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Turquie: malgré la répression policière, les manifestations se poursuivent
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Comme lors des révolutions arabes ou les mouvements d’Indignés en Europe ou aux États-Unis, les activistes ont rapidement mis en place des réseaux d’entraide (voir notamment ce site pour accéder à internet depuis la place Taksim d’Istanbul, trouver les coordonnées de médecins ou les contacts d’avocats), utilisé Twitter (avec le hashtag #occupygezi) et créé une page Facebook. Ils ont aussi installé une retransmission en direct des manifestations à Istanbul.
Samedi après-midi, les images montraient des milliers de personnes scandant des slogans hostiles au premier ministre, alors que la police s’était retirée de la place la plus célèbre de la ville, la place Taksim, aussitôt envahie par les manifestants.
D’autres manifestations étaient prévues dans plusieurs villes turques (à Antalya, Mersin, Gaziantep ou encore Diyarbakir). Dans la capitale Ankara, des manifestants faisaient aussi face à la police, qui usait samedi après-midi de lacrymogènes et de canons à eau.
La contestation a pris une nouvelle dimension après que la police est très violemment intervenue vendredi matin à Istanbul pour déloger les centaines de personnes qui occupaient pacifiquement le parc Gezi, situé sur la place Taksim. En deux jours, plusieurs certaines de manifestants ont été blessés, dont certains étaient dans un état grave. Vendredi, une photo d'Ahmet Sik, un célèbre journaliste, la tête en sang, a fait le tour de Twitter, touché par un tir de lacrymogène, « délibéré » selon Reporters sans frontières.
Samedi, l’association Greenpeace a annoncé avoir transformé son bureau stambouliote en « hôpital d'urgence pour les manifestants blessés ».
Les violences policières ont provoqué un élan de solidarité en Turquie. « Au moins autant que la diversité des manifestants, c’est le nombre et les modalités des soutiens qui étonnent : tel restaurant nourrit les manifestants gratuitement ; tel hôtel les accueille ; sur l’avenue Istiklal en état de guerre, des commerçants applaudissent les manifestants ; face au brouillage des lignes de téléphone portable par les forces de sécurité sur les zones d’affrontement, les cafés et restaurants environnants fournissent leurs codes de wifi par réseaux sociaux… Des riverains affichent sur les bâtiments que les manifestants peuvent venir se réfugier chez eux. Dans plusieurs quartiers, au milieu de la nuit encore, de nombreux habitants manifestaient leur soutien en allumant et éteignant les lumières et en descendant dans les rues avec casseroles et poêles. Nombreux sont ceux qui, aux fenêtres, applaudissent ou acclament les manifestants, comme ceux qui klaxonnent pour les encourager », raconte Élise Massicard, la responsable de l'Observatoire de la vie politique turque.
La répression a aussi suscité de nombreuses protestations dans le monde. Amnesty International a critiqué « le recours excessif à la force contre des manifestants pacifistes ». La violence de la répression a même conduit Washington à rappeler à l’ordre son allié turc. « Nous sommes préoccupés par le nombre de gens qui ont été blessés lorsque la police a dispersé les manifestants à Istanbul », a déclaré la porte-parole du département d’État, Jennifer Psaki. La porte-parole a appelé les autorités turques à « respecter les libertés d’expression, d’association et de rassemblement telles que ces personnes, visiblement, les exerçaient ». « Ces libertés sont vitales à toute démocratie saine », a-t-elle souligné.
Les plus hautes autorités turques ont fini par réagir et, samedi en milieu de journée, la police s’est retirée de la place Taksim d’Istanbul. Samedi, le président de la République, Abdullah Gül, a lancé un appel au « bon sens » et au « calme ». « Nous avons tous besoin d'être responsables face à ces manifestations (...) qui ont atteint un niveau inquiétant », a-t-il affirmé dans un communiqué, avant d’exhorter la police à « agir avec le sens de la mesure ».
