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"Révolution permanente" répond à "Lutte ouvrière" sur la Palestine

Palestine

Lien publiée le 11 novembre 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.revolutionpermanente.fr/Palestine-nationalismes-et-camp-militaire-Nouvelle-reponse-a-Lutte-Ouvriere

Depuis octobre 2023, la discussion est ouverte avec Lutte ouvrière sur la politique des révolutionnaires face à la guerre coloniale en Palestine. Nous revenons ici sur leur dernière réponse.

L’évolution dramatique de la situation au Proche-Orient, avec la confirmation de l’agression sioniste contre le Liban et la poursuite du génocide à Gaza, continue à poser la question de la position des révolutionnaires vis-à-vis des belligérants dans cette guerre. Nous poursuivons, ici, la discussion avec Lutte Ouvrière, en réponse à l’article nous interpellant sur cette question.

La méthode des camarades de Lutte Ouvrière et la nôtre

Dans le numéro de septembre de Lutte de Classe, les camarades de Lutte Ouvrière ont publié un article en réponse à celui que nous avions sorti avant l’été, dans le cadre d’un échange qui s’est ouvert entre nos deux organisations autour de la situation au Moyen-Orient et du génocide en Palestine.

Les camarades ouvrent leur texte par une mise au point méthodologique « de fond », après nous avoir traité de tous les noms dès le titre et le chapeau : « mensonges », « malhonnêteté », « opportunisme »… Leur propos liminaire s’appuie littéralement, sur un passage d’une ligne et une note de bas de page de notre article, dans lesquels nous ne faisions que le lien entre leur position actuelle et l’influence qu’ont pu exercer sur la trajectoire politique de LO des courants avec lesquelles l’organisation a pu entretenir des liens. Dans ce même sens, nous aurions également quelques mots à dire à propos de la méthode de discussion des camarades de Lutte Ouvrière.

Depuis le début de la discussion nous avons, pour notre part, fait l’effort de discuter sur la base de ce que les camarades écrivaient dans leur presse, leurs tracts ou encore ce qui figurait sur leurs banderoles. Par ailleurs, et de façon à discuter, nous avons pointé ce qui, dans leur propre tradition, relevait de positions que nous considérions plus correctes que celle qu’ils ont pu défendre jusqu’à il y a peu. Les camarades de LO emploient quant à eux la méthode inverse. Ils font semblant de ne pas avoir lu ce que nous avons écrit, en répétant à l’envi que nous soutiendrions le Hamas.

Voyons donc ce qu’il en est réellement. Après une première réaction aux évènements du 7 octobre rédigée dans la foulée de cette attaque sur la base d’informations partielles dont nous disposions, où nous rappelions tout de même « toutes les différences politiques et sur les méthodes » que nous avions avec le Hamas, nous avons publié dès le 10 octobre une déclaration de notre courant international. Celle-ci expliquait noir sur blanc que :

« L’action militaire des milices du Hamas, qui attaque à la fois des postes militaires et la population civile, a pu être facilement instrumentalisée par Netanyahu et les États impérialistes pour tenter de légitimer sa déclaration de guerre. Elle a également permis au gouvernement israélien de rassembler toute l’opposition et les secteurs critiques derrière le soutien à une offensive militaire contre la bande de Gaza. Nous condamnons les attaques contre la population civile. Nous ne partageons pas les méthodes du Hamas, qui entravent la marche vers l’unité nécessaire entre la population arabe palestinienne, les Arabes israéliens et même des secteurs de la classe ouvrière juive qui rejettent le sionisme et sa politique criminelle, dans la lutte contre l’État d’Israël et son apartheid systématique. Nous ne partageons pas non plus son programme et sa stratégie, qui proclament comme objectif l’établissement d’un État islamique théocratique sur tout le territoire de l’État d’Israël. Si la politique des « deux États » promue par l’Autorité palestinienne par le biais des accords d’Oslo s’est révélée être un échec retentissant, la solution proposée par le Hamas n’est en rien une alternative progressiste. »

Le 11 octobre, nous publiions un nouvel article entièrement consacré à expliquer en quoi notre soutien à la résistance palestinienne ne se confondait pas avec un quelconque soutien au Hamas. Nous écrivions alors, en reprenant un article plus ancien, que « tout en s’opposant à l’occupation sioniste, [le Hamas] mise sur l’alliance avec les gouvernements musulmans bourgeois, comme l’Iran ou le régime du Qatar qui ont constitué l’avant-garde contre-révolutionnaire contre le printemps arabe, pour qui le mouvement palestinien est une monnaie d’échange dans leurs transactions commerciales avec l’impérialisme. Le programme du Hamas visant à ériger un État islamiste est un projet politique réactionnaire ».

