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    Nouvelles luttes aux États-Unis

    USA

    Lien publiée le 9 novembre 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.zones-subversives.com/2024/10/nouvelles-luttes-aux-etats-unis.html

    Nouvelles luttes aux États-Unis

    Le spectacle politicien et la mascarade politicienne pèsent peu dans les évolutions de la société américaine. En revance, les États-Unis restent secoués par d'importants mouvements sociaux. Ce sont les grèves et les luttes à la base qui permettent d'améliorer les conditions de travail et de vie de la majorité de la population. Ces révoltes ouvrents également des réflexions nouvelles et des perspectives de transformation sociale. 

    La présidence Trump a contribué à dévaster le champ idéologique aux États-Unis. En 2022, la Cour suprême limite le droit à l’avortement et favorise davantage le port d’armes dans l’espace public. Mais la présidence Trump s’inscrit dans une lame de fond conservatrice, organisée et offensive qui s’emploie à transformer les rapports sociaux de classe, de genre et de race depuis le milieu des années 1970.

    Le Parti démocrate aspire à restaurer l’ordre néolibéral de l’époque Obama et se contente de brandir l’étendard trumpiste pour museler son aile gauche. Mais des mouvements sociaux remettent en cause le bipartisme qui asphyxie la vie politique américaine. Les révoltes contre les violences policières en 2020 ou les victoires syndicales, notamment à Amazon et à Starbuck, ouvrent des perspectives nouvelles. Ces luttes renouvellent les pratiques et les idées d’émancipation collective.

    Ces mouvements sociaux renouvellent l’imaginaire du camp de l’émancipation en France et dans le monde. Le féminisme de #MeToo et l’antiracisme de Black Lives Matter se propagent dans différents pays. Néanmoins, ces luttes peuvent également s’affaiblir à travers leur institutionnalisation. La revue Mouvements explore ce bouillonnement contestataire dans le numéro 110-111 « Emancipation in the USA ».

    Société capitaliste

    L’écrivain Don Winslow est l’auteur d’une trilogie sur le marché de la drogue entre le Mexique et les États-Unis. Ses polars mêlent satire sociale, comédie humaine et critique politique. Un agent de la DEA évoque la guerre contre la drogue qui s’enlise progressivement dans la corruption. Cette trilogie « en dit long sur le mélange tragique de bonnes intentions et d’ignorance, sur la corruption généralisée inhérente au trafic de drogue, qui fait en réalité partie intégrante de notre système économique et social dans son ensemble », décrit Don Winslow.

    L’oppression économique et raciale se conjugue dans cette guerre contre la drogue. Les jeunes noirs et latinos des quartiers pauvres subissent le plus de discriminations avec les contrôles de police et les condamnations. Ensuite, la dimension économique reste la source du problème. Le trafic de drogue, au Mexique comme aux États-Unis, apparaît comme un moyen pour sortir de la pauvreté. Même si seule une minorité y parvient, comme dans l’économie légale. « Mais la structure des cartels est par nature capitaliste : une poignée d’individus s’enrichit tandis que celleux à la base de la pyramide se font exploiter, emprisonner et/ou exécuter. L’argent circule du bas vers le haut », souligne Don Winslow. Ensuite, l’augmentation de la consommation de drogue révèle la souffrance que génère la société capitaliste.

    La création de syndicat dans l’entreprise Amazon présente un enjeu majeur. Ces entrepôts logistiques jouent un rôle central dans un capitalisme de flux. Ensuite, Amazon s’oppose à la création de syndicats pour améliorer les salaires et les conditions de travail. Une campagne politique est lancée pour créer un syndicat dans l’entrepôt de Bessemer. Des politiciens démocrates et des artistes participent activement à cette campagne surtout symbolique. Diverses associations comme Black Lives Matter et même le président Biden militent pour cette campagne. Cependant, le vote de la moitié des salariés pour créer une section syndicale n’est pas atteint.

