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En Turquie, la révolte contre le pouvoir se propage
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Ravis, les riverains se sont mis à taper avec encore plus d'entrain sur leurs ustensiles de cuisine. A 21 heures, les Stambouliotes et leurs compatriotes dans une bonne partie du pays sont entrés en résistance pacifique contre le gouvernement islamo-conservateur de l'AKP (Parti de la justice et du développement).
Ils ont répondu par milliers au rendez-vous qui avait été donné sur les réseaux sociaux dans la matinée : les habitants étaient appelés à descendre dans la rue ou à se pencher à leur fenêtre pour exprimer leur colère en participant à ce concert de gamelles et de casseroles. Hier, pendant plus d'une heure, la manifestation a pris la forme d'une cacophonie joyeuse, assourdissante, invincible, dans de nombreux quartiers de la métropole de quinze millions d'habitants. Cette réponse a rendu inaudibles les propos du chef du gouvernement tenus lors d'un entretien télévisé, dimanche après-midi.
Au troisième jour de la contestation lancée contre son gouvernement sur la place Taksim, le premier ministre n'a fait quasiment aucune concession. Ce n'est pas "une bande de pillards qui va me faire reculer", a-t-il lancé. Il a assuré que son gouvernement allait mener à son terme le projet de rénovation de la place et la construction d'anciennes casernes ottomanes sur l'emplacement du parc Gezi.
MANIFESTATIONS "IDÉOLOGIQUES"
Dans un entretien à la chaîne d'information Habertürk, M. Erdogan a notamment qualifié les manifestations d'"idéologiques". Il a demandé l'arrêt de l'occupation de la place par des manifestants, retranchés derrière des barricades. "S'il s'agit d'un mouvement social, s'il s'agit d'organiser des manifestations, dans ce cas, s'ils rassemblent 20 personnes, alors j'en rassemblerai 200 000. Là où ils en ont 100 000, je mobiliserai un million de membres de mon parti", a prévenu M. Erdogan. "Tous les quatre ans, nous organisons des élections et la nation fait son choix. Ceux qui ont un problème avec le gouvernement peuvent exprimer leur point de vue, dans le respect du droit et de la démocratie", a-t-il souligné.
e dirigeant turc a également rejeté les accusations de dérive antidémocratique de son pouvoir, répercutées par le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP). "Tayyip Erdogan, selon eux, est un dictateur, a-t-il lancé. S'ils traitent de dictateur quelqu'un qui est au service de son peuple, alors je ne sais pas quoi dire."
Offensif face à la contestation qui enfle, le chef du gouvernement a néanmoins dû reconnaître des "erreurs" après les violences policières des premiers jours.
Depuis samedi après-midi, à Istanbul, la police s'est retirée des abords de la place Taksim, ce qui a mis fin aux violents affrontements qui ont fait plus d'un millier de blessés, selon Amnesty International. La fermeté du premier ministre lui a valu quelques critiques à l'intérieur même de son parti, révélant les divisions au sein du pouvoir. "Plutôt que d'envoyer du gaz sur des gens qui disent : "Nous ne voulons pas de centre commercial", les autorités auraient dû leur dire que leurs inquiétudes étaient partagées", a souligné Bülent Arinç, le numéro deux du gouvernement. Quant au président de la République, Abdullah Gül, il avait lancé un appel au "bon sens". Selon le rédacteur en chef du quotidien Hürriyet Daily News, Murat Yetkin, ce serait le président Gül qui aurait ordonné le retrait des forces de police de la place Taksim.
Dimanche soir, sur les réseaux sociaux, un mot d'ordre populaire invitait M. Gül, devenu le principal rival de M. Erdogan en vue de la présidentielle de 2014, à intervenir pour mettre fin à cette crise politique. L'allié américain a également émis quelques critiques. La Maison Blanche a appelé les forces de sécurité à montrer de la "retenue" face aux manifestants.
RETRAIT DE LA POLICE
Si les heurts ont cessé autour de la place Taksim avec le retrait de la police, ils se sont poursuivis, dimanche, dans le quartier de Besiktas, à proximité des bureaux stambouliotes du premier ministre, vers lesquels plusieurs dizaines de personnes ont marché avant d'être stoppées par les forces antiémeute. Mais surtout, le phénomène s'est propagé comme une traînée de poudre et ce week-end, c'est l'ensemble du pays qui a été gagné par la contestation.
D'Erdine, à la frontière bulgare, à Mersin, sur les rives de la Méditerranée en passant par Samsun, dans la région de la mer Noire, près de cinquante grandes villes ont été le théâtre de manifestations. Partout, des jeunes, le poing levé, sont descendus dans la rue en hurlant : "Erdogan, démission !" Dans la cité balnéaire d'Antalya, les contestataires s'en sont pris au bâtiment du gouvernorat. A Kocaeli, une ville industrielle de l'ouest, quelques milliers de membres du CHP, le parti fondé par Atatürk, ont tenté de marcher vers le siège local de l'AKP. Ils ont été stoppés par les tirs de gaz lacrymogène de la police.
Des affrontements, souvent très violents, avec les forces de l'ordre ont été recensés dans la majorité des villes. A Izmir, la grande ville de la côte égéenne, un fief kémaliste, ils ont duré jusqu'à l'aube. Au moins 250 personnes ont été interpellées. Les tensions ont culminé à Ankara où, pour la deuxième journée consécutive, des milliers d'habitants ont convergé vers le quartier central de Kizilay, qui abrite les ministères. Les heurts les plus violents se sont produits dans les rues jouxtant les bureaux du premier ministre. Des voitures brûlaient, des feux sur la chaussée trouaient la nuit. Une première liste dressée par la chambre des médecins faisait état de plus de 400 blessés, dont un dans un état grave. Selon les médias turcs, la police a également pris d'assaut un dispensaire de fortune monté à la hâte pour apporter les premiers soins. Dans la capitale, la police a procédé à environ 500 arrestations.