Le 6 novembre, un long article d’un camarade argentin de la direction du PTS à propos de la position des révolutionnaires sur la stratégie du Hamas affirmait, entre autres, que « la libération de la Palestine ne peut être atteinte en suivant les directions des mouvements politiques confessionnels bourgeois tels que le Hamas, ni en suivant celles des mouvements nationalistes comme l’OLP. C’est pourquoi, pour nous, le soutien à la résistance palestinienne implique une lutte acharnée sur le terrain du programme, de la stratégie et des méthodes. »

Nous pourrions poursuivre cette liste de citations tirés d’articles publiés après octobre et novembre 2023 mais ils reprennent, dans leur ensemble, la même ligne politique vis-à-vis de la question de la délimitation par rapport aux méthodes, à la stratégie et à la nature du Hamas. Sur quoi se base donc l’affirmation répétée à outrance par les camarades de LO selon laquelle nous soutiendrions le Hamas ? Strictement rien. Jamais ils n’évoqueront la moindre citation sous-tendant leur affirmation, nourrie par de simples procès d’intention, selon laquelle notre défense de l’indépendance du prolétariat et de son auto-organisation se réduirait à des « phrases creuses vidées de tout sens » visant à cacher le fait que nous nous rangerions « de façon honteuse » derrière la politique du Hamas. Est-ce cela ce que les camarades de LO qualifient de débat « mené avec honnêteté » ?

Tout ceci serait déjà problématique si ce débat se déroulait dans un climat apaisé. Mais, au vu de l’offensive en cours contre les soutiens de la cause palestinienne, c’est loin d’être le cas. Or, c’est précisément au nom d’un supposé « soutien aux terroristes du Hamas » que de nombreux militants solidaires de la cause palestinienne, dont plusieurs camarades de RP, ont été convoqués par des cellules antiterroristes de l’État. Certains, à l’image de Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’Union départementale de la CGT du Nord, ont également été renvoyés en procès pour « apologie du terrorisme », avec la menace de lourdes condamnations. La criminalisation inédite des soutiens à la cause palestinienne par l’État et les relais, en France, du sionisme, se fonde sur un amalgame qui ressemble à s’y méprendre à celui auquel ont recours les camarades de LO : soutenir la résistance du peuple palestinien contre l’occupation et la colonisation ne serait qu’une « façon honteuse » de soutenir le Hamas. Ce contexte devrait à lui seul faire réfléchir LO, d’autant plus que les camarades ont refusé de signer la tribune très large de soutien à notre camarade Anasse Kazib, poursuivi pour apologie du terrorisme pour son soutien à la résistance palestinienne et sa dénonciation du génocide en cours.

Sur « les nationalismes » et le renvoi dos-à-dos d’Israël et de la Palestine

En cherchant à répondre à notre critique sur le fait d’avoir renvoyé dos-à-dos l’Etat d’Israël et les Palestiniens, les camarades de LO écrivent dans leur article de septembre 2024 être « inconditionnellement solidaires du peuple palestinien face à l’oppression qu’il subit. Mais cette solidarité avec un peuple opprimé n’implique pas nécessairement l’approbation des politiques et des choix des organisations qui prétendent le représenter, surtout s’agissant en l’occurrence d’organisations nationalistes bourgeoises ! »

Nous sommes entièrement en accord avec cette position. Cependant, dans quelle mesure LO a réellement exprimé une « solidarité inconditionnelle avec le peuple palestinien face à l’oppression qu’il subit » ? Regardons concrètement ce que LO a pu écrire, non pas après que le génocide a fini par scandaliser de larges pans de l’opinion publique mondiale, mais dans les moments les plus difficiles, c’est-à-dire dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre 2023.

