4,5 milliards dans les finances de l’Etat. Toujours en 2018, Macron créait la « flat tax », très favorable aux détenteurs d’actions et d’autres titres financiers, qui limitait la taxation à 30%, quel que soit le montant déclaré, pour un coût d’1,8 milliards pour l’Etat en 2022. La baisse progressive de l’impôt sur les sociétés de 33,3% en 2017 à 25% en 2022 a amputé le budget de l’Etat de 11,1 milliards d’euros, d’après l’estimation de la loi de finances de 2018. La suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, déjà réduite de moitié en 2023, a déjà fait perdre 5 milliards d’euros à l’Etat pour la seule année 2023.
[14] Michael Roberts, « France : Macron’s gamble », TheNextRecession, juin 2024.
[15] IRES, Un capitalisme sous perfusion, p. 179.
[16] Ibid., p. 112.
[17] Bruno Amable, La résistible ascension du néolibéralisme : modernisation capitaliste et crise politique en France (1980-2020), Paris, la Découverte, 2021, pp. 31-32.
[18] Claude Serfati, L’État radicalisé : la France à l’ère de la mondialisation armée, Paris, La Fabrique éditions, 2022, pp. 113-166.
[19] Romaric Godin, La guerre sociale en France : aux sources économiques de la démocratie autoritaire, Paris, la Découverte, 2019, p. 58.
[20] Juan Chingo, « Le nouveau désordre mondial et les tendances à la guerre », RPDimanche, 2 mars 2024
[21] Enzo Tresso, « “Projet stratégique de défense européenne” : l’UE propose un plan de militarisation coordonné », Révolution Permanente, 9 avril 2024