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Islande : Entre fronde et orthodoxie
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Où en est l'économie du pays ?
L'Islande, donnée pour moribonde après l'effondrement de ses banques et de son économie en 2008, connaît aujourd'hui un redressement spectaculaire : le chômage est descendu en dessous de la barre des 5 %, la balance commerciale est devenue bénéficiaire et la croissance a atteint 1,7 % en 2012. Le système bancaire a été restauré grâce à un contrôle des changes consenti à l'Islande, mais qui ne pourra durer éternellement. La pêche et le tourisme, les secteurs d'activité les plus dynamiques, sont en pleine expansion : la pêche bénéficie de la remontée vers le nord de la plupart des espèces, à cause du réchauffement climatique, et le tourisme est dopé par la faiblesse de la couronne, la monnaie locale.
Mais le niveau de vie reste très en deçà de celui de 2008, lorsque la mise en faillite de toutes les banques et la dévaluation de 45 % de la couronne avaient entraîné des émeutes, une crise politique, et la démission du gouvernement composé de conservateurs et de sociaux-démocrates. Une coalition de gauche et d'extrême gauche, menée par la sociale-démocrate Johanna Sigurdardottir, était sortie vainqueur des élections anticipées de janvier 2009. La société islandaise, dans une formidable remise en cause, a ouvert alors de multiples chantiers : une réforme de la Constitution, un tribunal spécial pour juger l'ancien premier ministre Geir Haarde (conservateur), et des mesures pour remédier au surendettement des ménages, le tout avec l'aval du Fonds monétaire international (FMI) qui mit certaines conditions, toutes respectées, aux prêts qui ont permis à l'Etat de se renflouer.
Quel a été l'impact politique de la crise ?
Les électeurs de gauche et de droite, à en croire les sondages, sont très mécontents. Sept formations de gauche se disputeront, le 27 avril, les voix des deux partis au pouvoir, les sociaux-démocrates et les écologistes radicaux. Les sociaux-démocrates, qui avaient obtenu 29 % des voix en 2009, ne sont plus crédités que de 12 %. Ils perdent du terrain face à la Garde démocratique (gauche), mais surtout au profit de l'humoriste et maire de Reykjavik, Jon Gnarr, et de son mouvement Avenir radieux, dont le nom est en lui-même un pied de nez aux promesses non tenues en politique.
Les écologistes radicaux (gauche-verts) sont en voie d'implosion. La politique d'austérité a été vécue par leurs partisans comme une trahison, et l'écologie, par ces temps difficiles, n'intéresse plus grand monde en Islande. Les conservateurs n'ont pas fait le ménage dans leurs rangs après l'effondrement du pays dont nombre d'entre eux portaient la responsabilité. Ils devraient en payer le prix, la cure d'opposition ne les ayant pas ragaillardis.
Le grand gagnant du scrutin devrait être le Parti du progrès, éternel phénix de la politique islandaise. Il fut le parti des fermiers et des coopératives, il paraissait vieillot et en déclin, pour tout dire ringard. Mais son jeune président au visage poupin, Sigmundur David Gunnlaugsson, lui a donné un nouvel élan. Il fut le seul, avec le président de la République, Olafur Ragnar Grimsson, à refuser de rembourser les souscripteurs britanniques de la banque en ligne Icesave, ce qui fait de lui un héros, car la justice européenne lui a ensuite donné raison. Son parti s'engage à rembourser aux Islandais 20 % de leurs crédits immobiliers en prenant l'argent aux "fonds vautours", qui sont les créanciers et futurs propriétaires des banques en liquidation. Cette promesse a fait "tilt" auprès des électeurs et le Parti du progrès est crédité de 30 % des voix.
Quels sont les thèmes au coeur de la campagne électorale ?
L'Islande est candidate à l'Union européenne (UE), mais la question s'est à peine invitée dans le débat électoral. Un quart seulement des habitants de l'île sont favorables à l'adhésion. Mais l'opinion est volatile : pro-européenne quand ça va mal, mais regardant avec dédain, quand ça va mieux, cette association de nations où seuls les pays pauvres veulent entrer. Et puis les nouvelles en provenance de l'Europe ne sont guère affriolantes.
L'avenir de la couronne islandaise et la situation financière des ménages ont été au coeur de la campagne électorale. L'Islande aimerait en finir avec le contrôle des changes, d'autant que les créanciers du pays ne tarderont plus à demander leur dû en devises. Mais comment le faire en évitant le sauve-qui-peut ? Tous les acteurs de la vie politique s'arrachent les cheveux sans trouver de solution. Et tous décrient l'inflation (4 %), mais c'est pourtant elle, bonne fille, qui a permis de faire passer l'amertume des mesures d'austérité comme le bonbon que l'on suce après avoir ingurgité une cuillerée d'huile de foie de morue.
La situation financière des ménages, au centre des débats, n'a rien de nouveau en Islande. L'endettement est constitutif de la culture islandaise, et 70 % des ménages étaient déjà surendettés avant l'effondrement de l'économie. Mais, au-delà de l'endettement, c'est la paupérisation générale de la population qui est vécue comme une injustice.
Quels sont les atouts géostratégiques de l'Islande ?
Depuis quatre ans, les Islandais ont gardé dans l'adversité un inguérissable optimisme. Ils regardent à l'ouest, à l'est, au nord, au sud, en l'air et sous la terre.
A l'ouest, ils voient la côte du Groenland, à 300 kilomètres, qui est en plein dégel et qui manque de ports en eau profonde (l'Islande pourrait venir à la rescousse provisoirement). Dégel aussi à l'est, où les bateaux empruntant la route maritime au nord de la Sibérie pourraient s'arrêter en Islande. Au nord, dans l'Arctique, à une profondeur de 1 500 mètres, des forages à partir d'une plate-forme flottante pourraient déceler des hydrocarbures. Les Islandais se voient déjà toucher les royalties de l'exploitation alors qu'aucune trace de pétrole n'a encore été décelée.
Les Islandais regardent aussi au sud et envisagent de vendre, par câble sous-marin, aux îles Féroé (Danemark) et - pourquoi pas ? - à l'Ecosse de l'électricité produite par leurs centrales hydroélectriques ou géothermiques. Mais les habitants regardent aussi en l'air, ces aurores boréales que les touristes hivernaux, en augmentation de 30 % d'une année sur l'autre, viennent admirer entre deux tempêtes. Ils scrutent également le trafic aérien et le modeste hub de l'aéroport international de Reykjavik, en pleine expansion. La population, peut-être en compensation des rigueurs des temps et du temps, a le sentiment d'être au bon endroit au bon moment.
Les petites sociétés insulaires font rêver car elles semblent avoir une marge d'action supérieure à celle des grandes nations. Sans être véritablement un laboratoire politique et social, l'Islande a retrouvé une cohésion que les inégalités croissantes de l'avant-crise avaient estompée. L'effondrement de 2008 a frappé tous les riches qui avaient leur fortune sur place, ce qui a rendu l'austérité moins douloureuse pour ceux qui ne l'étaient pas. Les temps sont durs à Reykjavik, mais l'Islande a retrouvé une prospérité enviable.