Dans la revue Lutte de Classes de novembre 2023, les camarades de LO publient un article daté du 13 octobre avec un titre neutre et général : « Moyen-Orient : la guerre permanente, condition du maintien de la domination impérialiste ». Ils y écrivent que « la politique de Netanyahou est une impasse pour le peuple israélien, comme celle du Hamas en est une pour le peuple palestinien. Mais le conflit qui oppose les deux peuples depuis des décennies ne se réduit pas au seul conflit entre deux nationalismes pour un territoire contesté. Il s’insère dans l’ensemble des conflits du Moyen-Orient. »

Très loin de la « solidarité inconditionnelle », l’occupation de la Palestine est alors présentée comme un « conflit entre deux nationalismes pour un territoire contesté », bien qu’inséré dans le cadre général des conflits de la région. La conclusion de l’article est sur la même tonalité. Avant de finir sur les mots d’ordre contre l’impérialisme en général et pour la révolution prolétarienne mondiale, il explique ainsi que « le conflit dans lequel sont enfermées les populations israélienne et palestinienne montre à quelle impasse mènent les nationalismes bourgeois à l’époque de l’impérialisme déclinant. S’il pouvait leur rester quelque espace pour se développer, dans une région comme le Moyen-Orient cet espace s’est réduit à rien et les conflits sans fin et sans solution dont elle est le théâtre en sont le témoignage. »

Netanyahou et le Hamas incarneraient ainsi deux forces également réactionnaires, deux nationalismes bourgeois, sans aucune distinction entre eux, manipulés par la main invisible de l’impérialisme, aux dépens des travailleurs arabes et juifs. C’est cette même logique qui a été reprise partout, dans les tracts, publications sur les réseaux sociaux, prises de parole de Lutte Ouvrière, ou encore sur cette banderole parisienne d’octobre 2023 qui exprime de façon explicite la position que nous critiquons :

Contre cette position, nous continuons à affirmer, avec Trotsky et Lénine, que le fait de renvoyer dos-à-dos le nationalisme des oppresseurs (c’est à dire le chauvinisme) et celui des opprimés est une faute politique. Cela revient à ne pas comprendre que le sentiment national, anti-impérialiste et/ou anticolonial d’un peuple opprimé a un contenu progressiste et libérateur (quand bien même il serait limité). Placer ce sentiment national dans un pays opprimé au même niveau que le nationalisme réactionnaire et chauvin des colons et des impérialistes revient à dédouaner ces derniers. C’est d’autant plus grave que nous militons dans un pays impérialiste, c’est à dire lui-même oppresseur.

Au risque de déplaire à nos camarades de LO, qui visiblement n’aiment pas que l’on souligne les contradictions entre leur politique actuelle et ce qu’ils ont pu soutenir par le passé (et ce au-delà même des nuances que nous pourrions avoir), la position des camarades sur la Palestine a été, jusqu’il y a peu, un net recul. Nous avions cité, dans notre article de réponse, les positions de LO vis-à-vis de la guerre de 1973, dans laquelle Lutte Ouvrière se situait alors clairement pour la défaite d’Israël, et que nous partageons.

Par-delà les différences entre les deux situations, on pourrait également évoquer ce que LO défendait en 1982 dans le cadre de la guerre des Malouines, opposant la « Grande-Bretagne démocratique de Margaret Thatcher » à la junte argentine, à la tête du pays après le coup d’État militaire de 1976. Dans le cadre d’une résurgence, chez les masses et les classes populaires d’Argentine et, au-delà, d’Amérique latine, d’un « sentiment national » en défense des Îles Malouines, une colonie britannique de l’Atlantique Sud depuis 1833, située à plus de 12.000 kilomètre de Londres et dont la souveraineté est revendiquée par Buenos Aires, les camarades de LO soulignaient combien il n’était « pas du tout surprenant que les sentiments anti-impérialistes demeurés réels, y compris depuis la fin du péronisme, se soient brutalement manifestés à nouveau et au grand jour à l’occasion d’un heurt avec la puissance britannique, demeurée un symbole de ce pillage et de cette oppression impérialistes.. »

LO n’hésitait pas alors à désigner quel devait être le camp du monde du travail, en France, dans le conflit qui opposait la dictature Argentine à la Grande-Bretagne : « L’impérialisme britannique n’a rien à faire aux Malouines. Sur ce point précis, les révolutionnaires internationalistes, quel que soit le pays dans lequel ils se trouvent, se placent dans le même camp que l’Argentine parce qu’ils combattent l’impérialisme d’une façon générale, à l’échelle du globe, et qu’ils soutiennent tout ce qui peut contribuer à le faire reculer, où que ce soit. C’est pourquoi ils disent : hors des Malouines, l’Angleterre ! »

