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La Rumeur : le rap au service de la révolte

Lien publiée le 24 octobre 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://marxiste.org/theorie/culture/art-litterature/3532-la-rumeur-le-rap-au-service-de-la-revolte

Dans les années 1980, les immigrés sont parqués dans les banlieues françaises et subissent de plein fouet les conséquences de la crise économique. Le chômage de masse, les discriminations et les violences policières composent leur quotidien. Le rap devient le support des revendications radicales de toute une frange de la jeunesse des quartiers populaires.

C’est dans cette décennie que grandissent Hamé, Ekoué, Le Bavar et Le Paria, qui forment La Rumeur en 1995. En septembre dernier, ils se sont produits à la Fête de l’Humanité. C’est l’occasion de revenir sur la trajectoire d’un des groupes les plus politisés de l’histoire du rap français.

« Rap de fils d’immigrés »

Les membres de La Rumeur font partie des premiers à hisser le rap au rang d’une véritable poésie, à enrichir leurs textes d’images et d’une musicalité inédites dans ce jeune mouvement artistique. Ils revendiquent aussi « un rap de fils d’immigrés » et font de leurs origines l’un des thèmes centraux de leur œuvre. Leur poésie est mise au service d’un message politique et exprime les sentiments de nombreux jeunes et travailleurs issus de l’immigration.

Par exemple, le morceau « On m’a demandé d’oublier » fustige les crimes de l’Etat français durant la guerre d’Algérie. Dans les dernières années de cette guerre, alors que le régime gaulliste fait tout pour éviter que le FLN ne négocie l’indépendance en position de force, la vague de répression brutale contre les travailleurs algériens de métropole s’intensifie. La police mène des rafles massives et la torture sévit dans les commissariats parisiens. Le 17 octobre 1961, une manifestation pour la paix est réprimée dans le sang en plein Paris. La police tire à balles réelles sur les manifestants avant de les jeter dans la Seine. Près de quatre décennies plus tard, La Rumeur revient sur ces événements :

« On m’a demandé d’oublier les noyades occultées d’une dignité et sa mémoire. Les chapes de plomb, les écrans noirs plaqués sur toute l’étendue des brûlures d’une histoire. Et le prix des soulèvements, les trop pleins de martyrs étouffés, de lourds silences au lendemain de pogroms en plein Paris, de rafles à la benne, et ce 17 octobre 61 qui croupit au fond de la Seine, on m’a demandé d’oublier. ».

Une lutte politique

Les rappeurs de La Rumeur ne se sont pas contentés de défendre leurs idées à travers leur musique ; ils se sont aussi engagés dans le débat public. En pleine campagne présidentielle de 2002, Hamé publie un article intitulé « Insécurité sous la plume d’un barbare ». Il y écrit notamment : « Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. »

Ces paroles très justes sont ciblées par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui porte plainte pour « diffamation, atteinte à l’honneur et à la considération de la police nationale ». Cette campagne de l’Etat contre La Rumeur vise à stigmatiser les jeunes des quartiers populaires, intimider les artistes et justifier les violences policières. Le harcèlement judiciaire dure huit ans, au cours desquels les membres de La Rumeur profitent de toutes leurs interventions publiques pour mener la bataille politique, sans jamais renier leurs idées.

« On frappera »

Dans le livre Il y a toujours un lendemain, coécrit avec Ekoué, Hamé affirme : « La Rumeur c’est pas seulement du rap. C’est un projet culturel. Une masse critique ». Il porte un jugement sur le rôle que doit jouer son art dans l’époque. La Rumeur se livre à une dénonciation artistique de l’exploitation, de l’oppression et de toutes les horreurs produites par le système capitaliste. Au passage, le groupe ne manque pas de critiquer le rap qui vante les pires valeurs de la société bourgeoise et l’industrie qui le diffuse.

Dans leur Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, André Breton et Léon Trotsky expliquaient que la tâche suprême de l’art, à notre époque, est de participer consciemment et activement à la préparation de la révolution. Une tâche remplie par ce grand groupe de rap « de fils d’immigrés » qui multiplièrent les appels à la révolte, comme dans leur puissant texte « On frappera » :

« Avec nos fronts en fièvre, avec nos poings en grève et un vacarme d’armes à bâillonner les chiens de garde du palais. Avec une étincelle frêle aux coins des lèvres, sur une mare noire de kérosène. (...) Avec des plages pleines du sang séché de nos veines, avec un incendie au cœur et la mémoire de nos sueurs. Avec un goût prononcé pour la poésie du fond des mines et un faible avéré pour la nitroglycérine. Avec les plans du bâtiment plus les chiffres clés des codes d’accès. Avec le "ras" [1], avec les dents, avec la finesse, avec du temps, avec ou sans l’aide du ciel mais avec toi, lui et elle : on frappera ».


[1] « Tête » en arabe.