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Quand la Sécu subventionne les complémentaires santé
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Quand la Sécu subventionne les complémentaires santé | Alternatives Economiques
Bientôt 10 points de plus pour le ticket modérateur lors d’une consultation médicale ? Si le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2025 (PLFSS 2025) est adopté selon les termes voulus par le gouvernement, le « reste à charge » pour un patient qui consulte son médecin passerait en effet de 30 % – son niveau actuel – à 40 %. Sauf, bien sûr, si sa complémentaire santé intervient.
Il s’agit de fait d’un transfert de financement des soins vers les complémentaires santé qui sont pourtant plus coûteuses et plus inégalitaires que la Sécurité sociale. Ce transfert permet d’afficher une baisse de la dépense publique, mais il conduit à une détérioration de la situation pour la population du fait de la hausse prévisible des primes et des difficultés accrues d’accès aux soins pour les plus modestes non couverts par une complémentaire.
Ces limites sont désormais plutôt bien connues, mais une autre l’est moins. Il s’agit du fait que les transferts de charge de la Sécurité sociale vers les complémentaires santé induisent une diminution des recettes de la Sécu. En effet, les transferts de charge ne font pas que réduire les dépenses de la Sécu, ils réduisent aussi ses recettes.
Afin de comprendre ce phénomène, il faut réaliser un détour par le concept de dépense socio-fiscale. D’après l’économiste Michaël Zemmour, « les dépenses socio-fiscales sont l’ensemble des dispositifs dérogatoires aux prélèvements obligatoires normaux ». Afin de poursuivre tel ou tel objectif de politique publique, le régulateur décide de réduire volontairement le niveau des prélèvements fiscaux et/ou sociaux.
En ce qui concerne la Sécurité sociale, le cas le plus connu est celui de l’exonération des cotisations sociales sur les bas salaires dans le but de stimuler le niveau de l’emploi. Les dépenses socio-fiscales peuvent être évaluées à l’aune de l’atteinte de leur objectif initial (ici le niveau de l’emploi), mais aussi en fonction des conséquences en termes de pertes de recettes pour les institutions publiques (ici la Sécurité sociale).
De l’incitation à l’obligation
Comme l’ont souligné la juriste Marion Del Sol et l’économiste Pascale Turquet, il existe une dépense socio-fiscale spécifique pour inciter à développer les complémentaires santé depuis la fin des années 1970.
La loi du 29 décembre 1979 prévoit une exemption d’assiette pour les contributions des employeurs au financement de prestations complémentaires de retraite et de prévoyance. L’exemption d’assiette est l’exclusion d’une partie du salaire du calcul des cotisations, ce qui réduit mécaniquement les ressources de la Sécurité sociale.
L’objectif de ce dispositif est incitatif : l’idée est d’encourager les entreprises à mettre en place volontairement des prestations sociales complémentaires pour la santé et/ou la retraite de leurs salariés.
Côté entreprise, les nouvelles règles modifient l’arbitrage entre salaire et prestations complémentaires au bénéfice de ces dernières. Côté Sécurité sociale, les ressources sont moins importantes lorsque l’initiative privée des employeurs finance la complémentaire privée plutôt que du salaire. Aussi, la Sécurité sociale ne finance pas directement les complémentaires. Mais leur développement par l’intermédiaire de l’entreprise entraîne pour elle un manque à gagner.
Un contournement de la Sécu subventionné
Le détail des conditions de l’exemption d’assiette a beaucoup évolué au cours des années 2000. L’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 a constitué une étape décisive. Celui-ci a créé pour les salariés du privé une complémentaire santé obligatoire financée au moins à 50 % par l’entreprise. Ce droit est la contrepartie des mesures de flexibilisation de la gestion de l’emploi obtenues par le patronat (c’est d’ailleurs pourquoi les syndicats CGT et FO n’étaient pas signataires).
L’ANI a été validé par la loi du 14 juin 2013 avec entrée en application des mesures sur la complémentaire d’entreprise au 1er janvier 2016. L’ANI a pérennisé les exemptions d’assiette pour les employeurs qui financent une complémentaire d’entreprise.
Marion Del Sol et Pascale Turquet remarquent que l’on est passé d’une logique d’incitation à une logique de subvention. Auparavant l’exemption d’assiette était conditionnée à une action volontaire de l’entreprise jugée par le régulateur comme vertueuse. Désormais, comme la couverture d’entreprise est obligatoire, l’exemption d’assiette est une pure subvention au détriment de la Sécurité sociale.
Des pertes de recettes importantes pour la Sécu
A quel prix ? L’annexe 4 du PLFSS 2025 propose une évaluation des pertes de recettes liées aux exemptions d’assiette. Ces exemptions concernent les complémentaires santé d’entreprise mais aussi d’autres formes de contournement du salaire (participation, intéressement, ticket-restaurant, chèque vacances, etc.).
Tous dispositifs confondus, l’assiette exonérée pour 2022 représente 66,1 milliards d’euros, soit une perte pour la Sécurité sociale de 17,8 milliards d’euros de cotisations brutes ou de 13,3 milliards d’euros de cotisations nettes. La cotisation brute comprend à la fois les pertes liées à l’exemption d’assiette et celles liées aux exonérations générales de cotisations.
Les estimations produites dans le PLFSS ne donnent pas précisément le montant en euros de ce que l’on pourrait récupérer en modifiant telle ou telle disposition. En effet, l’évolution de la réglementation induit un changement de comportement qui n’est pas pris en compte ici.
Cependant, les calculs permettent de donner un ordre de grandeur des manques à gagner, qui peuvent être rapprochés du montant des déficits de la Sécurité sociale. Cela permet de constater l’ampleur du phénomène. En 2023, les pertes de cotisations liées aux politiques d’exemption de cotisation étaient supérieures au déficit de la Sécurité sociale.
Et les complémentaires santé d’entreprise ? Elles représentent en 2022 le premier motif d’exemption d’assiette avec 21,1 milliards d’euros sur 66,1 milliards exemptés (31,9 % du total). Elles sont aussi la première cause de perte de cotisations : 6,3 milliards de cotisations brutes et 4,9 milliards de cotisations nettes.
La contribution des complémentaires santé d’entreprise aux pertes de recettes de la Sécurité sociale est tout sauf négligeable. En 2023, les pertes de recettes liées aux déductions d’assiette du fait d’une complémentaire d’entreprise représentent environ la moitié du déficit de la Sécurité sociale (4,8 à 6,6 milliards sur 10,8 milliards d’euros).
Vu le niveau important de perte de recettes pour la Sécurité sociale, des taxes compensatoires ont été progressivement adoptées. L’idée du régulateur est de trouver une taxation intermédiaire entre l’absence d’exemption et l’exemption complète.
En 2022, les taxes compensatoires permettaient en moyenne de récupérer 36,1 % des sommes perdues du fait des exemptions d’assiettes. Le calcul spécifique sur les contrats de complémentaires santé n’est pas disponible. Le manque à gagner reste sans doute très important, se chiffrant en milliards d’euros.
Il existe donc structurellement un lien entre développement des complémentaires santé d’entreprise et les pertes de recettes pour la Sécurité sociale. Lorsque les complémentaires santé d’entreprise gagnent du terrain, la Sécu est amputée d’une partie de ses recettes. Cela a pour effet de dégrader le solde de la Sécurité sociale et de justifier en retour le transfert de charge vers les complémentaires santé. Un cercle vicieux qui se fait au détriment des patients.