Bien évidemment, dans le paragraphe suivant, les camarades de LO se délimitaient de la Junte militaire argentine, semi-fasciste. Cette dernière était arrivée au pouvoir, avec l’appui de l’impérialisme étatsunien, des multinationales et du patronat argentin en faisant assassiner ou « disparaître » 30.000 travailleurs, travailleuses et militants dans le cadre d’un génocide social et politique à grande échelle. Cela n‘empêchait pas LO de se placer résolument du côté de l’Argentine contre la Grande-Bretagne. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même concernant la Palestine et le Hamas ? Parce qu’il s’agirait, en l’occurrence, d’une direction confessionnelle islamique ? Cette attitude est en tout cas d’autant plus problématique que l’instrumentalisation par l’impérialisme de la politique du Hamas pour interdire tout soutien à la cause palestinienne devrait au contraire imposer aux révolutionnaires d’être encore plus fermes sur leurs principes.

Camp politique et camp militaire

Dans leur article de septembre, les camarades de Lutte Ouvrière essayent de contourner la question du choix d’un camp militaire dans la guerre en cours en expliquant que leur camp serait d’abord « un camp politique ». Or, un conflit armé est toujours la poursuite d’une politique par d’autres moyens. Prendre parti pour un camp politique sans se positionner en faveur d’un camp militaire revient à se cacher derrière son petit doigt. En ce sens, depuis Marx, les révolutionnaires ont toujours pris position sur les guerres, même lorsqu’elles impliquent des acteurs qui, socialement ou géographiquement, sont à des milliers de kilomètres de leur propre théâtre d’intervention et de militantisme. Pour cela, les organisations révolutionnaires cherchent à analyser dans les conflits quels sont les camps en présence et où se situent, en dernière instance, les intérêts du prolétariat international dans tel ou tel affrontement armé. Quel dénouement peut-être le plus favorable ou, à l’inverse, opposé, à l’horizon révolutionnaire ?

C’est dans cette perspective que doivent être tracés les contours du positionnement que les marxistes sont censés adopter. Dans le cas des conflits inter-impérialistes ou réactionnaires, les révolutionnaires prônent ainsi le « défaitisme révolutionnaire ». Dans le cas d’un conflit mettant aux prises un belligérant impérialiste (ou soutenu par l’impérialisme) et des peuples colonisés ou des pays semi-coloniaux, formellement « libres » mais sous le joug de l’impérialisme, les révolutionnaires se situent dans le « camp militaire » de ces derniers. Les camarades de LO semblent pourtant penser que cette logique ne s’applique pas au conflit en cours.

C’est en ce sens qu’ils écrivent que « la situation politique au Moyen-Orient ne soit pas la même en 1973 et en 2024, cinquante ans après, ne compte visiblement pas pour ces camarades. Il n’est donc pas inutile de rappeler le contexte. Dans la guerre de 1973, il y avait d’un côté l’État israélien, soutenu par les États-Unis qui organisaient un pont aérien pour lui livrer les armes dont il avait besoin, et de l’autre l’Égypte et la Syrie, dont les dirigeants cherchaient encore, à l’époque, à desserrer l’emprise de l’impérialisme et entretenaient pour cela des liens avec l’Union soviétique. Comme nous l’avons alors écrit, le prolétariat n’était pas représenté avec sa bannière dans ce conflit, mais l’impérialisme, lui, était clairement dans le camp d’Israël. »

Cet extrait pose deux questions. La première : de quel côté du conflit se situe l’impérialisme aujourd’hui ? Ne serait-il pas « clairement dans le camp d’Israël ? » La deuxième : est-il juste de conditionner un soutien à la résistance d’un peuple opprimé à la coloration politique de sa bourgeoisie ? Ce n’était pas le raisonnement de Trotsky. Pratiquant un raisonnement par hypothèses, ce dernier était extrêmement clair, à la veille de la Seconde guerre mondiale, au sujet de ce qu’impliqueraient des affrontements entre des régimes de nature différente mais situés dans des pays aux caractéristiques radicalement distinctes dans l’économie de l’organisation impérialiste des rapports internationaux. Ainsi, soulignait-il en 1938, « il règne aujourd’hui au Brésil un régime semi-fasciste qu’aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l’Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du Brésil "fasciste" contre l’Angleterre "démocratique". Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n’est pas de démocratie ou de fascisme qu’il s’agirait. Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de [Getulio] Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. »