    Le centre logistique de Staten Island à New York emploie plus de 10 000 salariés. Un entrepôt de 8300 travailleurs vote pour être représenté par le syndicat Amazon Labor Union (ALU). Cette organisation n’est affiliée à aucune des grandes structures nationales. Ce syndicat autonome est créé à l'initiative de quelques salariés qui ont manifesté pour de meilleures conditions d’hygiène et de sécurité pendant la pandémie. L’entreprise de Jeff Bezos est battue pour la première fois dans une élection syndicale. L’indépendance du syndicat et les références au mouvement Occupy permettent de convaincre des salariés souvent jeunes. Un syndicat s’est également créé à Starbucks. Ces implantations peuvent permettre d’impulser de nouvelles luttes sociales.

       Manifestation à Londres, le 13 juin.

    Luttes afro-américaines

    Un entretien avec Donna Murch revient sur le mouvement Black Lives Matter et l’histoire des luttes afro-américaines. La révolte de 2020 contre les violences policières débouche sur les manifestations les plus massives depuis les années 1960. La figure d’Assata Shakur est devenue une icône dans diverses organisations et dans différentes régions. Son autobiographie est publiée en 1987, dans un contexte de reflux des luttes sociales. Assata Shakur critique l’institutionnalisation du mouvement des droits civiques durant l’ère Reagan. Des élus noirs sont cooptés et rejoignent la classe politique pour mener des politiques néolibérales.

    Assata Shakur incarne une alternative. Elle ravive le combat des Black Panthers avec ses nombreux procès et son expérience de l’incarcération. Elle s'évade d’une prison de haute sécurité et s’exile à Cuba. « C’est un mélange entre, d’une part, la mémoire collective du Black Panther Party (BPP), une organisation marxiste, noire, qui croyait réellement aux coalitions politiques reposant sur des mesures concrètes, et d’autre part son statut d’icône de l’espoir pour les jeunes générations », indique Donna Murch.

    L’historienne se penche sur la guerre contre la drogue comme cause du déclin des mouvements radicaux des années 1960. Elle évoque la répression et l’incarcération de masse en Californie qui cible les jeunes noirs. Cependant, aucune force collective organisée ne parvient à riposter face à cette violence d’État dans les années 1980 et 1990. « Je ne sais pas si j’en parle dans le livre, mais mon but est de comprendre pourquoi, dans les années 1980 et 1990, il a été si difficile de construire une réponse collective à l’avènement du néolibéralisme et à la Guerre contre la drogue », précise Donna Murch. Cette répression orchestrée par Reagan semble peu évoquée et analysée. Ce phénomène apparaît comme une simple lutte contre la délinquance et non comme l’offensive d’un État policier.

    Les Black Panthers se distinguent du mouvement Black Lives Matter. Ce parti marxiste-léniniste baigne dans un contexte d’anti-colonialisme après les assassinats de Lumumba et de Malcolm X. Ensuite, le Black Panther Party reste très hiérarchisé et diffère des mouvements horizontaux d’aujourd’hui. Par ailleurs, malgré l’auto-défense armée, les Black Panthers se contentent d’adresser des revendications sociales auprès de l’État. L’attrait actuel pour les Panthers vient de leur organisation face à la police. Ensuite, leur capacité à mobiliser la jeunesse des ghettos noirs reste actuelle. Les Panthers ne voient pas les autres groupes comme des alliés. Ils considèrent que ces autres groupes sont, comme eux, en guerre contre l’État.

    Black Lives Matter subit une dérive institutionnelle et bureaucratique. Le phénomène de la « tyrannie d’absence de structures » s’observe également avec des hiérarchies informelles qui se développent. Le renforcement des organisations locales avec des collectifs sans financements ni professionnalisation peut inverser la tendance. Ensuite, Black Lives Matter doit s’ancrer dans les problèmes du quotidien pour tisser des liens avec le mouvement syndical et les luttes pour le logement. « Pour moi, une perspective véritablement anticapitaliste doit s’atteler à des luttes matérielles concrètes », souligne Donna Murch.

