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Quand l'Etat nationalise pour sauver l'industrie

Lien publiée le 21 mai 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Alors que l'actionnaire sud-coréen STX Offshore and Shipbuilding a annoncé, samedi 4 mai, qu'il envisageait de vendre ses chantiers navals de Saint-Nazaire, la question de leur nationalisation n'a pas manqué d'être évoquée. En novembre 2012, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, avait pour sa part posé la question de la nationalisation du site sidérurgique de Florange (Moselle), en attendant un repreneur, avant que cette piste ne soit abandonnée.

Ainsi, d'un coup de baguette magique, la puissance publique pourrait sauver des pans de l'appareil productif en les intégrant à "l'appareil économique d'Etat", en les nationalisant temporairement. Les adeptes de cette utopie pourraient trouver des arguments dans des nationalisations qui sont intervenues au nom de la "sauvegarde" de leviers déterminants de l'économie française, dans des situations de crise.

On peut remonter au milieu du XIXe siècle : pendant le boum de la "Railway mania", des investisseurs et entrepreneurs ont monté des compagnies pour tirer parti de la loi de 1842 sur les concessions ferroviaires, et fait appel à la Bourse et aux banques pour le financement. Cette bulle éclate pendant la crise – conjoncturelle, financière, politique – de 1846-1848. Sauf sur le Paris-Lille des Rothschild, les chantiers sont paralysés, les investisseurs ruinés, la majorité des compagnies liquidées.

En urgence, l'Etat vient à la rescousse de certaines d'entre elles, jugées importantes ; cinq sont mises sous séquestre et la Compagnie de chemin de fer de Paris à Lyon est même nationalisée (17 août 1848). Une fois la situation économique et politique apaisée, l'Etat peut attribuer des concessions viables en 1852. Mais, à cause de la philosophie libérale dominante et du manque de moyens financiers, l'Etat n'est pas intervenu pour sauver les entreprises d'une industrie ébranlée par la récession de 1846-1851, sauf à organiser une relance du système de crédit par le biais de la Banque de France et de la création d'une centaine de comptoirs d'escompte semi-publics.

INTERVENTIONNISME

Il faut attendre le retour au pouvoir des républicains, en 1877, pour qu'un débat se noue autour des nationalisations face aux intérêts capitalistes. Parce que plusieurs concessions ferroviaires du Centre-Ouest ne parviennent pas à financer leur budget, qu'elles oeuvrent dans des régions peu industrialisées, où les trafics passagers et fret sont modestes, une loi de mai 1878 les réunit en 1879 dans les Chemins de fer de l'Etat. Mais, lorsque Gambetta (1838-1882) arrive au pouvoir en 1882, il prône le non-renouvellement des concessions ferroviaires et leur nationalisation ; or, la coalition de gauche s'oriente vers le centre et il est renversé : les chemins de fer ne deviennent pas publics.

On distingue donc nationalisations idéologiques et nationalisations de sauvetage, mais seulement pour des services publics. La République des radicaux n'est pas nationalisatrice à tous crins. Au contraire, elle parvient à définir une voie moyenne, quand les urgences se succèdent dans l'entre-deux-guerres, puisque plusieurs branches des transports subissent des déficits et un surendettement inquiétants.

En 1933, la Caisse des dépôts vient discrètement à la rescousse de la Compagnie internationale des wagons-lits, qui tangue dans la crise. C'est plutôt le type de la société d'économie mixte qui est prôné : cet interventionnisme doit éviter de favoriser dirigisme et étatisme et permettre de se substituer au secteur privé défaillant, victime d'une concurrence forte (route pour le rail ; sociétés étrangères pour la mer et l'air), des aléas conjoncturels qui entaillent les recettes du transit et de surcharges sociales (salaires, etc.) encouragées par la puissance concédante.

En 1933 toujours, en pleine dépression, l'imposante Compagnie générale transatlantique est renflouée au nom de la défense du pavillon national, et une demi-douzaine de compagnies aériennes sont regroupées dans Air France. Le statut de société d'économie mixte est choisi dans les deux cas. On peut considérer que la crise endurée par les sociétés ferroviaires privées, sauf la Compagnie du Nord, du fait de la chute du trafic et leur surendettement (20 milliards de francs), explique leur nationalisation au 1er janvier 1938. La loi d'août 1937 est négociée par les patrons ferroviaires et des ministres de centre gauche sans présupposés idéologiques, et la SNCF est une société d'économie mixte.

TRADITION HISTORIQUE

La nationalisation de sauvetage appartient à une tradition historique, mais au profit de sociétés assurant des services publics essentiels. Jamais l'Etat français n'intervient dans l'industrie pour sauver des entreprises ; il le fait dans le cadre d'une politique industrielle (pétrole dans l'entre-deux-guerres) ou pour les nationalisations idéologiques de la Libération, pas en "pompier". En revanche, l'Allemagne (avec une étatisation provisoire des grandes banques en 1931-1934) et l'Italie (avec le sauvetage d'entreprises supervisées par l'Institut de reconstruction industrielle – IRI – en 1933) assument cette fonction. Tout l'enjeu est de revenir au privé, comme aux Etats-Unis en 2008-2013 pour des banques, l'assureur AIG ou le constructeur General Motors, par des ventes partielles... Mais l'IRI est finalement consolidée en 1937 et dure jusqu'en 2000 ! Si on étatise aisément, le risque est de ne pas savoir comment reprivatiser...

En France, tout change avec le retour d'une grande crise ! La majorité des sociétés sidérurgiques, regroupées en grosses entités dans les années 1940-1970, croulent sous les dettes malgré les plans Acier enclenchés depuis le milieu des années 1960. Or, c'est la droite de Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre qui vient à la rescousse d'une industrie lourde ! Une étatisation de sauvetage intervient en 1978 : Usinor et Sacilor, les deux géants, reçoivent une aide financière massive, mais ouvrent leur capital aux deux tiers à l'Etat – avant que la gauche complète le processus en 1983 jusqu'aux 100 %.

Est-ce que la gauche mitterrandienne a manié la nationalisation de sauvetage ? La philosophie reste libérale : les deux groupes financiers publics Indosuez et Paribas, nationalisés pour servir une politique industrielle active, sont gérés de façon classique. La gauche laisse s'effondrer Creusot-Loire en 1984 : c'est un choc !... Le temps est venu de chercher des repreneurs grâce à l'action conjointe de l'industrie et des banques au sein d'un Comité interministériel d'aménagement des structures industrielles (Ciasi), puis Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). La gestion en direct par l'Etat semble une utopie entachée de bureaucratie. Cela dit, l'Histoire est perpétuelle invention, et le concept d'"étatisation de sauvegarde" pourrait être viable, sous condition de revente au bout de quelques trimestres après une injection de fonds et des programmes d'investissement. L'enjeu est de dénicher ces fonds et de définir une stratégie de développement viable.

Hubert Bonin, professeur d'histoire économique, Sciences Po Bordeaux et UMR CNRS 5113 Gretha-Université de Bordeaux