En suivant cette logique, nous pensons pouvoir dire qu’une victoire israélienne ou une consolidation des positions de l’État d’Israël sur la base de la cristallisation du rapport de forces actuel, après un an de guerre, ne pourrait que représenter un approfondissement de l’oppression du peuple palestinien. Il s’agirait, de même, d’un recul catastrophique pour le monde du travail dans l’ensemble des pays arabes et du Moyen-Orient – avec des répercussions à échelle internationale – dans le cadre d’un renforcement des régimes réactionnaires de la région, remis au pas ou réalignés sur les intérêts de l’impérialisme. A l’inverse, une victoire ou une avancée du camp palestinien pourrait ouvrir la voie à un processus révolutionnaire dans la région, en lien avec la relation dialectique qu’entretient la lutte de libération nationale palestinienne et la lutte des masses et de la classe ouvrière arabe contre leurs autocraties pro-impérialistes. Celle-ci a été démontré à différentes reprises, et la seconde intifada a par exemple ouvert une époque de résistance qui a fini par se cristalliser dans les révolutions arabes de 2011. Cette perspective régionale permet de rendre concrète la logique de la théorie de la révolution permanente formulée par Trotsky, selon laquelle il existe un lien indissociable entre libération nationale véritable et mobilisation révolutionnaire du prolétariat en vue de la prise du pouvoir, qui implique évidemment que ce dernier trouve le chemin d’une mobilisation indépendante.

A ce sujet les camarades de Lutte ouvrière essayent de nous ranger « dans la tradition de tous ceux qui, au sein du mouvement trotskyste international, ont utilisé cette formule pour justifier leur suivisme vis-à-vis des mouvements nationalistes, dans la période des années 1950-1960, alors que des mobilisations anti-coloniales et anti-impérialistes se produisaient dans de nombreux pays ». Sans les citer, LO se réfère aux courants – SWP étatsunien, « morénisme », « pablisme » ou, par la suite, « mandélisme » – qui ont pu adopter au cours de la période allant de l’Après-guerre au début des « Années 1968 » des positions non seulement de soutien militaire aux luttes anticoloniales ou anti-impérialistes mais qui ont présenté leurs directions – Mao, Ho-Chi-Minh, Ben Bella, Castro ou d’autres – comme des « accélérateurs » ou des « expressions inconscientes » de la révolution prolétarienne internationale à une époque où le centre de gravité de la contestation de l’ordre mondial s’était déplacé du centre vers la périphérie.

Ce n’est pas notre cas. Il suffit pour le savoir de prendre le temps de lire ce que nous avons pu écrire à propos de l’adaptation des trotskystes de l’Après-guerre à ces directions nationalistes bourgeoises ou staliniennes. Dans notre « Manifeste pour un Mouvement pour une Internationale de la Révolution socialiste – Quatrième internationale », daté d’août 2013 et que LO connaît, nous écrivions ainsi qu’au cours « de la période 1951-1953 le trotskysme s’est transformé en un mouvement centriste. Au lieu de réactualiser les bases programmatiques et stratégiques en fonction des nouvelles conditions de la situation internationale, il a fini par s’adapter aux directions staliniennes, nationalistes ou petite-bourgeoises, de Tito à Mao en passant par Castro et le FLN algérien. Dans ce cadre, la tendance qui a prévalu au sein du mouvement trotskyste a été la rupture de la tradition révolutionnaire » [1]

Il est donc évident que, pour nous, ni Nasrallah, ni Hanyeh, ni Arafat, de leur vivant, pas davantage que les courants qu’ils dirigeaient ne sont, selon nous, révolutionnaires. Pas plus que ceux à la tête desquels se trouvaient Mao, Ho-Chi-Minh ou Castro. L’accusation avancée par LO à l’encontre de notre courant international est parfaitement infondée. Nous mettons au défi les camarades de la démontrer avec des faits.

Quelle perspective de victoire pour le camp palestinien ?