         

    Antiracisme et lutte des classes

    Le sociologue Jake Alimahomed-Wilson évoque l’importance du blocage de l’économie dans la lutte antiraciste. La révolte contre les violences policières de 2020 s’accompagne de mouvements de grève. Les dockers bloquent les ports de la côte ouest des États-Unis. Le meutre de George Floyd par la police déclenche d’importantes manifestations. Mais les syndicats se mobilisent également. L’International Longshore and Warehouse Union (ILWU), le syndicat des dockers, insiste sur l’importance du blocage de l’économie dans le mouvement antiraciste. La grève des dockers, même quelques minutes, empêche la vente de marchandises. « La seule façon dont nous sommes parvenus à obtenir une quelconque concession des patrons, c’est en refusant de travailler », rappelle Clarence Thomas, le porte-parole de l’ILWU. Au cours du blocage du port d’Oakland, Angela Davis évoque la longue histoire de l’ILWU dans la lutte antiraciste, l’internationalisme et le radicalisme ouvrier.

    La pandémie mondiale de Covid-19 met en lumière les vulnérabilités structurelles du transport international. Les travailleurs de la logistique jouent également un rôle majeur dans une économie à flux tendu. « Quand les travailleur.ses s’organisent dans les sites clés que sont les ports ou les plateformes logistiques, l’interruption de la circulation des marchandises peut infliger des pertes considérables au capital », observe Jake Alimahomed-Wilson. Les dockers, les travailleurs des entrepôts ou des plateformes de distribution, les marins ou les chauffeurs routiers occupent une position décisive dans le capitalisme mondialisé. La logistique devient un domaine crucial pour accroître le pouvoir de la classe ouvrière. Les travailleurs noirs des ports de Californie du Sud jouent un rôle central dans la lutte antiraciste.

    L’histoire du rapport des syndicats à la question raciale reste controversée. Les syndicats majoritaires de l’AFL refusent pendant longtemps de s’organiser avec des ouvriers noirs. Néanmoins, l’Industrial Workers of the World (IWW) rejette les clivages raciaux au sein de la classe ouvrière qui permet au patronat de briser des grèves. Les luttes des dockers doivent s'appuyer sur la solidarité de classe contre le racisme afin de remporter d’importantes victoires. Ainsi, dès sa création en 1937, l’ILWU refuse les divisions raciales du travail portuaire.

    Les luttes pour les droits civiques permettent le vote du Civil Right Act en 1964. Les travailleurs noirs accèdent à la stabilité de l’emploi et peuvent se syndiquer. La discrimination raciale peut désormais être condamnée. L’antiracisme et l’égalité au sein des syndicats devient indispensable pour accroître la force collective de la classe ouvrière. Le prolétariat ne regroupe plus uniquement des hommes blancs. Les syndicats doivent prendre en compte les questions de genre et de race. Les diverses oppressions contribuent à diviser la classe ouvrière et la lutte contre l’exploitation. La plupart des syndicats restent corporatistes et affiliés au Parti démocrate. Ils ne s’opposent pas au système capitaliste de production.

           Manifestation à Tampa (Floride) le 11 juillet.

    Renouveau de la contestation sociale

    La revue Mouvements se penche sur le nouveau cycle de lutte aux États-Unis avec un éclairage sociologique et historique. Si la présidence Trump contribue à fracturer la société, le pouvoir démocrate favorise l’affaiblissement et l’institutionnalisation des mouvements sociaux. Néanmoins, le développement de syndicats de base et la multiplication de grèves peuvent ouvrir d’autres perspectives que la gestion de l’ordre capitaliste. La revue Mouvements propose de nombreux articles pertinents pour analyser la société américaine et les luttes sociales qui la secouent. La traduction de travaux de recherches méconnus en France propose un éclairage précieux sur les évolutions des mouvements sociaux.

