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Chypre : les mafias épargnées, mais pas les contribuables
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'Europe semblait décidée, depuis 2012, à appliquer le principe "idéal" d'un véritable système libéral : en cas de faillite des banques, les actionnaires puis les créanciers et enfin les déposants doivent payer, avant de faire appel aux contribuables, si les citoyens le jugent nécessaire, par l'intermédiaire de leur gouvernement démocratiquement élu.
Cela a été le cas en Islande dès 2009, quand le président du pays a refusé de mobiliser l'argent public pour rembourser les déposants anglais et hollandais et que son gouvernement a mis en prison des banquiers auteurs de malversations.
Or, que s'est-il passé à Chypre ?
Dans le premier plan de sauvetage, le gouvernement chypriote lui-même avait voulu faire main basse sur les économies de la grand-mère chypriote.
Et dans le second, les contribuables européens restent sollicités, pour le moment à hauteur de 10 milliards d'euros, alors que 6 milliards d'euros sont demandés en interne aux banques litigieuses.
30 MILLIARDS D'EUROS DE DÉPÔTS
A la place de qui vont payer les déposants chypriotes et les contribuables européens ?
Fin 2012, l'hebdomadaire allemand Der Spiegel divulguait un rapport des services secrets allemands qui concluait qu'un sauvetage des banques chypriotes serait un cadeau aux oligarques et aux mafieux Russes.
Les Russes détiennent dans ces banques, selon Moody's, de l'ordre de 30 milliards d'euros de dépôts et sont débiteurs, selon Morgan Stanley, pour environ 50 milliards d'euros. Parmi eux, l'oligarque Dmitri Rybolovlev, blanchi d'un meurtre après onze mois de prison et rétractation d'un témoin, est actionnaire de la Bank of Cyprus - l'une des deux banques mises en faillite - à hauteur de 10 % du capital.
Par ailleurs, le rapport 2012 de la Bank of Cyprus chiffrait à 235 millions d'euros les prêts aux proches des dirigeants de cette banque et à leurs entreprises.
Le ministre des finances chypriote, qui a démissionné le 2 avril et qui a été jusqu'en 2012 directeur de la deuxième banque du pays, qui vient d'être liquidée, la Laiki Bank, avait déclaré que "les banques, de temps en temps, font le choix de récupérer ou non l'argent qu'elles ont prêté... Ces pratiques ne sont pas rares".
EXIGER LA DESTITUTION DES DIRECTEURS
Des millions d'euros de dettes ont effectivement été effacés ces dernières années au bénéfice de députés, de proches ou de sociétés liées à des personnalités politiques.
La Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI) et la Commission européenne auraient dû immédiatement exiger la destitution des directeurs des banques déficientes, nommer des directeurs provisoires pour en prendre le contrôle et évincer les actionnaires.
Au lieu de cela, le plan réalisé dans l'urgence par la "troïka" semble avoir été conçu pour laisser l'argent sale s'échapper des mailles du filet. Des banquiers et des conseillers fiscaux ont organisé sur place la fuite des capitaux pendant que la "troïka" débattait à Bruxelles, le week-end du 24 mars.
Malgré la fermeture officielle des banques, certains clients VIP des banques locales auraient bénéficié d'un traitement de faveur. La Bank of Cyprus à Londres et sa filiale en Russie, Uniastrum Bank, n'ont pas gelé les transferts de capitaux, d'où une évasion massive vers la Lettonie. Le président de la Bank of Cyprus n'a démissionné qu'après ces transferts massifs.
Incompétence ou corruption ? A la tête des banques, au gouvernement de Chypre, à la BCE, au FMI et à la Commission européenne, les décisions sont collégiales et sont le plus souvent élaborées à huis clos. Il n'y a pas de responsable ! Le président chypriote, aujourd'hui soupçonné, a lancé une commission d'enquête. Mais est-ce à la mesure des événements ?
JEU TROUBLE DES EUROPÉENS
Car les déposants vont pâtir de la complaisance des gestionnaires de cette crise envers les mafieux. Le taux de prélèvement, initialement de 9,75 %, va bondir à 60 %, car il faudra bien prélever sur les comptes de ceux qui n'ont pu faire évader leurs économies.
Le jeu trouble des Européens dans ce plan de sauvetage peut s'expliquer par la dangereuse dépendance de l'Europe au gaz russe. Depuis 2005, des contrats de gaz importants lient l'Allemagne à la Russie.
Ils ont été signés sous l'ancien chancelier Gerhard Schröder, engagé en 2009 par la société russe Gazprom pour présider le conseil de surveillance de North-EuropeanGas Pipeline, qui doit relier les gisements russes à leurs clients d'Europe de l'Ouest.
Or Chypre possède un des plus gros gisements de gaz découverts au cours de ces dix dernières années, Aphrodite, estimé à plusieurs centaines de milliards d'euros. La banque russe Gazprombank a proposé, heureusement sans succès, une aide financière à Chypre en échange de licences de production.
D'un point de vue stratégique, l'Europe a donc préservé ses intérêts, puisque le Parlement chypriote vient de créer un fonds souverain pour que les premières recettes gazières soient utilisées prioritairement au désendettement. Mais, d'un point de vue éthique, c'est une part importante des biens communs des Chypriotes qui va se substituer aux taxes non perçues sur les dépôts russes mafieux évaporés.
MILLIARDS D'EUROS DE FLUX ILLÉGAUX
Selon le quotidien Les Echos, la filiale chypriote de la banque semi-publique russe VTB, qui gère les fonds de nombreuses sociétés proches du Kremlin, a été préservée par le plan européen, ce qui expliquerait la mansuétude de la Russie vis-à-vis de ce plan.
En Russie, selon le centre de recherche Global Finance Integrity, 500 milliards d'euros de flux illégaux de capitaux ont nourri au cours des vingt dernières années le crime et la corruption. Le président russe, Vladimir Poutine, a été l'invité d'honneur d'Angela Merkel le 8 avril 2013 à la Foire industrielle de Hanovre. Entre intérêts et menaces, par qui l'Europe se laisse-t-elle dicter sa conduite ?
Nous, Européens, sommes des idiots, au sens étymologique du mot idiotês qui, en grec ancien, qualifie un homme vulgaire qui ne participe pas à la vie politique de sa cité.
La nécessaire réduction de l'activité des mafias passe par une meilleure information des citoyens, par leur participation à l'élection de dirigeants intègres qui rendront publiques les décisions et les noms des personnes qui les prennent et les exécutent.