Reste tout de même la question de ce que serait une victoire du camp palestinien. « Quelle issue peut-on souhaiter au conflit actuel », s’interroge Lutte Ouvrière ? Le Hamas, affirme l’article de LO de septembre « sait parfaitement qu’il ne peut pas vaincre militairement l’État israélien, et ce n’est d’ailleurs pas son objectif ». L’hypothèse, improbable selon LO, « d’une victoire ou d’un succès militaire du Hamas [deux choses bien distinctes, par ailleurs, NDR] aboutiraient tout au plus à imposer à Israël la ‘solution à deux Etats’ [qui] satisferait partiellement la bourgeoisie palestinienne, (…) pourrait être un répit dans la guerre [pour les Palestiniens mais] ne représenterait pas la fin de l’exploitation ».

Il est évident que si l’on se limite au cadre actuel du conflit, les perspectives de victoire du camp de la résistance palestinienne ou de la résistance libanaise sont plus que limitées. Nous assistons aujourd’hui à une guerre asymétrique de guérilla « classique », complétée par des attaques balistiques ou de drones venant de Gaza, des forces alliées ou des tuteurs régionaux du Hamas. Cependant, l’incapacité de l’État d’Israël à transformer ses succès militaires en victoires stratégiques menacent de l’entraîner dans une guerre d’usure sur de multiples fronts, qui finirait par dépasser et aller à l’encontre de ses intérêts réactionnaires.

Cette fuite en avant guerrière, toujours plus destructrice, pourrait ouvrir une brèche pour l’entrée en scène des masses populaires de la région, sur un terrain social, politique et militaire, en fonction des différents théâtres et pourrait changer la dynamique du conflit. Évidemment, la tâche du prolétariat et des masses populaires dans les Territoires occupés, au Liban, en Égypte, en Irak ou au Maroc ne seraient pas les mêmes en termes de soutien à la cause palestinienne, sans même parler de ce que devrait être la position du mouvement ouvrier et de la jeunesse, sur la durée, dans les pays impérialistes, et en particulier aux Etats-Unis, où l’image d’Israël est en train de se détériorer à grande vitesse. Mais, plus que jamais, la libération de la Palestine passera par la rue, au Caire, à Bagdad et ailleurs, par la mobilisation de la jeunesse et de la classe ouvrière d’Egypte et des autres pays de la région.

Le Hamas, tout comme le Hezbollah, sont absolument hostiles à une telle idée, du fait de leur politique de non-intervention dans les affaires des pays de la région, condition pour obtenir le soutien de certains régimes arabes ou du Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle, indépendamment d’appels généraux à la solidarité, aucun appel conséquent à la mobilisation n’a jamais été lancé depuis le QG en exil du Hamas, des quartiers Sud de Beyrouth ou de Téhéran. Les directions du Hamas, du Hezbollah et plus encore du régime des Mollahs en Iran sont des ennemis résolus de l’entrée en mouvement des masses qui, en dernière instance, pourraient trouver des canaux de mobilisation indépendants et autonomes. Comme le dit le vieux proverbe arabe de la diaspora palestinienne, « la distance qui nous sépare de la Palestine est la distance qui nous sépare de la révolution ».

Cependant, défendre la perspective d’une résistance qui combinerait tout à la fois opposition à l’agression et au génocide perpétrés par Israël, opposition à ses alliés ou à ses parrains qui lui livrent ses armes (malgré des critiques et des signes d’irritation de plus en plus prononcés), mais également dénonciation des insuffisances des directions nationalistes bourgeoises arabes, voire de la collusion des régimes arabes et de la région qui n’ont jamais coupé les ponts économiques et politiques avec l’État sioniste, tout ceci ne peut se faire qu’en se situant inconditionnellement dans le camp de la résistance telle qu’elle existe aujourd’hui. Ce n’est pas la position défendue jusqu’à présent par les camarades de Lutte Ouvrière. Or, jamais la classe ouvrière ni les masses arabes solidaires du peuple palestinien ne feront confiance à ceux qui renvoient dos-à-dos « les nationalismes » de l’oppresseur et des opprimés.

Tout dernièrement, néanmoins, les camarades de LO semblent avoir changé de position. Dans le dernier numéro de la revue Lutte de classe, l’article d’ouverture, consacré à l’extension du conflit au Liban se prononce enfin clairement pour la défaite militaire de l’Etat d’Israël : « En tant que communistes révolutionnaires, nous sommes solidaires des Palestiniens, des Libanais et de tous les peuples victimes de la violence de l’impérialisme et de l’État israélien qui lui sert de bras armé au Moyen-Orient. Dans la guerre qu’il mène, nous souhaitons la défaite militaire de l’État israélien. » Un changement de pied dont on ne peut que se féliciter, car il s’agit d’une évolution majeure dans la position des camarades vis-à-vis du conflit et du génocide en cours, que nous ne croyons d’ailleurs pas étrangère au débat qui nous anime depuis plusieurs mois.