    La revue Mouvements s’inscrit dans une démarche intersectionnelle qui articule genre, race et classe. Si ce croisement des oppressions peut sombrer dans la posture académique et victimaire, elle peut aussi proposer des analyses fines de la société américaine. La guerre contre la drogue ou la stratification du salariat peuvent se comprendre à partir de la question raciale. Si le syndicalisme traditionnel se contente de défendre les ouvriers blancs et qualifiés, les nouveaux syndicats s’appuient sur des grèves qui balayent les clivages raciaux alimentés par le patronat. Par ailleurs, des articles pointent les limites de l’institutionnalisation des mouvements antiracistes. Les luttes afro-américaines ne sont jamais aussi puissantes que lorsqu’elles s’inscrivent dans la lutte des classes avec une perspective de renversement du capitalisme.

    En revanche, la revue Mouvements consacre également plusieurs articles aux nouveaux démocrates incarnés notamment par Alexandra Oscario Cortez. Ce nouveau socialisme est porté par les campagnes de Bernie Sanders et le parti DSA. Ce courant peut s’appuyer sur d’importants réseaux politiques et intellectuels, comme la revue Jacobin. Néanmoins, cette aile gauche du parti démocrate se rallie à Joe Biden puis à Kamala Harris au nom de l’unité face à Donald Trump. Ce qui contribue à affaiblir ce courant réduit à un simple groupe de lobbying au sein du parti démocrate. La prétention de ce courant à encadrer et à canaliser les luttes sociales s’est heureusement effondrée.

    Ce sont évidemment les révoltes spontanées qui ouvrent les perspectives politiques les plus pertinentes. Le puissant mouvement contre les violences policières de 2020 contribue à réveiller la société américaine puis à balayer le pouvoir trumpiste. Cette révolte n’est évidemment pas fomentée par des démocrates déconnectés des luttes et attachés à leur respectabilité bourgeoise. C’est un soulèvement spontané de l’ensemble de la jeunesse et de la population contre le racisme et les violences policières dans un contexte de crise économique et sociale après la pandémie.

    Ce mouvement ouvre également un espace de réflexion qui livrent des propositions de réformes de l’institution policière jusqu’à l’abolition de l’État. Des associations subventionnées militent pour des aménagements tandis que des comités de base participent à des luttes concrètes pour le logement et contre la précarité. Ce clivage s’observe également dans les syndicats. Des appareils bureaucratiques cultivent le corporatisme tandis que des syndicats de base impulsent des grèves victorieuses. Ce sont les multiplications des grèves et des luttes à la base qui peuvent permettre d’améliorer les conditions de vie pour transformer la société.

    Source : Revue Mouvements, « Emancipation in the USA », n°110-111, 2022

    Extrait diffusé sur le site de la revue Mouvements 

    Pour aller plus loin :

    Les luttes de dockers à Philadelphie

    Black Live Matter et la révolte noire américaine

    Angela Davis et les luttes actuelles

    La nouvelle gauche américaine

    Articles liés :

    Vidéo : Don Winslow : "Je ne veux pas écrire l'oraison funèbre de la démocratie américaine", diffusé sur France Inter le 14 mai 2024

    Vidéo : Don Winslow, auteur : "J'ai plutôt l'habitude de poser des questions que d'y répondre", diffusé sur France Culture le 20 mai 2024

    Radio : émissions avec Don Winslow diffusées sur Radio France

    L’amazonification est l’avenir du capitalisme, publié sur le site Révolution Permanente le 1er mai 2021

    Jake Alimahomed-Wilson, « La révolution de la e-logistique », publié dans la revue Travail et Emploi n° 162 en 2020

    Jonathan Rosenblum, « Non, la résistance à Amazon n’est pas vaine », publié sur le site A l'encontre le 13 décembre 2020