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    Le développement des cours en anglais à l'université déchire le monde académique

    Lien publiée le 9 mai 2013

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) La France saborde-t-elle sa langue au nom de la compétition universitaire internationale ? Le projet de loi sur l'enseignement supérieur, attendu au Parlement le 22 mai, n'en finit plus de faire des vagues. Le texte prévoit de faciliter la mise en place de cours en langue étrangère (donc en anglais). Ainsi, la loi du 4 août 1994 (dite "loi Toubon") sera assouplie par deux nouvelles exceptions au principe général de l'utilisation du français : "pour la mise en oeuvre d'un accord avec une institution étrangère ou internationale, ou dans le cadre d'un programme européen".

    La France, cinquième destination des jeunes qui étudient à l'étranger, est attractive dans sa sphère traditionnelle d'influence (Maghreb et Afrique), mais elle est en perte de vitesse. Le gouvernement, aiguillonné par les écoles et les universités, veut attirer les étudiants des puissances montantes : Brésil, Chine, Inde, Indonésie...

    L'enjeu est décisif : prendre toute sa part dans la formation des futures élites mondiales et assurer le rayonnement du pays. L'Agence universitaire de la francophonie a beau assurer que des départements de français se développent partout, le gouvernement estime qu'il reste nécessaire de faciliter l'usage de l'anglais en France.

    La question "perturbe beaucoup" Thomas Piketty. Professeur à l'Ecole d'économie de Paris, où les cours sont donnés en anglais, il est conscient de l'enjeu : "Soit on ne les forme pas, et ces étudiants iront chez les Anglo-Saxons. Soit on participe à une économie politique multipolaire et on fait ce qu'il faut pour qu'ils viennent."

    "NOUS SOMMES RIDICULES"

    "L'Inde compte un milliard d'habitants, dont 60 millions d'informaticiens, mais nous n'accueillons que 3 000 étudiants indiens, déplore Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur. Nous sommes ridicules."

    Dans Le Monde du 8 mai, une tribune signée par de brillants scientifiques (Françoise Barré-Sinoussi, Nobel de médecine, Serge Haroche, Nobel de physique, ou Cédric Villani, médaille Fields...) est venue appuyer son initiative. "Les scientifiques du monde entier utilisent l'anglais pour communiquer", écrivent-ils. Le projet de loi "favorise l'insertion de la France dans le monde en renforçant son attractivité". Mme Fioraso, longtemps bien seule à défendre son texte, peut espérer que ce soutien calmera les esprits qui s'échauffent.

    Le 21 mars, dans une déclaration assez rêche, l'Académie française pointait "les dangers d'une mesure qui se présente comme d'application technique, alors qu'en réalité elle favorise une marginalisation de notre langue". Elle demande au Parlement de s'y opposer. "Nous sommes en guerre !", embraye, sabre au clair, Claude Hagège. Le professeur au Collège de France parle de "pulsion d'autodestruction", de "cancer", de "projet suicidaire".

    CHARGE VIGOUREUSE

    En danger de mort, le français ? Sur France Info, le 31 mars, Michel Serres donne l'alerte. "Une langue vivante, débute le philosophe, académicien et professeur à l'université américaine de Stanford, c'est une langue qui peut tout dire." Sa langue maternelle, le gascon, est morte car, un jour, elle "ne pouvait plus tout dire : polyèdre et ADN, ordinateur et galaxie..."

    Ensuite, dit M. Serres, "une langue vivante est un iceberg", dont la partie émergée "est représentée par les mots du langage courant ". L'important, "c'est la partie immergée" : l'ensemble des langages spécialisés. Car "une langue vivante, c'est la somme de ces langues spécialisées, insiste le philosophe. Il suffit qu'une langue vivante perde un ou deux de ces corpus et elle est virtuellement morte." Pour M. Serres, "enseigner en anglais nous ramènerait, par disparition de ces corpus-là, à un pays colonisé dont la langue ne peut plus tout dire".

    La charge est vigoureuse. Mais elle n'ébranle pas la ministre, qui appelle au calme. Mme Fioraso assure que seul "1 % des formations à l'université" passerait à l'anglais (dans les grandes écoles, la part se situe entre un quart à un tiers des cours). Ensuite, dit-elle, ce sera "encadré et limité à des enseignements très spécifiques, avec une convention sur le contenu de la formation qui devra justifier de l'intérêt d'enseigner en anglais. Comme je l'ai fait moi-même, le président de la République l'a écrit au Secrétaire perpétuel de l'Académie française. Et Mme Carrère d'Encausse m'a répondu qu'elle était rassurée."

    "LEVIER POUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA FRANCOPHONIE"

    Au reste, les intellectuels qui se sont investis dans cette polémique, dont la France raffole, sont souvent mesurés. "Interdire l'anglais ne serait pas plus raisonnable que de l'imposer", rappelle Thomas Piketty. Là comme ailleurs, tout sera nuances de gris. "Nous sommes obligés de donner la possibilité d'atterrir aux non-francophones, dit-il. La question est : 'Combien de temps doit durer l'atterrissage' ?"

    Opposé au projet, Antoine Compagnon, professeur au Collège de France et à Columbia University, n'est "pas contre une certaine proportion de cours en anglais, pourvu qu'il ne s'agisse pas des cours magistraux ". Axel Kahn, ancien président de l'université Paris-Descartes, est, lui, globalement favorable au texte. Mais il insiste : "Nous devons utiliser le français pour penser le monde actuel et l'avenir. Je suis donc très attaché à ce qu'il demeure la langue unique pour le premier cycle, la licence. En master et en doctorat, en revanche, on doit pouvoir utiliser la langue de communication internationale."

    Quoi qu'il en soit, a écrit Mme Fioraso à Mme Carrère d'Encausse, il sera posé comme "condition" que les étudiants étrangers "maîtrisent au moment où ils valideront ces enseignements pour obtenir leur diplôme. Il ne s'agit donc pas d'un renoncement linguistique, mais au contraire d'un levier pour le développement de la francophonie".