L’autre élément du rapport de forces est précisément le mouvement international de solidarité dont les camarades de Lutte Ouvrière sous-estiment visiblement la portée. C’est ce dont ils témoignent lorsqu’ils écrivent à propos des mobilisations des derniers mois contre l’agression sioniste que « ces manifestations n’ont entraîné qu’une fraction très minoritaire de la jeunesse, en particulier en France où elles n’ont jamais atteint un niveau de mobilisation comparable à celui des États-Unis ». D’une part, ce mouvement international s’est exprimé par des manifestations massives, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Grande-Bretagne et dans d’autres pays, avec parfois l’implication de secteurs du mouvement ouvrier comme certains syndicats aux Etats-Unis ou encore les dockers grecs. Aux Etats-Unis, le mouvement a probablement été la mobilisation anti-guerre la plus puissante depuis la vague d’opposition à la guerre du Vietnam entre la fin des années 1960 et la première moitié des années 1970. La particularité, et elle est de taille, est que le mouvement actuel ne s’oppose pas tant à l’envoi de soldats étatsuniens qu’à une agression soutenue par Washington. En ce sens, il s’agit d’un pur mouvement de solidarité internationale.

Il nous semble qu’il s’agit de cette même sous-estimation qui a pu conduire les camarades à n’avoir qu’une intervention a minima dans le mouvement de solidarité qui s’est développé en France. Il est ainsi un peu facile de se plaindre des limites et des faiblesses de celui-ci, notamment en termes de massivité, sans évoquer la politique d’interdiction de toute manifestation pendant les trois premières semaines du conflit, les amendes, les garde-à-vue, les convocations pour un tweet, les procès, ou la criminalisation brutale dont fait encore l’objet le soutien à la Palestine. De ce point de vue, on a le droit de se demander où étaient les camarades de LO pendant ces semaines décisives d’octobre 2023 ? Quel a été leur apport, en tant que principale force militante de l’extrême-gauche en France, revendiquant plus de 8000 adhérents, pour faire en sorte que le mouvement qui défiait l’interdiction de manifester contre l’agression sioniste soit le plus massif possible et s’empare de secteurs significatifs de notre classe ? Était-ce une fatalité que le mouvement de solidarité soit dirigé par ceux que LO appelle « les nationalistes » ? Les marxistes révolutionnaires n’auraient-ils pas pu, comme à d’autres moments de l’histoire, en être une composante centrale ?

Malgré cela, les camarades de LO semblent se satisfaire de leur intervention. Ainsi, affirment-ils, ils ont pu arborer « le drapeau rouge, celui de la classe ouvrière internationale et non le drapeau national palestinien, à l’inverse de RP » tout en se démarquant « dans tous ces rassemblements et lors de nos prises de parole (…) des organisations nationalistes ». Alors que la situation est aujourd’hui encore plus inflammable, au niveau régional et mondial, qu’elle ne l’a été jusqu’à présent, et qu’il en va du destin d’un des peuples les plus opprimés de la planète, des masses arabes dans leur ensemble, avec un fort impact sur la situation internationale, l’intervention des révolutionnaires n’est pourtant pas vouée à se résumer à arborer le drapeau rouge, soigneusement entouré par un cordon sanitaire vis-à-vis du sentiment national des opprimés.

De notre côté, nous espérons que l’évolution de la position de Lutte Ouvrière, telle qu’exprimée fin octobre, sur la question du camp militaire à défendre et la défaite d’Israël, se double d’un tournant sur le terrain de l’intervention. Nous restons, encore une fois, ouverts à la discussion pour trouver la façon de renforcer, ensemble, le mouvement de solidarité avec la Palestine et y construire une aile clairement positionnée contre l’agression sioniste et contre l’impérialisme, dans le camp de la résistance palestinienne et libanaise, en toute indépendance des directions réactionnaires du Hezbollah et du Hamas.

NOTES DE BAS DE PAGE

[1] Voir aussi Les limites de la restauration bourgeoise de Matias Maiello et Emilio Albamonte, 2011.