Même le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a finalement concédé que la police avait agi dans certains cas de façon extrême. « Il est vrai qu'il y a eu des erreurs, et des actions extrêmes dans la réponse de la police. Les mises en garde nécessaires ont été faites », a indiqué celui qui focalise la colère des manifestants. Mais sur le fond, il est resté totalement intraitable, continuant, comme il le fait depuis des mois, de traiter les mécontents par le mépris. « Je demande aux protestataires d'arrêter immédiatement leurs manifestations (...) pour éviter plus de dommages aux visiteurs, aux piétons et aux commerçants. La place Taksim ne peut pas être un endroit où les extrémistes font ce qu'ils veulent »,a ajouté Erdogan.
A l'origine, un projet de réaménagement du parc Gezi
Tout a commencé en début de semaine quand les premiers bulldozers ont fait leur apparition dans le parc Gezi sur la place Taksim, que le maire de la ville, proche du premier ministre, veut complètement réaménager. Ce projet est dénoncé par de nombreux urbanistes, architectes et écologistes qui ont remporté une première victoire vendredi avec la décision d’un tribunal administratif d’Istanbul de suspendre le projet de reconstruction de la caserne.
Depuis le début de la semaine, des milliers de Stambouliotes s’étaient donc rassemblés place Taksim pour contrer les plans de réaménagement du maire qui prévoit notamment de construire, dans le parc, d’anciennes casernes ottomanes, agrémentées d'un centre commercial.. Jeudi soir, ils étaient au moins 10 000, soutenus par des associations environnementalistes, des syndicats, de partis politiques de gauche.
Mais vendredi à l’aube, la police est très violemment intervenue pour déloger les centaines de militants qui occupaient le parc Gezi. La répression a provoqué un vaste élan de solidarité et de nombreux habitants sont venus en renfort aux abords de la place Taksim.
Leur mouvement a très vite pris un tour politique en dénonçant le gouvernement et ses méga-projets de construction à Istanbul, comme le troisième pont sur le Bosphore, dont la première pierre a été posée mercredi, ou un aéroport géant. Les manifestants, de l’extrême gauche aux partis nationalistes kemalistes en passant par les organisations kurdes, dénoncent plus généralement l’autoritarisme du premier ministre Erdogan, au pouvoir depuis 2003 après avoir été très facilement réélu en 2007 et en 2011 avec son parti musulman-conservateur, l’AKP.
« Finalement, la mobilisation autour du parc de Gezi n’aura été qu’une étincelle, celle de trop. En fait, plus que le parc lui-même – certes l’un des seuls espaces verts de cette partie de la ville, mais qui n’était ni très fréquenté, ni très bien entretenu, ni particulièrement valorisé par qui que ce soit, bref qui avait assez peu en commun avec Central Park –, c’est l’attitude des forces de sécurité, et plus largement du pouvoir, qui a véritablement mis le feu aux poudres et suscité l’élargissement de la mobilisation », écrit de son côté Élise Massicard, la responsable de l'Observatoire de la vie politique turque.
Depuis deux ans, et singulièrement ces derniers mois, les militants de gauche et des droits de l’homme dénoncent un durcissement du régime et de nombreuses arrestations d’opposants, des attaques contre la liberté de la presse et plusieurs lois qu’ils jugent liberticides et/ou conservatrices (par exemple, récemment, sur la vente d’alcool).
« En se lançant dans une politique souvent qualifiée d’aventuriste à l’égard d’Israël, puis de la Syrie, en morigénant l’agence Standard & Poors qui avait fait passer la note de la Turquie de “positive” à “stable” en mai, en laissant entendre qu’il pourrait envisager un rétablissement de la peine de mort et en affichant une morgue proche de l’inhumanité à l’encontre des grévistes de la faim kurdes à l’automne – “Certains d’entre eux ont d’ailleurs besoin d’un régime” –, (...) en cherchant à prendre le contrôle de l’université quitte à provoquer une fronde étudiante en décembre, en critiquant une série télévisée populaire, “Le Siècle magnifique”, au point d’obtenir que Turkish Airlines renonce à la projeter dans ses avions, il a nourri les accusations de dérive autoritaire et de “poutinisation” que lui prodiguait l’opposition depuis plusieurs années », estimait le chercheur Jean-François Bayart dans un billet publié en février sur son blog sur Mediapart.